Sur les écrans d’autrefois, un documentaire précédait toujours le grand film. Pour son deuxième long métrage, Des Apaches, Nassim Amaouche reprend la formule. Une voix off promène le spectateur des montagnes des Aures où les kabyles organisèrent leur résistance contre les Romains jusqu’aux bistrots de Belleville où ils ont adapté leurs règles communautaires à la vie parisienne : le chef de village est devenu président d’un groupe d’ actionnaires, exclusivement masculin, qui décide démocratiquement de la gestion de bistrots et d’hôtels du quartier. « Le socialisme de mes rêves », aurait déclaré Karl Max parti se soigner en Kabylie.
Changement de ton
Générique : toujours Belleville. Samir fait briller une belle paire de pompes empruntées à un ami, puis se rend au cimetière porter Jeanne, sa mère, en terre. Désormais, il est seul au monde.
Mais caché derrière une tombe, un homme épie la scène. C’est son père, l’inconnu. Dernier cadeau de Jeanne. En le suivant, il va « re »trouver sa place de fils aîné chez les kabyles . On l’attendait . Dans les contes, le bonheur se nourrit toujours de la mort de quelqu’un...
Round d’observation dans le bistrot de son père où tout se joue. Lumières chaudes, ambiance polar. Scènes de brousse : les grands fauves surveillant le jeune efflanqué au comptoir. Samir belle gueule, fils prodigue à l’envers.
Mais le prince rechigne, pardonner c’est trahir. Les richesses ne l’attirent pas. Trop yang tout ça, trop pierres, règles, paroles données, décisions de groupes, argent . Samir est ailleurs et son rafiot prend l’eau, où il a embarqué les siens, Jeanne (subtile Lætitia Casta) et l’Enfant. Ça fait du monde qui le visite, nuit et jour. Les souvenirs font du sur place. Entre reflets et échos, rêve et réalité, qui peut mettre un nom sur les choses ? L’Enfant lui tend la main, tandis qu’il court après Jeanne et qu’un drôle d’avocat, un peu griot et certainement deus ex machina(jubilatoire André Dussolier) éclaire son chemin.
« L’identité n’est pas un héritage mais une création », Nassim Amaouche reprend Mahmoud Darwich et, pour décrire la folie ordinaire d’un homme en construction, il sort du cadre, libère le merveilleux. C’est un film qui explore les trois âges de l’homme, un espace dédié à la femme rêvée, borné aux deux bouts par une fillette et une vieille femme. Bourré de références comme autant de secrets. C’est un film qui en cache un autre ...Rendez vous à la coda comme disent les jazzmen, chacun se bricolant en chemin sa musique personnelle. Quitte à y revenir.
Six ans de gestation
Adieu Gary, prix de la critique à Cannes en 2008, explorait déjà de la belle façon les méandres de l’héritage entre un père (généreux Jean Pierre Bacri) et ses fils Icham et Samir(déjà), rôle tenu par Yasmine Belmadi, l’alter ego et acteur fétiche du réalisateur. L’équipe gagnante n’en est qu’à ces débuts, et le rôle du Samir de Belleville est évidemment pour lui, mais il se tue sur la route quelques jours avant de connaître la gloire cannoise.
Pour panser ses blessures, imaginer un casting, convaincre les banquiers qui ne croient pas à son histoire, les forces manquent à Nassim Amaouche. En 2012 Arte lui commande un documentaire : une éclaircie dans cette traversée du désert. Il part pour la première fois en Algérie avec son père kabyle, sur les traces de leur histoire : En Terrain Connu. Et, fortifié par la confiance paternelle, il repart au combat.
C’est lui, finalement, moindre trahison, qui remplacera Yasmine dans le rôle de Samir. Bien entouré par Laetitia Casta, la belle Marianne, dans le(s) rôle(s) de Jeanne, et André Dussolier (en participation) grand parmi les grands acteurs français, se coulera avec délices dans le rôle de Jean, l’avocat atypique.
Il avoue avoir aimé jouer avec ses acteurs prestigieux, écrire des scènes clé pour et avec Lætitia Casta, et donner la réplique à un André Dussolier modeste et enthousiaste, qui demandait après chaque prise « J’ai été bien là ? »
Malédiction du numéro 2
Dans les familles, c’est dur d’arriver après un génie. Le cadet porte sur ses épaules le poids d’une attente suspicieuse, on l’attend au tournant. C’est ainsi que Nassim Amaouche analyse les freins opposés à son dernier projet, très personnel. Partir d’un film de genre pour basculer dans le fantastique n’est pas chose courante, ni facile. Transformer un polar franco kabyle en féerie surréaliste, ça peut être carrément casse gueule. Raison du budget minimaliste qui l’a obligé à un tournage acéré, avec caméra numérique pour la première fois, l’ellipse laissant place à des moments magnifiques. Preuve est faite, le réalisateur excelle autant dans les scènes intimes que dans les ambiances de groupe, dans la comédie que dans le drame. On se souviendra des scènes de bistrot, de Lætitia Casta, jusque là très simple, foulant glorieusement le tapis rouge de l’hôtel où Samir l’attend, de Nassim Amaouche, acteur, qui explose dans un rôle d’écorché vif , et des rencontres avec l’Enfant, moments de grâce et de tendresse.
Des Apaches, à l’opposé des produits commerciaux dont le public est abreuvé n’a bénéficié d’aucune promo. Il est sorti fin juillet en France, la plus mauvaise date. Peu de salles l’ont programmé, il n’a donc pu bénéficier du bouche à oreille. Il reste une pépite à découvrir .
Michèle Solle
Gindou 2015
Clap Noir
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