La Chronique de Sophie
Publié le : dimanche 16 décembre 2007
Fespaco 2007




Dimanche 25 février

Lever de très bonne heure pour être au ciné Neerwaya pour la pre­mière pro­jec­tion du matin, et ma pre­mière pro­jec­tion de Fespaco. Dès ces heures mati­na­les, la cha­leur est déjà au rendez-vous, pro­met­tant de vous cueillir à la sortie de la salle obs­cure. Dans la salle immense et pres­que vide à cette heure indue pour la plu­part des fes­ti­va­liers qui pro­fi­tent abon­dam­ment de la vie noc­turne oua­ga­laise, la cli­ma­ti­sa­tion ma fait fris­son­ner à mesure que le temps passe. Je n’avais pas prévu le froid ! Au géné­ri­que de fin, je suis heu­reuse de renouer avec la cha­leur et le soleil du dehors.

Plus tard, je m’oriente vers le CCF où je sou­haite assis­ter à l’ouver­ture des confé­ren­ces du « Coté Doc », un fes­ti­val paral­lèle orga­nisé par l’asso­cia­tion Ecrans en col­la­bo­ra­tion avec Arte, qui assure la sélec­tion docu­men­taire du Fespaco. Toute la semaine, des confé­ren­ces en pré­sence de réa­li­sa­teurs, pro­duc­teurs, dif­fu­seurs ou cri­ti­ques sont orga­ni­sées autour du thème du docu­men­taire. Les débats sont inté­res­sants, et ouverts à tout public. Les par­ti­ci­pants sont invi­tés à pren­dre la parole et peu­vent poser direc­te­ment leurs ques­tions aux confé­ren­ciers. Le dis­po­si­tif fonc­tionne bien, l’assis­tance est atten­tive et de nom­breux par­ti­ci­pants pren­nent des notes en inter­vien­nent. Une for­mule qui fonc­tionne bien.

La jour­née suit son cours sans grande sur­prise, avec deux nou­vel­les pro­jec­tions en après-midi et fin de soirée. Cette fois le rythme de croi­sière est trouvé. Le soir chacun fait le bilan de ses vision­na­ges de la jour­née, avec force cri­ti­ques et com­men­tai­res sur l’orga­ni­sa­tion et les condi­tions de pro­jec­tions, pas tou­jours idéa­les. Nous voilà entrés de plain pied dans l’ambiance du Fespaco.

Lundi 26 Février

Le fes­ti­val est entré pour de bon dans son rythme de croi­sière. Au fil des pro­jec­tions, les pre­miers échos fil­trent sur les films en com­pé­ti­tion. La jeu­nesse de la ville a embrassé la cadence impo­sée par les pro­jec­tions. Celles de 8h00 du matin n’atti­rent pas les foules ; le public aug­mente au fur et à mesure de la jour­née jusqu’à attein­dre des record d’affluence aux séan­ces de 20h30 et 22h30. Entre les séan­ces et aux heures de repas, les ter­ras­ses des lieux de pro­jec­tion ne désem­plis­sent plus. Conséquence logi­que, les ven­deurs ambu­lants se suc­cè­dent, cher­chant à écouler au mieux leurs cartes télé­pho­ni­ques et leurs mou­choirs en papier.

Le corps du fes­ti­val éparpille ses orga­nes vitaux dans dif­fé­rents coins de la ville. Le siège conti­nue d’accueillir les allées et venues des nou­veaux arri­vants ; il est aussi un lieu de ren­contre pri­vi­lé­gié pour les rendez-vous pro­fes­sion­nels. Au ciné Burkina, au Neerwaya, au ciné Oubri le soir, au CCF Georges Méliès et au Cenasa, on assiste à l’ensem­ble des pro­jec­tions des films en com­pé­ti­tion offi­cielle. Le centre de presse abrite des confé­ren­ces et un cyber espace, et les jour­na­lis­tes de toutes natio­na­li­tés y vien­nent régu­liè­re­ment en quête d’infor­ma­tions ou d’une connexion Internet accep­ta­ble. Enfin, l’hôtel Indépendance accueille les réa­li­sa­teurs en com­pé­ti­tion et les comé­diens prin­ci­paux de leurs films. De nom­breux jour­na­lis­tes et autres per­son­na­li­tés du micro­cosme ciné­ma­to­gra­phi­que afri­cain s’y offrent aussi un séjour tout confort. Toute la jour­née, le lieu est agité de va-et-vient. La presse se bous­cule pour glaner autant d’inter­views que pos­si­ble, les amis et rela­tions des per­son­na­li­tés vien­nent leur rendre visite, enfin une masse de curieux vient se diver­tir au spec­ta­cle de cette agi­ta­tion très « select ».

De mon côté, je vis ma pre­mière grosse jour­née de pro­jec­tions. Me voilà confron­tée à l’épineuse ques­tion du choix. Nous ne dis­po­sons que de peu d’infor­ma­tions pour sélec­tion­ner les films que nous vou­lons voir. La plu­part des réa­li­sa­teurs me sont inconnus, sans parler des comé­diens. Les synop­sis des bro­chu­res offi­ciel­les ne per­met­tent pas vrai­ment de se faire une idée et rares sont les photos dis­po­ni­bles. On se fie donc aux titres et aux affi­ches, et selon la curio­sité de chacun aux pro­ve­nan­ces des films. Par chance, les pro­jec­tions de presse orga­ni­sées à Paris avant mon départ limi­tent un peu le nombre des films qu’il me reste à voir. Aujourd’hui mes choix n’ont pas été très heu­reux, et je com­mence à me deman­der com­ment éviter les décep­tions. Pas facile à moins de se fier au bouche-à-oreille, et encore ; Evidemment cela sup­pose d’atten­dre que d’autres aient assisté aux pro­jec­tions et le temps risque de man­quer. Il faut donc accep­ter le risque d’une intense frus­tra­tion et les regrets en cas de choix mal­heu­reux.

Dans l’après-midi, je me rends à l’hôtel Indépendance où j’espère faire l’inter­view de Dany Glover. Star incontes­tée du cinéma à l’échelle mon­diale, l’acteur en est à se cin­quième visite au Fespaco. Il n’a raté aucune édition depuis 1999 et met un point d’hon­neur à sou­te­nir par sa pré­sence cet hom­mage rendu au sep­tième art à l’afri­caine. Je suis exci­tée et sous l’emprise d’un trac incroya­ble. Dans le hall de l’hôtel se laisse aspi­rer de place en place, guet­tant son arri­vée. Le temps passe en vain, et c’est un peu dépi­tée que je me résous à quit­ter l’hôtel bre­douille. Direction le ciné Neerwaya où est pro­jeté ce soir Teranga Blues, en com­pé­ti­tion pour le Sénégal. L’immense salle (1100 places assi­ses) est archi comble à cet horaire très prisé de 20h30. Les der­niers arri­vés se dis­pu­tent les quel­ques sièges libres dis­sé­mi­nés aux quatre coins de la salle et Moussa SENE ABSA est déjà en train de pré­sen­ter son film lors­que fait son entrée le fameux M. Glover, venu assis­ter en toute sim­pli­cité et sans la moin­dre escorte à un der­nier film avant de s’en retour­ner aux Etats-Unis. Son arri­vée ne semble pro­vo­quer aucun émoi par­ti­cu­lier, au point que je me demande si moi seule ai remar­qué sa pré­sence ! De là où je suis, il m’est impos­si­ble de me dépla­cer, et les lumiè­res s’éteignent au géné­ri­que de début alors que je me demande encore com­ment obte­nir l’inter­view tant convoi­tée.

Fin du film. L’audience se rue à l’exté­rieur et me voilà au milieu du bain de foule à quel­ques mètres de mon objec­tif suprême de la jour­née ! Je cher­che l’aplomb de sol­li­ci­ter à nou­veau un court ins­tant, essayant de choi­sir la for­mule la plus adap­tée, quand le regard de Dany Glover se pose acci­den­tel­le­ment sur moi. Dans une humi­lité qui le carac­té­rise tout à fait, le grand homme me reconnaît et s’excuse de n’être pas venu au rendez-vous qu’il m’avait fixé plus tôt. “Be at the hotel in 15-20 minu­tes, I’ll see you downs­tairs !”. Je n’en crois pas mes oreilles. Le temps de tra­ver­ser la cohue auto­mo­bile à la sortie de la salle, et me voilà de nou­veau en route pour l’Indépendance, tout mon maté­riel d’inter­view sorti et déjà prêt à l’emploi.

Après une courte attente dans le hall d’entrée, je ren­contre enfin cet homme d’une grande géné­ro­sité qui m’accorde l’inter­view tant espé­rée alors même que l’heure de son départ pour l’aéro­port a sonné. Décidément ce Fespaco me réserve bien des sur­pri­ses !

Après une der­nière pro­jec­tion et un rapide dîner, je rejoins tard et épuisée ma cham­bre d’hôtel. Cette semaine s’annonce riche autant qu’éprouvante… Quels autres sou­ve­nirs impro­ba­bles va-t-elle m’offrir ?

Mardi 27 Février

Le réveil me tire d’un som­meil de plomb, car j’ai décidé d’assis­ter à une pro­jec­tion à 8h00. Je mesure du fond de ma lourde fati­gue l’avan­tage de loger en plein centre, près de tout et par­ti­cu­liè­re­ment du ciné Burkina où je me rends pré­ci­sé­ment. Les pre­miers gestes sont gau­ches. Je doute un ins­tant d’avoir l’esprit assez alerte pour appré­cier un film, si bon soit-il… Heureusement, l’enga­ge­ment pris avec Laure, co-reli­gion­naire de Clap Noir m’inter­dit de me poser trop long­temps la ques­tion. Je me res­sai­sis donc bien vite et suis prête lorsqu’elle frappe à ma porte. En route !

La salle est étonnamment rem­plie, compte-tenu de l’horaire mati­nal. C’est que les échos autour du film pro­posé ont été bons à l’issue de ses pre­miè­res pré­sen­ta­tions. Je mesure à cette sur­pre­nante affluence l’impact géné­ra­lisé du bouche-à-oreille. La jour­née est ainsi lancée et la fati­gue d’autant plus vite oubliée que cette fois le film m’a pro­curé un bon moment de cinéma. Je me sur­prend même à rester à la pro­jec­tion sui­vante, me sen­tant fina­le­ment l’esprit tout à fait dispos.

A la sortie de la salle le soleil au zénith me sur­prend, anes­thé­siée que je suis par quatre heures d’obs­cu­rité et de cli­ma­ti­sa­tion for­ce­née. La cha­leur de Ouagadougou en février me semble chaque jour nou­velle, malgré une semaine déjà passée ici. Je réa­lise en me fai­sant cette réflexion que mon voyage est déjà à mi-par­cours. Plus que jamais, je res­sens l’envie de pro­fi­ter de chaque ins­tant.

Nous nous réu­nis­sons pour déjeu­ner dans le patio ombragé d’une petite auberge légè­re­ment excen­trée – Le Samaritain. L’équipe de Clap pres­que com­plète vient cher­cher ici un peu de fraî­cheur et de calme pour échanger toutes ses impres­sions, toutes ses anec­do­tes, tous ses com­men­tai­res. Il y pala­bre autour du plat de midi, et nous sommes tous pris d’un enthou­siasme qui confine à la fré­né­sie lors­que nous confron­tons nos opi­nions sur les longs métra­ges en com­pé­ti­tion. Quelques films sem­blent faire l’una­ni­mité, autant dans la caté­go­rie chef d’œuvre que navet ! Les écarts de qua­lité au sein de la sélec­tion offi­cielle nous lais­sent tous per­plexes, au point que je me demande si cer­tains films ont béné­fi­cié de passe-droits ou si le comité s’était fixé un nombre d’œuvres à attein­dre coûte que coûte. Au fil des débats, nous élaborons vite nos pre­miè­res conjec­tu­res quant aux films que nous voyons en can­di­dats sérieux à l’étalon. Je me sens entrer de plus en plus pro­fon­dé­ment dans l’aspect com­pé­ti­tif du fes­ti­val et je me laisse volon­tiers aller à ce sen­ti­ment gri­sant. Déjà je me sens l’envie de défen­dre mes pou­lains, et de les voir appré­ciés et primés. On croit tou­jours avoir raison en pareille situa­tion !

N’ayant pas prévu de pro­jec­tion avant les séan­ces du soir, je m’accorde une pro­me­nade Au marché où je sou­haite ache­ter des cou­pons de tissus. C’est la pre­mière virée de ce type depuis mon arri­vée et elle est de courte durée, mais il est fort plai­sant de s’extraire un ins­tant du cadre un peu fermé pour renouer avec la vie, la vraie, celle du dehors, à ciel ouvert sous un soleil main­te­nant décli­nant. Visage pâle que je suis, j’attire à l’évidence toutes les convoi­ti­ses com­mer­çan­tes. J’avance de sol­li­ci­ta­tion en sol­li­ci­ta­tion, deve­nant à chaque pas un peu plus douée dans l’art d’évincer les rabat­teurs sans me mon­trer désa­gréa­ble ; mais il faut savoir être ferme sous peine de ne pas trou­ver de répit. A la sortie de la pre­mière bou­ti­que, me voilà prise en charge pas un jeune dési­reux de gagner sa com­mis­sion sur mes achats à venir. Dans ses pas, je passe de bou­ti­que en bou­ti­que pen­dant une heure envi­ron, avant de conclure un achat sans doute bien moin­dre que ce à quoi il s’était attendu. Je l’avais pour­tant pré­venu, mais que faire ? La cou­leur de ma peau crie ici bien plus fort que tous mes aver­tis­se­ments. Déjà fati­guée de cette expé­rience du com­merce local, je décide de ren­trer à l’hôtel m’isoler au calme pour tra­vailler. L’envie d’arpen­ter les rues m’est bel et bien passée pour l’ins­tant.

Le soir est arrivé. Nouveau départ pour le Neerwaya. On pro­jette un film sur lequel on ne tarit pas d’éloge… mieux vaut arri­ver à l’heure ! A la sortie de l’hôtel, je siffle le pre­mier taxi « Ciné Neerwaya, 300 ! OK ». Une fois entrée je réa­lise que le chauf­feur ne sais pas bien où il va. Nous deman­dons notre chemin à un pas­sant, il est déjà 20h10 et la pro­jec­tion débute à 20h30. Pas tou­jours facile d’être pres­sée à Ouagadougou. J’arrive en effet pour trou­ver deux lon­gues files d’attente. Ce soir encore, le Neerwaya fera salle comble. EZRA, film nigé­rian de Newton Aduaka, attire les foules. C’est le petit phé­no­mène du Fespaco. Un sérieux concur­rent à l’étalon, sans doute le choix le plus una­nime de la com­pé­ti­tion, mais pas le plus inédit for­mel­le­ment. Dans la salle archi comble un silence se fait à l’extinc­tion de la lumière. Le sem­pi­ter­nel spot Coca-Cola dif­fusé à chaque séance énerve encore. Cela s’est déjà mani­festé sous la forme de huées et sif­flets lors de séan­ces pas­sées. Nouveau silence, le film démarre. L’ennui, pour une habi­tuée des salles obs­cu­res pari­sien­nes comme moi, c’est que le silence au cinéma à Ouagadougou n’est jamais qu’un état pas­sa­ger ! Ici per­sonne ne trouve qu’il soit contra­dic­toire de répon­dre au télé­phone et même d’entre­te­nir toute une conver­sa­tion télé­pho­ni­que en pleine séance de cinéma. Je crains d’ali­men­ter le cliché du blanc coincé si je fais un com­men­taire, je peste donc dans ma barbe et subis coups de fil après coup de fil… C’est le cinéma à la sauce locale.

Après la séance nous filons à « la Forêt », un res­tau­rant chic et bran­ché où étrangers et jeu­nesse oua­ga­laise pri­vi­lé­giée vien­nent dégus­ter de déli­cieu­ses bro­chet­tes de bœuf au bord d’une pis­cine. Un moment char­mant qui se paie, tout ici se paie bien au-delà du prix moyen. Quand nous quit­tons le res­tau­rant, nous cher­chons en vain un taxi en avan­çant pour ne pas perdre plus de temps que néces­saire et réduire si pos­si­ble les trac­ta­tions au moment de négo­cier la course. A cette heure tar­dive, les rues de Ouagadougou sont déser­tes, la cir­cu­la­tion a cessé depuis belle lurette. Un taxi nous prend enfin en charge et nous dépose au Calypso, un repère d’oiseaux de nuit où on mange à 3h00 du matin dans une cour éclairée. L’inté­rieur est une petite dis­co­thè­que sur­peu­plée. Les lieux sont agités d’allées et venues per­ma­nen­tes entre l’inté­rieur et l’exté­rieur, la four­naise et la fraî­cheur. La tem­pé­ra­ture est encore échauffée par la pré­sence en grand nombre de jeunes femmes en tenues plus que sug­ges­ti­ves, cher­chant la com­pa­gnie des hommes blancs de pré­fé­rence ou du moins affi­chant des signes exté­rieurs de richesse. Elle com­po­sent une pro­por­tion impor­tante de la « clien­tèle » du lieu, et je me sens assez mal à l’aise d’assis­ter au spec­ta­cle de leurs tra­vaux d’appro­che sys­té­ma­ti­ques. Je réa­lise comme cer­tai­nes pra­ti­ques ouver­te­ment affi­chées ici sont scru­pu­leu­se­ment gar­dées dans le domaine de l’invi­si­ble à Paris, en tous cas dans la plu­part des lieux de sortie conven­tion­nels. Paradoxe d’une société pour­tant censée abor­der les ques­tions liées à la sexua­lité avec plus de pudeur et de rete­nue que la nôtre…

Après avoir un peu pro­fité de la fraî­cheur de ce petit patio pour pren­dre ce der­nier verre ensem­ble et scel­ler ainsi notre pre­mière sortie com­mune entre « cla­pis­tes », nous nous en retour­nons vers nos héber­ge­ments res­pec­tifs. De retour à l’hôtel vers 3h45, je me mets à écrire pour évacuer toutes ces nou­vel­les images du jour. A 4h30, je réa­lise en enten­dant pour la pre­mière fois le chant du muez­zin qu’il est grand temps de « rendre l’antenne », selon l’expres­sion consa­crée des fes­ti­va­liers du Fespaco.

Mercredi 28 février.

Aujourd’hui est consa­cré à l’écriture et à la pêche aux inter­views. Le temps a déjà passé depuis le début du fes­ti­val et l’agi­ta­tion est en cons­tante ascen­sion. Chacun com­mence à se sou­cier à l’idée de ne pas avoir fait à la fin de la semaine ce qu’il s’était fixé. A l’Indépendance, les jour­na­lis­tes enva­his­sent lit­té­ra­le­ment le hall qui ne désem­plit plus. Les files d’attente sont de plus en plus lon­gues aux séan­ces de cinéma, et on y refuse de plus en plus de monde, faute de capa­cité d’accueil face à une affluence déli­rante. Les pre­miers pro­nos­tics se confir­ment déjà, au fil des pro­jec­tions. Le pal­ma­rès com­mence à se lais­ser devi­ner, même si rien n’est acquis d’avance.

Un peu par­tout sur le fes­ti­val on entend parler d’une soirée qui excite les fes­ti­va­liers. Il s’agit d’une récep­tion chez Fanta Régina Nacro, cou­tu­mière du fait, qui orga­nise à chaque édition une récep­tion où se regroupe tout le gratin du Fespaco. Malheureusement à l’heure dite le rythme et la cadence du fes­ti­val ont déjà eu raison de moi et je me suis endor­mie dans ma cham­bre d’hôtel. C’est un métier que le show busi­ness, et il demande de l’énergie ! Raté pour cette fois, je serai sans doute plus endu­rante à la pro­chaine édition. En me réveillant dans ma cham­bre d’hôtel à deux heures du matin pas­sées, je fais le deuil de cette occa­sion de ren­contrer en un seul lieu les acteurs majeurs du cinéma Africain…

Les grands rendez-vous du Fespaco ne figu­rent pas tous dans le pro­gramme offi­ciel !

Jeudi 1° Mars

Le matin est réservé à une inter­view très atten­due avec Abderrahmane Sissako. Réalisateur le plus convoité du fes­ti­val, il a accepté de nous accor­der un moment malgré son plan­ning très chargé. Lui aussi com­mence à accu­ser le coup, rien d’étonnant compte tenu des main­tes sol­li­ci­ta­tions dont il est l’objet. Tous les réa­li­sa­teurs pré­sents pren­nent d’ailleurs très à cœur leur mis­sion de repré­sen­ta­tion, et les jours pas­sant la fati­gue com­mence à se lire sur tous les visa­ges.

Malheureusement le taxi qui doit nous emme­ner à l’hôtel Indépendance est un peu égaré, et nous tour­nons un moment avant d’attein­dre enfin la des­ti­na­tion de notre course. En retard… Ben nous attend déjà sur place ; il a vu passer et repas­ser A. Sissako et nous crai­gnons fort d’avoir raté notre chance. Déterminés, nous res­tons tout de même dans les para­ges en espé­rant obte­nir même tar­di­ve­ment cette inter­view qui répon­drait à tant de ques­tions que nous nous sommes posées face à son film, et qu’on nous a également posées lors des pro­jec­tions orga­ni­sées par Clap Noir. Quel bon­heur que de pou­voir ques­tion­ner le créa­teur d’un film en per­sonne sur ses inten­tions, de mettre un terme aux conjec­tu­res et de leur sub­sti­tuer des répon­ses !

Enfin l’homme repa­raît, nous nous lan­çons comme un seul homme dans sa direc­tion, armés de micros et appa­reils photos. Mais il est effec­ti­ve­ment trop tard, A. Sissako est attendu et il n’a plus assez de temps pour nous accor­der une inter­view digne de ce nom. Alors que je me pré­pare déjà à devoir renon­cer pure­ment et sim­ple­ment à cet échange qui me tenait tant à cœur, voilà qu’il nous fixe un der­nier rendez-vous pour samedi. Alléluia ! Je suis au comble du bon­heur, la pro­chaine fois, je ne lais­se­rai aucun taxi ou autre inci­dent de par­cours m’empê­cher de réa­li­ser cette inter­view.

Nous nous sommes tous repo­sés hier, aucun d’entre nous n’ayant trouvé l’énergie de pren­dre part aux fes­ti­vi­tés chez Fanta Régina Nacro. Ce soir en revan­che, nous déci­dons de nous prêter au jeu des mon­da­ni­tés (très bon enfant) du fes­ti­val en étant pré­sents au Bal de la Guilde – la Guilde des Réalisateurs Africains- qui se tient au Carrefour International du Théâtre de Ouagadougou, un petit lieu plein de bonnes vibra­tions où j’avais déjà assisté à une pièce de théâ­tre avant le début du fes­ti­val. Nous arri­vons à une heure un peu avan­cée, pen­sant trou­ver la fête à son apogée… c’est plutôt le contraire qui se pro­duit. Le lieu a déjà com­mencé à se vider et la musi­que ne semble pas vrai­ment faire vibrer la foule. Rapidement, la soirée touche à sa fin, nous lais­sant un peu sur notre faim, à nous. Encore une courte nuit et nous entre­rons dans les 48 heures les plus effré­nées de la semaine.

Vendredi 2 Mars

Aujourd’hui est le jour des choix les plus cru­ciaux, car en dehors des films primés qui seront pro­je­tés demain, c’est la der­nière chance pour les fes­ti­va­liers d’assis­ter aux pro­jec­tions qui les inté­res­sent. Tous sont donc à pied d’œuvre dès le matin.

De mon côté, je choi­sis d’assis­ter à une mati­née de confé­rence du « Côté Doc », un fes­ti­val dédié au docu­men­taire orga­nisé par l’asso­cia­tion « Ecrans », en par­te­na­riat avec Arte. Tous les jours au CCF, le « Côté Doc » a orga­nisé des ren­contres avec des pro­fes­sion­nels du docu­men­taire, qu’ils soient auteurs, pro­duc­teurs, cri­ti­ques… Les débats s’accom­pa­gnent aussi de pro­jec­tions, cer­tains des films ont d’ailleurs fait grand bruit sur le fes­ti­val, malgré la pri­mauté lais­sée à la fic­tion. Aujourd’hui le thème de la confé­rence est l’écriture docu­men­taire. Dès 10 heures, et malgré les mines un peu endor­mies, les par­ti­ci­pants com­men­cent à affluer. Le débat s’engage dans une salle encore clair­se­mée, mais rapi­de­ment les ran­gées de sièges se rem­plis­sent et les ques­tions de l’audi­toire com­men­cent à fuser. L’échange est très inté­res­sant, les inter­ve­nants écoutent et répon­dent avec une grande dis­po­ni­bi­lité et sans fausse pudeur aux nom­breu­ses ques­tions qui leur sont posées par un audi­toire de tous âges et tous hori­zons.

De retour à l’hôtel dans l’après-midi, nous fai­sons un point sur les acti­vi­tés de chacun et les der­niè­res pro­jec­tions. Les convic­tions sont de plus en plus fortes quant aux films qui devraient être primés. N’ayant pas assisté aux mêmes pro­jec­tions aux mêmes moments, chacun attend de pou­voir échanger avec les autres ses opi­nions sur les films qui l’ont touché, inter­pellé, déçu… Décidément le débat fait rage. Alors que cer­tains ont adoré un film, d’autres se moquent de les enten­dre en faire l’éloge. Les argu­ments pour et contre fusent dans une dis­cus­sion qui pour­rait être sans fin. Nous par­ta­geons nos meilleurs moments dans ces débats de cri­ti­ques, et y trou­vons aussi tou­jours l’occa­sion de rela­ti­vi­ser nos points de vue. L’échange est d’autant plus inté­res­sant que nous avons au sein de la rédac­tion des pro­fils très divers, lais­sant pré­sa­ger des dif­fé­ren­ces d’appré­cia­tion des films par le public, également très hété­ro­clite. Le sus­pense est à son comble, d’autant que le pal­ma­rès est pour demain.

Dans l’après-midi seront déjà remis la cohorte de prix spé­ciaux, récom­pen­sant des films selon des cri­tè­res variés et par­fois obs­curs. Il existe une tren­taine de prix décer­nés par toutes sortes d’orga­ni­sa­tions, en marge du pal­ma­rès offi­ciel.

Nous nous sépa­rons en fin de jour­née pour vaquer encore à nos occu­pa­tions et assis­ter aux toutes der­niè­res pro­jec­tions, puis nous retrou­vons de nou­veau dans la soirée. Rendez-vous au « Kunde », un maquis popu­laire de la jeu­nesse oua­ga­laise où on mange et boit en plein air au son des der­niè­res nou­veau­tés de la variété afri­caine à la mode. Le lieu est extrê­me­ment fré­quenté et la fête y bat son plein, jusqu’à ce qu’un accro­chage entre jeunes alcoo­li­sés ne mette un terme sou­dain à la soirée. Il ne nous reste donc plus qu’à rejoin­dre nos péna­tes avant le bou­quet final de la céré­mo­nie de clô­ture et du pal­ma­rès, demain. Je me couche et m’endors dans l’exci­ta­tion des veilles de grand jour. Je me sens à la fois au comble de l’exci­ta­tion, et un déjà un peu nos­tal­gi­que à l’idée que cette grande fête du cinéma touche déjà à sa fin.

Samedi 3 Mars

Nous y voilà. Rien n’occupe les esprits en ce samedi plus que l’attente du pal­ma­rès. Côté rédac­tion, on s’agite à essayer de ter­mi­ner le plus grand nombre de mises en ligne pos­si­ble avant le début de la céré­mo­nie. De nou­veau celle-ci se tient au stade, en grand appa­rat. De nou­veau les consi­gnes sont clai­res, il faut arri­ver tôt et mon­trer patte blan­che pour accé­der à la tri­bune des offi­ciels. Quelques couacs dans l’orga­ni­sa­tion vien­nent encore entra­ver le bon dérou­le­ment de la céré­mo­nie. Certains invi­tés ont été contraints de repren­dre l’avion avant l’annonce des résul­tats. Parmi eux des artis­tes dont on s’attend à ce qu’ils reçoi­vent une récom­pense déplo­rent de ne pou­voir assis­ter à la remise des prix, mais les réser­va­tions ont été faites et rien ne chan­gera, en dépit de la logi­que !

La céré­mo­nie débute au stade alors que je suis encore affai­rée à mes tra­vaux d’écriture. A l’hôtel toute l’équipe du per­son­nel est rivée devant la télé­vi­sion, com­men­tant abon­dam­ment le contenu du spec­ta­cle et chan­tant en cœur avec les artis­tes bur­ki­na­bés. Alors que l’obs­cu­rité s’ins­talle dans le patio où je tente de conti­nuer à tra­vailler malgré tout, des cris atti­rent mon atten­tion et je cours rejoin­dre tout le monde devant le télé­vi­seur sus­pendu. Le pal­ma­rès va com­men­cer !!!

L’exci­ta­tion est géné­rale, un silence s’ins­talle et une forme de ner­vo­sité mêlée d’enthou­siasme enva­hit la salle. Le pro­to­cole démarre, avec pré­sen­ta­tion et inter­ven­tion des nota­bles conviés à l’événement. Encore une fois le spec­ta­cle traîne en lon­gueur, mais enfin les pre­miè­res récom­pen­ses tom­bent. La grande sur­prise vient d’un film algé­rien, « Barakat », qui rafle trois prix dont meilleure pre­mière œuvre et meilleur scé­na­rio. Ce film m’avait tota­le­ment échappé, et nous sommes nom­breux à n’avoir pas du tout envi­sagé de le voir ainsi récom­pensé. La réa­li­sa­trice elle-même semble étonnée de l’accueil triom­phal qui a été réservé à son film. Une ving­taine de prix sont décer­nés (le pal­ma­rès est entiè­re­ment consul­ta­ble en ligne sur le site) dont trois étalons, le prix du meilleur mon­tage, de la meilleure musi­que, des meilleurs inter­prè­tes, du meilleur décor, du meilleur son… L’étalon d’argent est celui qui sur­prend le plus. Récompensant un film à l’ori­gi­na­lité incontes­ta­ble, il entend valo­ri­ser la prise de risque d’un créa­teur came­rou­nais décalé et engagé, Jean-Pierre Bekolo. Les réac­tions sus­ci­tées par ce film étaient loin de faire l’una­ni­mité, on peut dire quant à ce choix que le jury n’a pas fait dans la déma­go­gie. L’étalon de bronze va à Darrat, film qui fai­sait parler de lui depuis le début de la com­pé­ti­tion, et l’étalon d’or à Ezra, pre­mier long-métrage du Nigérian Newton Aduaka, plé­bis­cité par l’ensem­ble de la presse et des spec­ta­teurs. Un prix mérité mais sans sur­prise, donc.

Voilà ! La céré­mo­nie s’achève sur un petit goût amer : le départ et le retour en France sont main­te­nant tout pro­ches, il nous faut songer à refaire nos vali­ses. Dans la soirée nous fai­sons ensem­ble le bilan de nos impres­sions… et nous com­men­çons à rêver à l’édition 2009.

Sophie Perrin

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