Le Festival panafricain de Ouagadougou (Fespaco) ouvrira bientôt ses portes et avec lui le lot de questions que les professionnels se posent d’une année sur l’autre. Parmi elles, figurera celle qui concernent le numérique puisque la compétition long-métrage est toujours exclusivement réservée aux copies 35mm. Retours vers le futur.
Ils l’ont dit. Le terrain qui abrite le Fespaco n’est pas hanté et la compétition officielle s’ouvrira au numérique en 2015. Belle initiative pour un festival qui requière encore que les réalisateurs se précipitent au Maroc pour kinéscoper leur film via la modique somme de 15000€ pour figurer dans la compétition officielle... Tels sont les enjeux actuels du plus grand festival des cinémas d’Afrique du Burkina Faso.
La compétition court-métrage s’est pourtant ouverte au numérique. La section TV-Vidéo lui est de fait réservée. Mais qu’en est-il des nombreux films numériques sélectionnés en compétition officielle qui risquent d’être exclus à la dernière minute comme le brillant Femmes du Caire de l’égyptien Yousry Nasrallah en 2011 ?
Cette année encore, dans l’ombre des sélections, des cinéastes s’organisent pour obtenir leur copie à temps. Pour ceux qui ont déjà pris l’habitude de circuler en festival avec un DCP (Digital Cinema Package, ndlr), la désillusion est de taille. Il va encore falloir chercher des fonds pour pouvoir présenter son film à Ouaga.
En 2011 pourtant, le réalisateur camerounais François Wokouache avait fait trembler les organisateurs avec une décision inédite : ne remettre aucun prix TV-Vidéo, section dont il était président. Considéré comme un acte de « dictature » pour certains, d’un bon « coup de fouet » pour d’autres, ses propos n’avaient laissé personne indifférent. En effet, Wokouache reprochait le double tranchant des films numériques : « d’un côté il y a des gens qui font un travail de création, qui essaient de faire du cinéma et puis... les autres. Il n’y a pas de jeu d’acteurs, les dialogues c’est n’importe quoi, les scénarios sont bâclés, aucun travail de l’image, pas de bande son... on s’est vraiment demandé s’il y a besoin d’avoir 13 séries en compétition. »
Mais depuis ce coup de tonnerre à l’égard du Fespaco et des cinéastes, quel changement ? La compétition fiction numérique existe toujours mais rassemble davantage de longs-métrages que de téléfilms. Le règlement modifié stipule (article 5) que les membres des jurys ont l’obligation d’attribuer un prix lors de la cérémonie de clôture. (« Le rôle de ces jurys est de visionner les films en compétition et de décerner les prix prévus au palmarès officiel ») . Enfin, les films non kinescopés concourant dans la compétition long-métrage seront disqualifiés. « C’est pour cela que nous conseillons toujours aux gens d’inscrire leur film en compétition et au marché du film », développe Clément Tapsoba, conseiller du Délégué Général du Fespaco.
Le délégué Michel Ouédraogo, lui, ne se démonte pas. Il suit une ligne éditoriale (Vision 21) qu’il avait annoncée en 2009 et s’y tient : l’évolution du Fespaco se fera par étapes. Il y a eu la création d’un Pass d’entrée en salle, l’organisation de deux éditions des Journées cinématographiques de la femme africaine (JCFA), l’avancée de la date d’inscription au 31 octobre, l’attribution d’un prix de la meilleure affiche et l’ouverture d’une section pour les écoles de cinéma.
Cette année, une nouvelle salle devait être inaugurée à côté du siège du Fespaco mais un incendie malheureux a détruit le toit à moins d’un mois des festivités. Le Marché international du cinéma africain (MICA) qui devait s’y tenir sera finalement rapatrié à l’hôtel Azalaï, l’hôtel-même qui avait refusé d’accueillir des festivaliers en 2011 faute d’impayés. L’étape suivante devrait donc être l’ouverture de la compétition long-métrage au numérique, débat sur lequel Michel Ouédraogo a accepté de réagir lors du Festival du Film de Locarno (Suisse) en août dernier :« La compétition est déjà ouverte au numérique dans beaucoup de sections. Il y a de bonnes discussions autour, les partenaires s’intéressent, les professionnels s’intéressent et nous-mêmes, directeur de ce festival et collaborateurs, nous intéressons à ce phénomène qui est en train d’envahir le monde : les nouvelles technologies. Mais il faut que l’on puisse travailler pour concilier l’ensemble des volontés qui se manifestent pour la question du numérique. Autant les partenaires, les professionnels que le festival. Donc cela doit être un projet global et non un projet poussé par tel partenaire parce qu’il a plus d’intérêt à ce qu’on aille dans cette voie parce que ça résout ce problème. Il ne faut pas résoudre des problèmes au détriment du festival. Il faut que tout le monde soit prêt. Il faut que les professionnels soient prêts et comprennent qu’aujourd’hui on peut travailler en numérique et qu’ils aient la volonté de le faire parce qu’il y en a qui disent qu’ils ne le feront jamais ! Ils resteront toujours en analogique parce que pour eux « c’est ça le cinéma »... C’est un débat de fond dans lequel, en tant que directeur de festival, je n’entre pas. Mais moi ce que je souhaite, c’est qu’il y ait au moins un consensus. Le numérique est nécessaire et incontournable ».
Ce consensus sera-t-il trouvé d’ici 2015 ? « En 2015, de mon point de vue, en terme de maturité, la question aura été beaucoup discutée, les professionnels se seront bien approprié leurs outils technologiques, le Fespaco aura les moyens pour s’équiper et à ce moment, je pense que nous pourrons aisément entrer dans l’ère numérique avec le long-métrage. Ce n’est pas une position fétichiste du Fespaco de ne pas y aller. Il faut y aller en tenant compte des réalités ».
Espérons donc que les déçus numériques des éditions 2011 et 2013 sauront peser dans le débat sinon le Fespaco risque de passer à côté des jeunes talents du continent qui ont déjà sauté le pas. Qui ont compris les logiques de distribution, d’exploitation et de ventes internationales de films qui ne sont pas des œuvres non-commerciales mais bien un vecteur financier de revenus. Du Nord au Sud de l’Afrique, nombreux sont ceux qui produisent en numérique depuis des années et qui trouvent des réseaux pour les diffuser. Certes, la position du Fespaco amène au débat mais l’enjeu est beaucoup plus large que ça. A force d’attendre pour récupérer ces films produits « autrement », le Fespaco prend le risque de voir s’éloigner ceux qui ont compris que des réseaux hors d’Afrique existaient. Et qui, n’ayant pas grandi à l’époque des débats sur la souveraineté africaine au niveau du cinéma, n’auront cure de passer à côté des sélections burkinabè. Si le festival veut continuer de rayonner à l’échelle de tout le continent, il doit alors attirer les jeunes générations qui ne le connaissent pas, qui ne le fréquentent pas ou qui ne songent même pas à lui envoyer leurs films. Car au-delà de l’Afrique, des festivals les sélectionnent, quel que soit leur format. Pour assurer sa place dans l’échiquier mondial du cinéma, le Fespaco devra à son tour leur ouvrir les bras.
Claire Diao
Clap Noir
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