Malgré les difficultés, pour beaucoup liées à leur condition, de plus en plus de femmes africaines se lancent dans les carrières du cinéma. Une conférence organisée par Afrikamera à Berlin était l’occasion d’aborder cette évolution.
En Afrique comme ailleurs, les femmes sont de plus en plus nombreuses à exercer les métiers du cinéma. Mais en dehors des actrices, elles manquent encore cruellement de visibilité et surtout de reconnaissance. Au dernier festival de Cannes par exemple, aucune femme n’était présente dans la sélection officielle. A la Berlinale, Ursula Meier était la seule réalisatrice en compétition pour l’Ours d’Or. Pour autant, en Afrique, la situation progresse, comme l’ont attesté les professionnelles africaines conviées à évoquer ce sujet lors d’une conférence organisée par le festival Afrikamera à Berlin.
« Avec le Fespaco, les autorités ont depuis longtemps mis l’accent sur le développement du cinéma. Si au début, on ne retrouvait les femmes que comme actrices et scripts, les choses ont beaucoup évolué. Depuis 2000, on observe qu’elles sont dans tous les métiers du cinéma, à la réalisation, mais aussi dans la technique, comme ingénieur du son ou lumière… Il n’y a plus vraiment de tabou » indique Georgette Paré, actrice et directrice de casting burkinabé, qui tient le rôle principal dans le film « Une femme pas comme les autres ». Certes, elles restent encore minoritaires, mais l’ISIS (Institut supérieur de l’image et du son), situé à Ouagadougou, accueille de nombreuses futures professionnelles. « Si je prends l’exemple du Ghana, où je suis née, historiquement, l’une de nos premières figures connues était Efua Sutherland, poète et écrivain qui a notamment travaillé pour la télévision américaine », cite Yaba Badoe, réalisatrice du documentaire Witches of Gambaga, projeté à la suite de la conférence. « Depuis lors, le pays compte de nombreuses cinéastes très connues. Je citerai notamment Shirley Frimpong-Manso, dont les films, qui parlent notamment des femmes, sur le ton de Sex in the City mais tourné au Ghana, sont très populaires. Il y a aussi Leila Djansi, aujourd’hui installée à Los Angeles. Son dernier film Sinking Sands traite des violences domestiques. Toutes les deux ont leur propre maison de production ».
Des films de femmes, mais pas seulement
Autant de réalisatrices de la nouvelle génération, qui suivent la voie ouverte par les pionnières, Safi Faye ou Fanta Régina Nacro. Mais se contentent-elles pour autant de « films de femmes » ? Bien au contraire, affirme June Givanni, curatrice et critique de films vivant à Londres et originaire de Guyane : « Les personnes arrivent au cinéma dans une quête d’esthétique, de forme, d’art, et vont s’emparer d’un thème qui les passionne comme Pascale Obolo, qui avant son film Femme invisible a réalisé deux documentaires sur la musique à Trinidad et Tobago ». D’autres vont faire des films engagés, qui parlent de politique dans leur pays, à l’instar de la camerounaise Osvalde Lewatt avec deux documentaires Au delà de la peine et Une affaire de nègres ... « Mais il est vrai que quand les gens débutent, ils peuvent choisir une histoire personnelle, un thème qui les touche, » poursuit-elle.« Pour cette raison, on va trouver de nombreux films de femmes qui concernent les femmes ». Citons par exemple Ties that bind, de Leila Djansi, Perfect Picture de Shirley Frimpong-Manso, la trilogie de Katy Lena N’Diaye, les films de Kady Sylla ou Angèle Diabang...
Les difficultés de financement, qui ne sont pas propres aux réalisatrices, peuvent aussi entraîner un biais dans le choix des thématiques. « Bon nombre d’organisations s’intéressent au sort des femmes en Afrique et encouragent ces thèmes. Il apparaît donc plus simple aujourd’hui de faire financer de tels films », remarque Georgette Paré. C’est le cas d’une nouvelle génération de documentaristes francophones qui aborde la condition féminine, comme Gentille M. Assih ou Awa Traoré. Toutefois, nuance June Givanni, « si vous êtes une femme au Nigéria par exemple, vous pouvez tout à fait trouver des financements, uniquement sur l’aspect commercial du film. Va-t-il plaire au grand public ou non ? ».
Les documentaires semblent être un genre apprécié des réalisatrices. A nouveau, cela a trait, de l’avis des intéressées, aux difficultés de financement. D’une part, un documentaire est plus léger à réaliser, en termes de moyens. D’autre part, il permet de travailler dans l’attente, parfois longue, d’un accord pour le tournage du prochain long métrage.
Encourager la scolarisation des filles
Mais de très nombreux obstacles restent aussi à franchir pour que la part des femmes dans le cinéma africain progresse davantage. « On observe des blocages de la part des femmes elles-mêmes. Mais avec les quotas et la sensibilisation, cela se détend lentement », souligne Georgette Paré. Problème tout aussi profond, la scolarisation des filles. Il faut en effet encourager les parents à envoyer les filles à l’école, faute de quoi les pays africains et donc le 7ème art manquera toujours d’intellectuelles. D’autres problèmes, enfin, ont été cités, sans être spécifiques aux femmes, comme la disparition de la culture cinématographie, qui tend à revenir dans certains pays comme le Nigéria, et surtout le manque de salles pour projeter les films… En Afrique, encore plus qu’ailleurs, faire du cinéma est une affaire de passion et de ténacité.
Gwénaëlle Deboutte
Clap Noir
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