Aux spectateurs de l’Autre Cinéma de Bayonne où il est venu présenter son film en avant première vendredi 5 juin, il n’a dit que quelques mots : « Je vous laisse, seuls, repérer les lignes de vie, de désir, de fuite…Bonne projection et à tout à l’heure ! »
L’Algérie, de nos jours. Malek, un topographe qui s’est retiré, est appelé sur un chantier dans l’ouest du pays. Il passe par Oran, prendre connaissance du dossier auprès de ses anciens collègues. Il retrouve ami, ex compagne, et enfant. Part enfin vers Saïda dans un véhicule de fonction. On l’a chargé de travailler sur l’installation d’une nouvelle ligne électrique qui doit alimenter des hameaux enclavés des Monts de l’Ouarsenis. Cette ligne a disparu depuis plus de dix ans, détruite par le terrorisme islamiste. Malek va vivre dans un baraquement abandonné, encore tâché de sang, sans lumière ni eau. Un ancien habitant du hameau replié au village, lui rend visite, et devient son aide.
Tout le début de film arrive en plans fixes, peu de paroles. L’histoire installe lentement son poids d’images, de couleurs, de sens, de rythme. On avance avec elle et avec Malek, cet homme en marge, sorte de témoin, de sa vie et de son pays, de la vie dans ce pays.
Car après un premier film « Rome plutôt que vous », dans lequel Tariq Teguia montre la vie à Alger aujourd’hui, le propos du réalisateur est d’agrandir le cercle d’observation. Un constat. Comment vit-on aujourd’hui en Algérie, dix ans après la déflagration islamiste ? Où en-est-on ? Quel horizon pour les hommes, les femmes, les jeunes et ceux qui ont connu l’avant ? Ceux qui parlent et ceux qui cassent ? Comment refuser le sort qui leur est fait ?
« Inland » s’appelle aussi Gabbla , difficilement traduisible, c’est un peu l’arrière pays, l’intérieur, le mouvement en plus. Et le mouvement, Tariq le revendique, lui dont la boîte de prod à Alger s’appelle Neffa (la fuite), et qui rappelle qu’étymologiquement arabe, veut dire ceux qui sont en mouvement. D’où les lignes de vie, de désir, de fuites, qu’il libère comme autant d’ouvertures dans un monde clos jusqu’à l’asphyxie.
Malek prend pied dans la région. Au fur et à mesure de ses découvertes, le mouvement intervient. C’est la forme qui dicte le fond. Des morts sur la route, la pesante présence de la police, des pas d’hommes dans le noir, les menaces des casseurs…Un soir, en rentrant chez lui, Malek trouve une femme terrorisée. Epuisée. Que faire de cette boule de désespoir ? Peu à peu, la paix s’installe, bientôt viennent les mots, d’anglais, utilitaires. Elle arrive de cet intérieur qu’on veut quitter pour le nord, à n’importe quel prix. Mais, elle n’a plus la force, veut retourner chez elle. Comme on rembobine un film qui vous a déçu. Ils s’apprivoisent. Malek va la ramener. En suivant son doigt sur la carte, une diagonale traverse le Sahara. Désert faisant, ils côtoient des bergers, des villageois, le temps d’un thé, d’une halte, de paroles confiées. Abandonnent leur véhicule, pour un autre, empruntent une moto, s’enfoncent dans la lumière jaune qui vibre et finalement les absorbe.
Le rythme qui supporte la ligne de fuite, la bande son, la couleur de la pellicule travaillée jusqu’à la brulure emmènent la disparition finale sans coup férir. Ou simplification à l’extrême traitée en sublimation. Malek est libre, désormais !
Tourné en numérique pour des raisons budgétaires, transféré en 35mm pour des raisons d’exploitation … Le film de Tariq Teguia a obtenu le prix Fipresci de la critique au dernier festival de Venise, a été présenté dans de nombreux festivals, sort sur 14 copies en France , est projeté en Algérie depuis mars. Les critiques enthousiastes découvrent des filiations flatteuses que le réalisateur reçoit avec le sourire. Ni Antonioni, ni Wenders, ni Sissako, ni…
Il est seul, libre et exigeant. N’empêche qu’on a bien envie de voir son premier film Rome plutôt que vous (quel beau titre !) qui sortira en novembre en DVD.
Michèle SOLLE
Clap Noir
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