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Président Dia : une enquête très documentée
Publié le : jeudi 14 février 2013
Fipa 2013

Centre culturel français de Dakar, décembre 2012 : l’affiche de Président Dia, le film d’Ousmane William Mbaye, s’étale fièrement dans la cour. Déjà couvert de lauriers aux Journées Cinématographiques de Carthage et au Festival international du film d’histoire de Pessac en octobre 2012, il est enfin programmé à Dakar, mais les dates ne correspondent pas avec mon séjour, je pars déçue. Quelle joie, dans ses conditions, de découvrir qu’il fait partie du catalogue du FIPATEL, le marché du FIPA, et, que le réalisateur en personne est venu l’accompagner.

L’affi­che du film d’Ousmane William Mbaye est belle : un groupe de jeunes afri­cains, en marche. On sent l’enthou­siasme, la fer­veur, la volonté d’avan­cer, la pro­messe de len­de­mains dignes. Au centre Mamadou Dia au moment de l’Indépendance.

Premières images : Dakar, prin­temps 2012, cam­pa­gne pré­si­den­tielle, émeutiers des rues hur­lant pour le départ du pré­si­dent Wade. Celui qui avait rêvé d’une pré­si­dence à vie sera effec­ti­ve­ment rem­placé le 25 mars .
Éclairé par le pré­sent, le réa­li­sa­teur revi­site le passé. Il s’agit de l’Histoire, celle qui se fait au jour le jour, au soleil de la rue et dans l’ombre des minis­tè­res...D’autant que le pays vient de fêter récem­ment le cen­te­naire de la nais­sance d’un homme oublié : Mamadou Dia, né en 1911 et décédé en 2009.

Le réa­li­sa­teur va remon­ter cin­quante ans en arrière et radio­sco­per les sou­bre­sauts de l’Indépendance du Sénégal, sous le règne de l’incontesté grand homme du pays Léopold Sédar Senghor. Avec, pour fil rouge, une ques­tion obsé­dante : Mamadou Dia a-t-il réel­le­ment fomenté un coup d’état pour ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment de Senghor le 17 décem­bre 1962 ? Une enquête docu­men­tée par des images d’archi­ves et des inter­views de per­son­na­ges clés, au pre­mier rang des­quels Mamadou Dia, en per­sonne et qui, au cré­pus­cule de sa vie et qua­si­ment aveu­gle, revit ces événements qui ont bou­le­versé son destin et celui du pays .
Certes, le genre d’enquête poli­ti­que n’est pas nou­veau ; le spec­ta­teur n’en appré­ciera que mieux la maî­trise de l’exer­cice. C’est en griot que Mbaye conte le geste des deux grands hommes, Mamadou Dia et le très fran­co­phile Léopold Sédar Senghor, amis de longue date, com­pa­gnons de lutte et qui, arri­vés au faite de leur réus­site, ne peu­vent plus coha­bi­ter. Retours en arrière, coups de théâ­tre et digres­sions, convo­ca­tion des témoins de pre­mier plan se suc­cè­dent pour révé­ler un Senghor tout puis­sant. Le chan­tre du rap­pro­che­ment franco séné­ga­lais, après avoir obligé son ami Dia à entrer en poli­ti­que, et l’avoir ins­tallé à la tête de l’état comme Président du Conseil , le pré­ci­pi­tera à terre pour crime de lèse majesté. Histoire éternelle qui, par son dénoue­ment impla­ca­ble, rap­pelle à tout un chacun nombre d’exem­ples en Afrique ou ailleurs.

Fils de la femme la plus écoutée du Sénégal, intel­lec­tuelle et artiste éclairée, Annette Mbaye d’Ermenonville, à qui il a déjà consa­cré un ardent docu­men­taire (Mère Bi en 2008), Ousmane William Mbaye, porte ce sujet depuis des décen­nies. Les appa­ri­tions à l’écran de la mère inter­ro­gée par son fils confè­rent au récit des accents de saga fami­liale. Cette his­toire est la sienne : cette femme là, a connu tous les pro­ta­go­nis­tes, les a eus à sa table, les a suivis, écoutés, (voire conseillés ?). Elle a vu les forces qui s’unis­sent, et l’ego qui creuse le fossé, irré­mé­dia­ble­ment.
« Dia est entré en poli­ti­que sous la pres­sion insis­tante de Senghor, et il a consa­cré toute sa vie au succès du projet poli­ti­que de ce der­nier... » dira-t-elle. Confirmé par Dia, lui même, qui, malgré les dures années de prison, reconnaît son atta­che­ment : « J’étais le talibé de Senghor, j’étais sub­ju­gué ! » Il fut Président du conseil des minis­tres de 1956 à 1962, chargé de la mise en place du plan de déve­lop­pe­ment à long terme du Sénégal, alors que Senghor, sou­vent absent du pays, se dédiait aux rela­tions inter­na­tio­na­les. Les actua­li­tés d’époque mon­trent un Dia sur tous les fronts. Parallèlement, il lutte contre la main­mise des milieux mara­bou­ti­ques et des finan­ciers fran­çais. Mais Senghor qui reçoit Dia dans sa rési­dence nor­mande (sa deuxième épouse est ori­gi­naire de Normandie) lui avoue qu’il a promis au Général de Gaulle de voter favo­ra­ble­ment au main­tien du Sénégal au sein de la com­mu­nauté fran­çaise. Dia se sent trahi. L’Indépendance sera pour­tant pro­mul­guée, mais le ver est dans le fruit. C’est un Dia, très popu­laire qui pour­suit sa route, un œil vers l’Est, se démar­quant chaque jour davan­tage de celui qui, selon la cons­ti­tu­tion , n’est ni plus ni moins que son alter ego. Il dérange, désor­mais, beau­coup de monde !
C’est la fin d’une l’his­toire qui la trans­forme en tra­gé­die. Le « faux coup d’état » l’enverra en prison à per­pé­tuité avec quatre autres minis­tres, Senghor repren­dra tous les pou­voirs. L’oppo­si­tion enva­hira la rue...en vain. Douze ans après, les condam­nés seront libé­rés. Douze ans pen­dant les­quels le pays revien­dra aux mains des habi­tuels puis­sants, toute vel­léité de chan­ge­ment oubliée...C’est long douze ans et c’est irrat­tra­pa­ble !

Michèle Solle

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