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Andalucia : un film errant !
Publié le : jeudi 10 avril 2008

Le der­nier film d’Alain Gomis est un film errant.

C’est un film qui choi­sit de raconter un per­son­nage plus qu’une his­toire, de déli­vrer des sen­sa­tions plus qu’un propos, de cap­tu­rer des moments dis­joints au lieu de suivre sage­ment le fil d’une nar­ra­tion tenue. Les actions de Yacine ne sui­vent pas de rela­tion de cause à effet, elles ne se pro­vo­quent pas les unes les autres mais se font écho dans le désor­dre de ce qui res­sem­ble à une vie d’homme.

La suc­ces­sion de plans très courts qui ouvre le film ins­talle d’emblée le parti pris de liberté qui pré­side au film entier. Yacine joue avec des enfants, s’aban­don­nant au plai­sir d’être l’un d’entre eux. Yacine se fait masser, jouis­sant sim­ple­ment du bon­heur d’un ins­tant. Yacine attend, quoi ? On ne le sait pas. La caméra s’accro­che au per­son­nage, elle cher­che à le péné­trer, à faire corps avec lui. Elle l’aime et nous le fait aimer.

Autour de Yacine, la ville déploie son envi­ron­ne­ment fami­lier. C’est ni plus ni moins que Paris qui sert de cadre à ce récit rêvant d’ailleurs. Un Paris juste, vrai, comme celui où nous déam­bu­lons nous aussi.

Alain Gomis confirme dans Andalucia un goût et un talent pour le para­doxe qui fai­saient déjà la richesse de son pré­cé­dent long métrage, L’Afrance (2001). Comment qua­li­fier Yacine ? Comment le décrire en quel­ques mots ? C’est impos­si­ble. C’est dans sa com­plexité et ses contra­dic­tions que cet homme existe. Dans ses tour­ments qu’il trouve sa vérité et sa sim­pli­cité. Vagabond mys­ti­que, Yacine est tout aussi égal à lui-même dans sa petite cara­vane que lorsqu’il parade dans une boîte de nuit au public mon­dain. Aussi intense en dis­tri­buant par dou­bles rations la soupe popu­laire sur la hau­te­ment sym­bo­li­que place de la répu­bli­que qu’en trin­quant au cham­pa­gne avec une star du Rap bon marché. Aussi émouvant lorsqu’il caresse les lignes par­fai­tes d’une égérie sur une affi­che murale que lorsqu’il laisse partir au petit matin la même créa­ture avec qui il a passé la nuit, seule en robe du soir au milieu des rou­lot­tes sur le ter­rain vague où il a élu domi­cile.

Trait d’union entre ces expé­rien­ces hété­ro­cli­tes, un parfum de liberté. Yacine prend plai­sir à être à contre- temps, à contre cou­rant. C’est même sa raison de vivre. « Je veux pas rester au même endroit tout le temps », reven­di­que-t-il. La vie selon Gomis, c’est le choix contre la rési­gna­tion, l’ins­tant contre la pla­ni­fi­ca­tion, l’être contre le paraî­tre. Et la forme du film nous impose sa liberté de séquence en séquence, refu­sant le choix de la logi­que pour celui de la jus­tesse, de la sen­si­bi­lité, du par­tage. Pendant 1h40, le film nous charge d’une énergie rem­plie de fra­gi­lité qui nous rap­pelle qu’être fort c’est d’abord accep­ter ce qui est bon pour soi, quoi qu’en pense le monde autour, pren­dre le temps de le cher­cher, sans cer­ti­tude de le trou­ver. Un pari fou à l’aune d’une société de plus en plus nor­ma­li­sée. Mais après tout : et si le bon­heur était for­cé­ment en marge ?

Andalucia est un trajet, le par­cours ini­tia­ti­que d’un homme qui cher­che sa place : celle d’où il pourra obser­ver le monde en lui trou­vant un sens. Au gré des ren­contres et des situa­tions, c’est en se frot­tant à l’absurde que Yacine rend son uni­vers intel­li­gi­ble. En côtoyant la soli­tude, les acci­dents et les tour­ments, il se fraie un chemin vers une paix inté­rieure syno­nyme de légè­reté et de liberté qui explose comme une évidence dans les fes­ti­vi­tés bigar­rées de Tolède, loin de chez lui et des siens et pour­tant enfin face à lui-même.

A l’image de cette der­nière scène allé­go­ri­que, Andalucia nous laisse gon­flés d’un véri­ta­ble élan de joie de vivre et d’enthou­siasme.

Sophie Perrin

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