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A l’intérieur si j’y suis…
Publié le : mercredi 10 juin 2009
Inland de Tariq Teguia




Aux spec­ta­teurs de l’Autre Cinéma de Bayonne où il est venu pré­sen­ter son film en avant pre­mière ven­dredi 5 juin, il n’a dit que quel­ques mots : « Je vous laisse, seuls, repé­rer les lignes de vie, de désir, de fuite…Bonne pro­jec­tion et à tout à l’heure ! »
L’Algérie, de nos jours. Malek, un topo­gra­phe qui s’est retiré, est appelé sur un chan­tier dans l’ouest du pays. Il passe par Oran, pren­dre connais­sance du dos­sier auprès de ses anciens col­lè­gues. Il retrouve ami, ex com­pa­gne, et enfant. Part enfin vers Saïda dans un véhi­cule de fonc­tion. On l’a chargé de tra­vailler sur l’ins­tal­la­tion d’une nou­velle ligne électrique qui doit ali­men­ter des hameaux encla­vés des Monts de l’Ouarsenis. Cette ligne a dis­paru depuis plus de dix ans, détruite par le ter­ro­risme isla­miste. Malek va vivre dans un bara­que­ment aban­donné, encore tâché de sang, sans lumière ni eau. Un ancien habi­tant du hameau replié au vil­lage, lui rend visite, et devient son aide.

Tout le début de film arrive en plans fixes, peu de paro­les. L’his­toire ins­talle len­te­ment son poids d’images, de cou­leurs, de sens, de rythme. On avance avec elle et avec Malek, cet homme en marge, sorte de témoin, de sa vie et de son pays, de la vie dans ce pays.
Car après un pre­mier film « Rome plutôt que vous », dans lequel Tariq Teguia montre la vie à Alger aujourd’hui, le propos du réa­li­sa­teur est d’agran­dir le cercle d’obser­va­tion. Un cons­tat. Comment vit-on aujourd’hui en Algérie, dix ans après la défla­gra­tion isla­miste ? Où en-est-on ? Quel hori­zon pour les hommes, les femmes, les jeunes et ceux qui ont connu l’avant ? Ceux qui par­lent et ceux qui cas­sent ? Comment refu­ser le sort qui leur est fait ?
« Inland » s’appelle aussi Gabbla , dif­fi­ci­le­ment tra­dui­si­ble, c’est un peu l’arrière pays, l’inté­rieur, le mou­ve­ment en plus. Et le mou­ve­ment, Tariq le reven­di­que, lui dont la boîte de prod à Alger s’appelle Neffa (la fuite), et qui rap­pelle qu’étymologiquement arabe, veut dire ceux qui sont en mou­ve­ment. D’où les lignes de vie, de désir, de fuites, qu’il libère comme autant d’ouver­tu­res dans un monde clos jusqu’à l’asphyxie.

Malek prend pied dans la région. Au fur et à mesure de ses décou­ver­tes, le mou­ve­ment inter­vient. C’est la forme qui dicte le fond. Des morts sur la route, la pesante pré­sence de la police, des pas d’hommes dans le noir, les mena­ces des cas­seurs…Un soir, en ren­trant chez lui, Malek trouve une femme ter­ro­ri­sée. Epuisée. Que faire de cette boule de déses­poir ? Peu à peu, la paix s’ins­talle, bien­tôt vien­nent les mots, d’anglais, uti­li­tai­res. Elle arrive de cet inté­rieur qu’on veut quit­ter pour le nord, à n’importe quel prix. Mais, elle n’a plus la force, veut retour­ner chez elle. Comme on rem­bo­bine un film qui vous a déçu. Ils s’appri­voi­sent. Malek va la rame­ner. En sui­vant son doigt sur la carte, une dia­go­nale tra­verse le Sahara. Désert fai­sant, ils côtoient des ber­gers, des vil­la­geois, le temps d’un thé, d’une halte, de paro­les confiées. Abandonnent leur véhi­cule, pour un autre, emprun­tent une moto, s’enfon­cent dans la lumière jaune qui vibre et fina­le­ment les absorbe.

Le rythme qui sup­porte la ligne de fuite, la bande son, la cou­leur de la pel­li­cule tra­vaillée jusqu’à la bru­lure emmè­nent la dis­pa­ri­tion finale sans coup férir. Ou sim­pli­fi­ca­tion à l’extrême trai­tée en subli­ma­tion. Malek est libre, désor­mais !
Tourné en numé­ri­que pour des rai­sons bud­gé­tai­res, trans­féré en 35mm pour des rai­sons d’exploi­ta­tion … Le film de Tariq Teguia a obtenu le prix Fipresci de la cri­ti­que au der­nier fes­ti­val de Venise, a été pré­senté dans de nom­breux fes­ti­vals, sort sur 14 copies en France , est pro­jeté en Algérie depuis mars. Les cri­ti­ques enthou­sias­tes décou­vrent des filia­tions flat­teu­ses que le réa­li­sa­teur reçoit avec le sou­rire. Ni Antonioni, ni Wenders, ni Sissako, ni…
Il est seul, libre et exi­geant. N’empê­che qu’on a bien envie de voir son pre­mier film Rome plutôt que vous (quel beau titre !) qui sor­tira en novem­bre en DVD.

Michèle SOLLE

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