Un président de jury qui annonce un palmarès dont les premiers prix vous restent inconnus après une semaine de fréquentation frénétique des salles, c’est une situation inédite, avouez ! Certes, visionner les 134 films du programme, sans compter les parachutés de dernière heure était impossible dès le départ. Difficile de se trouver au bon moment au bon endroit, jouer entre taxis et motos, se lever tôt, se coucher tard, résister aux tentations ouagalaises... On croit faire des choix, ils se font tout seuls. En fin de semaine, on se tricote ses petits pronostics et, le jour venu, on se réveille avec la gueule de bois . Récit !
Samedi 7 mars 2015, cérémonie de clôture du 24ème FESPACO, Palais des Sports de Ouaga-2000, gardé par des hommes en armes, les 5000 places pas toutes occupées, gens et sacs fouillés pile poil, discours d’hommes nouveaux portant beau le faso dan fani, (insurrection du 30 octobre oblige), rythme soutenu, sono à revoir.
Suspense insoutenable : le réalisateur ghanéen Kwaw Paintsil Ansah, président du jury longs métrages, rend un long hommage à sa grand mère, et en arrive, enfin, aux lauréats.
- L’Etalon d’or de Yennenga à ….. « Fièvres d’Hicham Ayouch, Maroc » » le micro crachouille, des hurlements couvrent l’annonce.... !
- L’Etalon d’argent de Yennenga à … « Fadhma N’Soumer de Belkacem Hadjaj, Algérie » Crachouillements, hurlements. C’est tout le Maghreb qui se congratule ..
Pas de bol, il y avait 2 films marocains et 2 algériens en sélection, j’ai vu les autres : le marocain « C’est eux les chiens » d’Hicham Lasri » excellent, déjà sorti en France, et « J’ai 50 ans » de l’algérien Djamel Azizi » classique mais sensible. Je me renie, envie de me cacher sous mon siège.
- L’Etalon de bronze à « L’Oeil du Cyclone de Sékou Traoré, Burkina Faso » Ouf ! Retour en pays connu ! Premier long métrage du réalisateur, adaptation d’une pièce de théâtre de Luis Marquès, huis( presque) clos entre une avocate idéaliste et un criminel ex-enfant soldat sur fond de guerre civile et de corruption des dirigeants africains. Efficace et tendu . Les bravos emplissent le stade, enfin un produit local qui pouvait légitimement prétendre à une récompense ... Et même à plusieurs : meilleure interprétation féminine à Maimouna Ndiaye, meilleure interprétation masculine à Fargass Assande, Prix Oumarou Ganda pour la meilleure première œuvre, et Prix spécial de l’intégration de la CEDEAO, tous assortis de sommes remarquables, de quoi réjouir le jeune réalisateur qui a bouclé son budget par le biais d’un crowfunding.
Cerise sur le gâteau : une sublime inconnue, suivie d’un homme en costume sombre, arpente, en un va-et-vient hypnotique, le tapis rouge comme sa robe : Laetitia Eido, l’actrice franco libanaise héroïne du rôle titre de l’Étalon d’argent, Fadhma N’Soumer ; et lui le représentant du réalisateur Belkacem Hadjadj absent . Certes, elle n’a pas remporté de prix d’interprétation, mais, qui mieux qu’elle pour recevoir outre l’Argent de Yennenga, le prix du meilleur scénario, celui du meilleur montage et celui du meilleur son ?
Au total, le jury des longs métrages aura décerné 14 récompenses . Prix du meilleur décor et de la meilleure musique à Timbuktu, déjà multi primé ailleurs : honneur à Abderrahmane Sissako, invité prestigieux, enfant prodigue, et dont le film, menacé de retrait pour des raison sécuritaires, aurait peut être gagné à ne pas être sélectionné.
La meilleure image pour « C’est eux les chiens » de Hicham Lasri. Cheick Fantamady Camara, réalisateur modeste et discret originaire de la Guinée Conakry, remporte, lui, le prix Paul Robeson pour « Morbayassa, le serment de Koumba » film chaleureux dans lequel s’épanouit la chanteuse et actrice Fatoumata Diawara.
Comment interpréter le prix de la meilleure affiche décerné à Missa Hebié du Burkina Faso pour Cellule 512, ? Seule et unique récompense pour ce film à visées populaires, tourné dans la prison de Ouaga, qui dénonce dans le style série télé très prisé du public les tribulations d’une honnête citoyenne emprisonnée (à tort) face aux horreurs de l’univers carcéral et de la corruption généralisée. Gadget de consolation ?
Déclaration du président du jury documentaires et des films d’écoles, Ousmane William Mbaye, très classe : 35 films soit 20 longs métrages et 15 courts, c’est beaucoup pour un seul jury qui prend son rôle au sérieux ! La qualité des films est inégale, et tous les pays ne sont pas représentés ; ceci dit, il prend le soin de motiver les prix accordés. Même traitement pour les documentaires.
Premier prix à « Miners shot down », du sud africain Rehad Desai, pour « son rôle de témoin de la mutation politique d’une société qui se voulait exemplaire ». Le film, qui retrace comment les patrons, aidés par le gouvernement, ont massacré des mineurs en grève (images tournées par la police...) a produit un grand effet auprès du public.
Deuxième prix à « Devoir de Mémoire » du malien Mahmadou Cissé « pour l’originalité du point de vue et son sens de l’engagement » .
Troisième prix à Tango Negro, les origines africaines du Tango, de l’angolais Dom Pedro, « pour la maîtrise de la technique. »
Courts Métrages et des Séries TV ; autre jury présidé par Firmine Richard, à ne pas s’être économisé : 22 CM et 3 épisodes de 26 minutes des 9 séries... La présidente, tout sourires, déclare s’être bien amusée avec ses compagnons.
Courts métrages : L’or à « De l’eau et du sang » d’Abdellilah Eljaouhary , Maroc ; l’argent à « Madame Esther » de Luck Razanajoana Madagascar, le bronze à « Zakaria » de Leyla Bouzid Tunisie et mentions à « les Avalés du Grand Bleu » de Kossivi Tchincoun Togo et Twaaga de Cédric Ido Burkina Faso. Il est vrai que la sélection des courts était de bonne tenue et le podium, du coup, trop étroit ...
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Vous avez dit prix spéciaux ?
Très bien dotés (84000 Francs CFA au total), les prix spéciaux se fêtent désormais lors d’un gala à la fois foutraque et guindé où la qualité de l’acoustique passe loin après l’organisation des plans de table. Annoncés la veille du palmarès officiel, ils peuvent aussi représenter un bon indice pour la suite, mais pas forcément...
Ainsi « L’œil du Cyclone », et « Zakaria » y gagnèrent 2 prix, ainsi que « La Sirène du Faso Fani » le documentaire, très bien accueilli, du burkinabè Michel Zongo. Le jeune réalisateur camerounais Agbor Obed Agbor obtint le prix Unicef pour les droits de l’Enfant et les 7000 FCFA pour son court métrage « Damaru », Le prix de l’Union Européenne et 7000 FCFA à « Avant le printemps » d’Ahmed Atef , Egypte .
Pour son film « Des étoiles », Dyana Gaye, chouchou des pronostiqueurs a remporté le prix de la meilleure réalisatrice ouest africaine de la CEDEAO pour 10000 FCFA . Prix annoncé que le lendemain, lors de la remise des prix officiels au palais des sports ...
Quant au prix Félix Houphouet-Boigny du Conseil de l’Entente, il revient au seul film ivoirien « Run » de Philippe Lacôte qui empoche les 10000 FCFA. Imaginer la part de favoritisme inhérente à cette récompense ne rendrait pas grâce à ce film ignoré du palmarès final mais qui, pourtant, retrace avec une forte originalité le destin d’un ivoirien façonné par les mondes qu’il rencontre.
Enfin, de quoi faire relever la tête à Missa Hébié un autre régional de l’étape, coqueluche d’un public fan de ses séries télé, « Commissariat de Tampy » entre autres, sa « Cellule 512 » remporte le prix Signis (Association Catholique Mondiale Pour La Communication ) et 2000 FCFA, dont les critères d’attribution s’attachent « aux valeurs humaines positives pouvant être lues à la lumière du message de l’évangile ».
Ainsi ce film trash qui se complaît dans la dénonciation des dessous les plus graveleux du monde carcéral, touche les membres d’un jury catholique grâce au personnage d’un admirable mari qui résiste à toutes les tentations et s’occupe parfaitement de ses enfants pendant l’incarcération de leur mère. Une bonne occasion de vérifier, s’il était encore besoin, que les voies du seigneur sont, décidément, impénétrables !
Michèle Solle
Clap Noir
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