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Vagabondages Cinématographiques
Publié le : mercredi 17 octobre 2018
34eme Rencontres de Gindou 2018

À Gindou plus qu’ailleurs, un train peut en cacher un autre. C’est le grand cinéaste d’ani­ma­tion Jean-François Laguionie qui avait les hon­neurs cette année, et ses films firent les déli­ces d’un public par­ti­cu­liè­re­ment rajeuni pour l’occa­sion. Tout habi­tué à ce fes­ti­val à la cam­pa­gne arrive convaincu que ses jour­nées et ses nuits seront jalon­nées de sur­pri­ses. La plu­part décou­ver­tes dans l’éclectique caté­go­rie Vagabondages Cinématographiques. Et ce fut le cas, encore cette année .
Sans annonce par­ti­cu­lière, on y décou­vrit cinq films, quatre docu­men­tai­res et un film d’ani­ma­tion en prise directe avec l’Afrique .
Trois d’entre eux par­laient de l’exil, Partir de David Martin et Mathieu Robin Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, Rencontrer mon Père d’Alassane Diago.
Les deux autres témoi­gnaient de l’his­toire en mou­ve­ment, actuelle et bur­ki­nabè pour Les Enfants de la Révolte d’Emilien Bernard plus ancienne et sud afri­caine dans Le Procès contre Mandela et les Autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte.
Géographie et his­toire des liens croi­sés entre nos deux conti­nents .

Partir

Partir de David Martin et Mathieu Robin

Les che­mins qu’emprun­tent une œuvre pour nous par­ve­nir sont révé­la­teurs du sujet même quelle traite. Trois mineurs non accom­pa­gnés arri­vent dans un centre d’accueil pour migrants dans les Cévennes, leur ensei­gnante de fran­çais les aide à mettre des mots sur leur par­cours. Le scé­na­rio de Partir est lau­réat du concours "Le Goût des Autres" orga­nisé par Gindou Cinéma, le père de l’ensei­gnante, des­si­na­teur pour un jour­nal saty­ri­que accepte d’illus­trer le récit, Le-Lokal Production à Toulouse se lance dans l’aven­ture. Et voici le malien Ibrahima Drame et l’ivoi­rien Aboubakar Keita (le troi­sième est parti vivre sa vie ailleurs) qui pré­sen­tent leur film devant des cen­tai­nes de per­son­nes à Gindou, France.
L’his­toire d’un jeune garçon noir qui quitte son vil­lage de brousse direc­tion le nord attiré par la photo d’une belle fran­çaise blonde. Treize minu­tes où tout est dit, les fron­tiè­res, la soli­tude, les coups, les pas­seurs, les bateaux, le racisme, les ren­contres. Jusqu’à l’arri­vée en France entre deux poli­ciers et la décou­verte du visage tant désiré collé sur les pan­neaux électoraux . Une petite mer­veille de sim­pli­cité et d’intel­li­gence. Félicitations à toute l’équipe

Exils d’ici et d’ailleurs

Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, et Rencontrer mon père d’Alassane Diago , deux docu­men­tai­res, deux visions de l’exil et de ses consé­quen­ces sur la famille. Si Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, est un ode d’amour à sa mère, quit­tant sa Kabylie natale pour rejoin­dre son mari, ouvrier en France, où elle a élevé leurs neuf enfants, Rencontrer mon père, d’ Alassane Diago, est une aride quête de reconnais­sance auprès d’un père, qui, parti il y a pres­que 30 ans gagner sa vie au Gabon n’a jamais donné signe de vie à sa famille séné­ga­laise. Avec comme invi­tée vedette, la caméra. Un trian­gle cons­ti­tué par le réa­li­sa­teur, sa caméra et le per­son­nage étudié.

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Nadir Dendoune © Nelly Blayat

Des Figues en Avril de Nadir Dendoune

Et même si Nadir inter­rogé sur le film d’Alassane déclare qu’« on n’a pas le droit de se servir de sa caméra pour régler ses comp­tes », il ne fait pas autre chose, en creux du tendre por­trait mater­nel que de régler les siens envers son pays, la France, et au pla­fond de verre qu’elle conti­nue d’oppo­ser aux siens.
Plafond qu’il n’a eu de cesse de crever puis­que, jour­na­liste pigiste, il est parti s’expa­trier en Australie, a effec­tué un tour du monde à vélo, a servi de bou­clier humain pen­dant la guerre en Irak, s’est imposé par la ruse dans une expé­di­tion au sommet de l’Everest, (Un Tocard sur le Toit du Monde, Lattes) . La qua­ran­taine venue, il revient sur ses raci­nes, sa famille, sa mère, son pivot . Cette femme qui n’a pas eu le droit d’appren­dre à lire, mais a élevé par­fai­te­ment neuf citoyens fran­çais, il lui rend , s’il en était besoin, sa dignité. Il l’a suit dans sa cui­sine, l’inter­roge dou­ce­ment, l’écoute, la regarde vivre main­te­nant que le père n’est plus là, pen­sion­naire d’une maison de retraite où elle se rend chaque jour. On garde son sou­rire, ses yeux mali­cieux , ses gestes soi­gnés et la pudeur de cette mon­ta­gnarde de Kabylie, qui, du haut de son balcon du 9eme regarde le monde s’agiter en écoutant Slimane Azem, son com­pa­triote, chan­ter « l’exil m’a fait tour­ner la tête jusqu’à me faire oublier la route ».

Rencontrer mon père d’Alassane Diago

C’est exac­te­ment les paro­les qu’Alassane vou­drait enten­dre de la bouche de son père et qui ne vien­dront jamais, malgré les deman­des, priè­res, inter­ro­ga­tions muet­tes de ce tren­te­naire, orphe­lin de fait, élevé par une mère aban­don­née et sans res­sour­ces. Geste fou que celui de refaire le voyage du père, quit­tant le Sénégal pour cher­cher du tra­vail au Gabon, retrou­ver ce der­nier, demeu­rer près de lui de son épouse gabo­naise et de leurs cinq enfants, vain­cre un tabou en men­diant des excu­ses, des regrets, cher­chant la confu­sion où il ne trou­vera qu’arro­gance bles­sée. Pour son troi­sième long métrage après Les Larmes de l’Émigration (qui retrace la vie de sa mère) et La vie n’est pas Immobile(celle des femmes de son vil­lage), films lar­ge­ment récom­pen­sés, Alassane Diago, révélé par les rési­den­ces d’écriture d’Africadoc , atta­que son sujet de front et dans l’ordre.
D’abord la mère, au Sénégal, ses mains défai­sant les nœuds d’un tapis, invo­quant Dieu et le mara­bout, vain­cue par 30 ans d’attente d’un mari parti « dans un pays non musul­man où il ne fait pas bon vivre. » Puis le père, peul occupé à nour­rir quatre chè­vres, tout ce qui reste de son trou­peau, peu aima­ble et buté.
Humilié d’avoir décou­vert le pre­mier film de son fils à la télé­vi­sion, comme tout le vil­lage, il refuse de parler en pré­sence de la caméra , joue à l’infini avec deux télé­pho­nes por­ta­bles, muets comme lui, en par­lant de son amour pour ses bêtes. « Je me dois de les aimer ». Et nous ? « C’est la volonté divine, si je peux faire quel­que chose, je le fais, c’est pareil pour vous là-bas ».
Avec pour témoins, ses sœurs, ses frères, la maman gabo­naise, qui l’accueillent avec une sim­pli­cité affec­tueuse. Scènes de rues, de famille, de pluies alter­nent avec le huis clos. Un père immo­bile , le monde autour. Et au moment du départ, le chemin de croix s’éclaire, le père se redresse, vêtu de son plus beau basin, retrouve sa superbe. « Ce que tu as fait est gran­diose, c’est à toi qu’on devrait deman­der pardon , aller à la ren­contre de ton père, c’est ter­ri­ble, j’ai eu peur pour toi ». Une ques­tion reste en sus­pens : que se sont ils dit hors caméra ? Fin de l’exer­cice.

Les Enfants de la Révolte

Les Enfants de la Révolte d’Emilien Bernard

Lieu de l’action : le campus uni­ver­si­taire Joseph Ki Zerbo à Ouagadougou, Burkina Faso. Temps de l’action : en 2015, les semai­nes autour des pre­miè­res élections libres orga­ni­sées par le régime de tran­si­tion suite à la chute de Blaise Compaoré en octo­bre 2014. Personnages : Madeleine, étudiante en droit, Serge étudiant en lit­té­ra­ture . Zoomer sur les étudiants, les dis­cours enflam­més du garçon, les hési­ta­tions de la fille. On ne verra pas la rue, on n’enten­dra pas les mem­bres du Balai Citoyen qui firent le grand ménage le 31 octo­bre 2014, c’est le choix du réa­li­sa­teur, Emilien Berbard fami­lier du Burkina. Qu’atten­dre de la future élite du pays ? Comment voient-ils l’avenir ?
Et, de fait, en sui­vant Serge, vedette assu­mée du Cadre, un lieu de débat quo­ti­dien dont il est le fon­da­teur, en l’écoutant pro­cla­mer les slo­gans san­ka­ris­tes, remuer ses audi­teurs, orga­ni­ser des tables rondes, lui, l’acti­viste pana­fri­cain, le sen­ti­ment de leur impuis­sance nous gagne . L’uni­ver­sité, monde clos, sans relais média­ti­que. Hors sol. Alors, com­ment se battre ? Les can­di­dats à la pré­si­den­tielle sont nom­breux, on sent que tout est joué d’avance. Sauver la face, faire de grands gestes, donner des mots d’ordre et puis penser à sa maî­trise. « A quoi sert un étudiant ? » Pour Madeleine, c’est dif­fé­rent, son père au vil­lage, tra­vaille dur pour qu’elle attei­gne un jour son rêve, deve­nir magis­trate, pour­quoi pas pro­cu­reur du Faso ou ambas­sa­drice ? Logée dans une cité peu confor­ta­ble mais qui lui confère un statut de pri­vi­lé­giée, elle garde un pied au vil­lage où elle retrouve sa famille, le tra­vail de la terre, ses amies. « Si tu n’étais pas étudiante, tu serais mère toi aussi ». Ecouter Serge, suivre les mots d’ordre, mani­fes­ter, adop­ter un look de bat­tante, conseiller ses parents, oui elle va le faire.
Jusqu’aux résul­tats qui don­nent gagnant un proche de longue date de l’ancien pré­si­dent déchu , Roch Marc Christian Kaboré. A quoi ça sert ? « Avant j’écoutais Tiken Jah ou Alpha Blondy, mais ça me ren­dait trop révo­lu­tion­naire, main­te­nant j’écoute des musi­ques roman­ti­ques » Elle a décidé de lais­ser tomber la poli­ti­que, « les gens ne font que des règle­ments de compte, j’aurais pré­féré la dic­ta­ture, au moins on sait où on va » et elle retrouve ses tres­ses et ses études.
L’heure est venue d’écrire la nou­velle cons­ti­tu­tion, mais Serge refuse caté­go­ri­que­ment la nou­velle élite. « Les étudiants doi­vent faire réflé­chir le peuple ». Un espoir pour rien ?

Le Procès contre Mandela et les Autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte

Dans les années 1963/64, en Afrique du Sud, eut lieu un procès his­to­ri­que. Neuf hommes qui étaient sur le banc des accu­sés ris­quaient la peine de mort. Parmi eux Nelson Mandela, Ses com­pa­gnons l’avaient choisi comme tête de file car il était un brillant avocat, à l’encontre de Walter Sisulu, véri­ta­ble éminence grise de l’ANC (African National Congress), issu des town­ships.
D’où le nom : le Procès contre Mandela et les Autres. Pour s’oppo­ser au pro­cu­reur ouver­te­ment raciste ils déci­dè­rent de trans­for­mer leur procès en tri­bune contre l’Apartheid. Comme pour tous les procès, les images étaient inter­di­tes mais un enre­gis­tre­ment des 256 heures fut effec­tué sur un sup­port d’époque, bande plus tard numé­ri­sée. Fascinés par cette écoute, les réa­li­sa­teurs, appre­nant qu’il res­tait trois sur­vi­vants du procès ainsi que deux des avo­cats, se pré­ci­pi­tè­rent pour les inter­vie­wer. Ils les replon­gent au cœur d’un moment his­to­ri­que, qu’ils font revi­vre avec enthou­siasme. Un docu­men­taire sera cons­truit autour des inter­views, des images d’archi­ves et des­sins, avec pour seule préoc­cu­pa­tion de sauver de l’oubli ce témoi­gnage sen­sa­tion­nel.
Les dis­cours des pré­ve­nus et par­ti­cu­liè­re­ment de Mandela volon­tai­re­ment diri­gés moins pour leur défense par­ti­cu­lière qu’en faveur de la pro­pa­ga­tion de leurs idées, seront l’occa­sion de faire connaî­tre la lutte de ceux qui, jusque là vivaient dans la clan­des­ti­nité .
Cinq décen­nies plus tard, nous retrou­vons Winnie Mandela et son cri « Amandla » « le pou­voir au peuple », et tous ceux qui mirent leur vie au ser­vice d’un enga­ge­ment col­lec­tif.

Michèle Solle

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