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« Je voulais raconter cette jeunesse africaine urbaine et moderne »
Publié le : dimanche 14 juillet 2013
Interview de Marguerite Abouet, co-réalisatrice d’Aya

La version animée de la go la plus dessinée d’Abidjan sort aujourd’hui sur les écrans français. Prix du meilleur Premier Album au Festival de Bande-Dessinée d’Angoulême (France) en 2006, publié en six tomes et traduit en quinze langues, Aya de Yopougon n’a pas fini de séduire les petits et les grands. Rencontre avec son auteure, Marguerite Abouet.

De la bande-des­si­née à succès au long-métrage d’ani­ma­tion, quel a été le déclic pour passer de l’un à l’autre ?

Marguerite Abouet : Cette his­toire d’Aya, dès le début, a beau­coup de chance. Entrer comme ça dans le milieu de la bande-des­si­née en plus avec pour vitrine Gallimard...[grande maison d’édition fran­çaise, ndlr]. Moi à la base, je n’étais pas « auteure » - et j’ai même été sur­prise par ce succès. Et puis ensuite le film était une belle conti­nuité. Joan Sfar, qui est le direc­teur de la col­lec­tion Bayou chez Gallimard, Antoine Deslevaux et Clément Oubrerie [le des­si­na­teur d’Aya, ndlr] ont monté un studio d’ani­ma­tion pour pou­voir eux-mêmes fabri­quer leurs pro­pres his­toi­res. Il y a eu le film animé Le Chat du Rabbin de Joan Sfar issu de sa bande-des­si­née à succès et ensuite nous avions tout le studio pour faire la suite d’Aya. Et vu le succès d’Aya, nous n’avons pas hésité à pren­dre des ris­ques, aller voir des finan­ceurs qui ont bien voulu nous suivre. Nous avons pro­fité du succès du Chat du Rabbin pour faire le film Aya. Si la BD n’avait pas eu de succès, je ne pense pas qu’ils auraient pris le risque de l’adap­ter.

Est-ce qu’Aya aurait pu être un film de fic­tion non animé ?

M. A. : Bien sûr ! Je pense que Aya, on peut tout faire avec, même au théâ­tre. D’ailleurs, la pre­mière fois, c’est un groupe ama­teur de théâ­tre qui m’a contacté parce qu’ils vou­laient mettre en scène le pre­mier tome et je leur ai donné mon accord. Ils m’ont invité pour la pre­mière au Mans. C’était à mourir de rire ! Il y avait des Noirs, des Blancs... Monsieur Sissoko était un petit Blanc qui s’était mis des cous­sins sur le ventre... L’his­toire s’y prête, c’est très vau­de­ville, à la Feydeau [met­teur en scène fran­çais du XIXe siècle, ndlr] : les portes qui cla­quent, les maris dans les pla­cards, les enfants qui débar­quent... Donc ça se prête énormément au théâ­tre. Mais pour­quoi Aya, cette his­toire d’Africains au fin fond d’un quar­tier afri­cain, plaît autant ? Je crois que c’est par son uni­ver­sa­lité. Les gens s’iden­ti­fient énormément. Donc peut-être que mettre des vrais gens aurait posé un pro­blème d’iden­ti­fi­ca­tion alors que ce qui marche avec la bande-des­si­née et le film, c’est que, comme il s’agit de dessin, de l’ani­ma­tion, on peut dépas­ser la ques­tion de cou­leur.

Aya ne dépeint pas n’importe quelle réa­lité afri­caine car l’action se situe dans le quar­tier de Yopougon à Abidjan, pas dans un vil­lage.

M. A. : Bien sûr Kirikou qui vit dans un vil­lage où tout le monde est nu, est plus du conte, des légen­des, mais moi je vou­lais raconter une Afrique vivante et moderne et cette joie de vivre ensem­ble. Yopougon est un endroit où se côtoyaient des maliens, des gha­néens, des bur­ki­nabè... Moi j’ai vécu avec ce mel­ting-pot afri­cain et c’est pour ça que je n’ai pas voulu que tous les comé­diens soient tous des ivoi­riens. C’est un choix. Je sais qu’on me repro­chera que cer­tains accents vien­nent d’ailleurs mais j’ai milité pour ça. Les sons que je garde, c’est ça. Monsieur Sissoko qui peut parler avec un accent congo­lais-zaï­rois, came­rou­nais... Je vou­lais parler de cet art de vivre ensem­ble que l’on a en Afrique et qui est très impor­tant car il ne faut pas qu’on nous enlève ça malgré le jeu des poli­ti­ciens. Ça se passe en pleine ville et aujourd’hui plus que jamais, il y a des jeunes qui veu­lent rester en Afrique, qui vont à l’école, qui espè­rent et je vou­lais encore une fois raconter cette jeu­nesse afri­caine urbaine moderne qui sub­siste malgré tout.

Vous avez publié six tomes de la bande-des­si­née. Lesquels avez-vous choisi d’adap­ter au cinéma ?

M.A. : Nous avons adapté les deux pre­miers tomes. C’était contrai­gnant parce que, même des deux tomes, je n’ai pas tout mis. Demander de passer de 220 pages à 1h25 de film, c’est beau­coup. Il faut faire des conces­sions, des choix assez impor­tants et puis aussi une contrainte des pro­duc­teurs : des séquen­ces avec moins de monde parce qu’au plus il y a de monde, au plus c’est cher à animer. En tant qu’auteur tu te deman­des « Mais qu’est ce que je vais choi­sir ? Oh, c’est dif­fi­cile ! » et puis j’ai fait des choix, il y a des par­ties que j’ai enle­vées, d’autres que j’ai essayé de rajou­ter pour que ça colle davan­tage à un scé­na­rio de film. La fin je l’ai arron­die pour ne pas que ça s’arrête trop brus­que­ment et la voix-off, qui était juste au début de la BD, je l’ai retra­vaillée tout au long du film pour ne pas que ça ne soit redon­dant ou plom­bant.

Entre la ren­contre avec les pro­duc­teurs et la sortie du film, com­bien de temps s’est écoulé ?

M.A. : Nous avons mis trois ans, quatre le temps de mettre tout ça en place. Comme nous avons surfé sur la vague du Chat du Rabbin, tout était là, les stu­dios... Après c’est la post-pro­duc­tion qui met du temps, ça dépend aussi des finan­ceurs, du dis­tri­bu­teur... Aya est un ovni. Même les finan­ceurs et le dis­tri­bu­teur ne savent pas ce que ça va donner : « Est-ce que ça va plaire ? Un film avec au géné­ri­que que des noms afri­cains (à part Aïssa Maïga, on ne connaît pas les autres...) »
C’est tel­le­ment rare ! Ils sont bons et c’est ça le pro­blème. Quand on a un comé­dien comme Emile Abossolo M’bo qui vous fait cinq voix dont une voix de femme dans Aya, je trouve ça magi­que ! Et cet homme-là est capa­ble de pren­dre n’importe quelle voix, de jouer n’importe quelle scène ! Les pro­duc­teurs fran­çais pas­sent à côté de ce talent et ça me touche énormément que quelqu’un comme lui soit venu fiè­re­ment en me disant « On va porter ton film, c’est tel­le­ment rare qu’on nous montre, même si ce n’est pas une fic­tion ». On ne sait pas ce que ça va donner.

Combien d’ani­ma­teurs ont par­ti­cipé à ce projet ?

M.A. : Ce projet a com­mencé à deux mains, s’est pro­longé à quatre mains avec le des­si­na­teur et s’est finit avec deux cent mains. Pendant trois mois, nous étions une soixan­taine à tra­vailler entre les cou­leurs, les décors et l’ani­ma­tion. Sinon c’était ceux qui font tel boulot, ceux qui font bouger les tissus, ceux qui s’occu­pent des per­son­na­ges... C’est très tech­ni­que. C’est un dessin animé qui entiè­re­ment fabri­qué en France et tous ceux qui ont tra­vaillé dessus, ani­ma­teurs et des­si­na­teurs étaient vrai­ment à fond. C’était la pre­mière fois qu’ils s’embar­quaient dans une his­toire comme ça. Ceux qui connais­saient la BD vou­laient faire partie du projet, ils étaient curieux... C’était un moment assez magi­que et c’est une équipe que je tiens à remer­cier énormément même si je leur ai fait des plats ivoi­riens de temps en temps pour les moti­ver (rires) !

A l’inverse des autres per­son­na­ges, Aïssa Maïga qui double le per­son­nage prin­ci­pal d’Aya a une voix très neutre par rap­port à la bande-des­si­née mar­quée par des tona­li­tés ivoi­rien­nes. Pourquoi ?

M.A. : Aujourd’hui, dans les gran­des villes afri­cai­nes, les jeunes n’ont plus d’accent. Ils sin­gent tel­le­ment tout ce qu’ils voient ! Ils dis­cu­tent avec des into­na­tions. Quand je vais à Abidjan, je prends cette into­na­tion (elle change de voix), je chante en par­lant. C’est tout ce que je leur deman­dais. Aïssa Maïga, elle n’avait pas besoin. C’était le per­son­nage d’Aya, elle est ins­truite, elle n’avait pas besoin de parler comme ça. Je vou­lais qu’on sache qu’elle fait des études, contrai­re­ment à ses copi­nes qui ver­sent plus dans le gros dada... Elles, elles peu­vent appuyer. Pour moi c’était impor­tant que les voix soient dif­fé­ren­tes. D’ailleurs c’est ce qui se passe : Tatiana Rojo c’est beau­coup plus appuyé car elle roule bien sur les r, Tella Kpomahou qui est aussi ivoi­rienne a aussi un timbre et puis les autres, tous les autres qui sont super, qui sont là : Eriq Ebouaney qui fait Hyacinthe, on sent qu’ils ont quel­que chose d’afri­cain mais ce n’est pas singé, sauf quand on va au vil­lage, pour la voix du vieux. Encore une fois, j’ai vécu dans toutes ces into­na­tions donc ça ne me dérange pas que dans mon film il y ait tout ça car ça fait partie de ce que j’aime à Abidjan.

Quelle sera la car­rière afri­caine d’Aya ?

M.A : Nous avons énormément de deman­des de pro­jec­tion, c’est génial. Nous allons faire une avant-pre­mière à Abidjan où il se trouve un studio d’ani­ma­tion qui a der­niè­re­ment pro­duit le long-métrage, Pokou, et avec qui Marguerite sou­haite tra­vailler, pro­jec­tions en plein air et puis après ça va tour­ner : Dakar, Conakry, Casablanca, Ouagadougou et ensuite j’aime­rai inon­der l’Afrique d’Aya car c’est tel­le­ment posi­tif que si ça peut donner un élan à d’autres his­toi­res, je sou­haite longue vie à cette jeune femme (rires).

Propos recueillis par Claire Diao

Fiche du film

  • Le 15 juillet 2013 à 18:40, par Assan Boncoungou

    Cet article ce projet de film me renvoient à une question que je me suis si souvent posée. Pourquoi les films d’animation en Afrique ou sur l’afrique ont ils majoritairement pour décors la campagne ou la savane ? Nos villes regorgent aussi de belles histoires et font partie de la culture africaine au meme titre que les villages. Je félicite pour cela les initiateurs de ce projet, leur souhaite beaucoup de succès et espère un jour faire parti de cette merveilleuse équipe d’animateurs. Personnellement je ne connais pas la BD, mais présentement je suis impatient de découvrir le film. Vivement que sa projection à Ouaga ne tarde pas. Merci

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