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L’Afrique en héritage
Publié le : vendredi 29 août 2014
Interview « presque » imaginaire de Philippe Baqué

Au Festival Résistances de Foix début juillet 2014, dans le cadre de la thé­ma­ti­que Main Basse sur le Corps , Philippe Baqué est venu pré­sen­ter Femmes, entiè­re­ment femmes, docu­men­taire coréa­lisé avec Dani Kouyaté. Le même jour, était pro­grammé Itchombi de Gentille Assih.

Il n’y a pas de hasard. En 2009, Gentille Assih, sous cou­vert de plai­doyer pour l’asep­sie dans l’exer­cice d’une pra­ti­que ances­trale, dévoi­lait les rites de la cir­conci­sion d’une ethnie du Togo.

Philippe Baqué, en 2013, enquête en France et au Burkina Faso, sur la res­tau­ra­tion du cli­to­ris des femmes vic­ti­mes d’exci­sion : un uro­lo­gue fran­çais a décou­vert le geste opé­ra­toire qui change leur vie.
Deux films docu­men­tai­res qui défient le téné­breux monde des tabous. C’est ainsi que l’Afrique s’invi­tait en Ariège.
Philippe Baqué, est atten­tif, dis­po­ni­ble, modeste, eu égard à son iti­né­raire de jour­na­liste-écrivain-réa­li­sa­teur, et, pour ainsi dire, tai­seux. A Foix, paral­lè­le­ment à ses inter­ven­tions publi­ques , il avait déjà choisi les pro­jec­tions et débats qu’il vou­lait suivre, alors, se raconter … C’est le monde qui l’inté­resse !

A la ques­tion « Comment en êtes vous arrivé à la réa­li­sa­tion ? », il répond « j’ai com­mencé par une école de jour­na­lisme, à Bordeaux. Non, je ne pen­sais pas à la réa­li­sa­tion, les choses se sont enchaî­nées, de fil en aiguille ».
Pas de plan de car­rière donc, mais une envie de com­pren­dre la société et d’y par­ti­ci­per. Dès l’enfance, il souf­fre d’enten­dre son père, gros exploi­tant fores­tier en A.E.F., parler mal des ouvriers afri­cains, du haut de son statut de colon. Ressenti qui, plus tard, le pous­sera inexo­ra­ble­ment vers ce conti­nent, et, cer­tai­ne­ment, orien­tera ses ren­contres.
Sa bio parle pour lui. Premiers arti­cles à Sud-Ouest pour col­la­bo­rer plus tard au Monde Diplomatique, Politis et autres publi­ca­tions enga­gées. On le trouve en 86 à Ouagadougou. Lié à la famille Kouyaté, il est pre­mier assis­tant sur Keita, l’Héritage du Griot de Dany Kouyaté, avec qui il a déjà réa­lisé un court métrage, Tobere Kossam (Poussière de Lait ) entre Sahel et Limousin en 91, et c’est Sotigui le Magnifique qui en com­pose la musi­que.
Et, effec­ti­ve­ment tout s’enchaîne : avec Arlette Girardot il va coréa­li­ser en 1996, Touaregs, voix de l’exil, Carnets d’expul­sions, de St Bernard à Bamako ou Kayes (1997), Melilla, l’Europe au pied du mur (1998), Eldorado de plas­ti­que en 2001 (où on retrouve ceux qui ont réussi la tra­ver­sée désor­mais ouvriers dans les serres d’Andalousie...), puis en 1997 Le Beurre et l’argent du beurre, dans lequel il dénonce l’indus­trie du com­merce équitable et l’exploi­ta­tion des femmes bur­ki­nabè pro­duc­tri­ces du beurre de karité.
Parallèlement, en 99, il publie Un nouvel Or Noir, ou le Pillage des Objets d’art en Afrique. Il s’atta­que au trafic juteux qui attire vers le Nord les riches­ses artis­ti­ques du Sud, mou­ve­ment de cap­ta­tion établi depuis des siè­cles dans d’autres domai­nes.
On l’ima­gine à l’écoute, voire à l’affût des coups tordus à com­bat­tre, les uns après les autres. D’avoir tourné en Andalousie lui fait décou­vrir la lutte des pay­sans pour s’appro­prier les terres confis­quées par de puis­san­tes famil­les. Par ailleurs, il démonte l’engre­nage fétide du bio busi­ness...
Et aujourd’hui son der­nier film, Femmes entiè­re­ment femmes sorti en 2014 après 6 ans d’une dif­fi­cile ges­ta­tion. Une bombe à retar­de­ment sous forme d’enquête stu­dieuse. Quoi de moins sur­pre­nant ?

C.N. : Comment avez vous l’idée de cette thé­ma­ti­que : l’opé­ra­tion de res­tau­ra­tion du cli­to­ris ?

P.B. : Comme tou­jours par des ren­contres. J’étais à Ouagadougou , quand une amie écrivaine a su que le doc­teur Foldes pra­ti­quait ce genre d’opé­ra­tion pour la pre­mière fois en Afrique. J’ai alors ren­contré le doc­teur Mazdou, son homo­lo­gue qui m’a orienté vers des femmes qu’il avait opé­rées et celles-ci, à ma grande sur­prise m’ont démon­tré une grande confiance. A partir de là, je ne pou­vais que conti­nuer.

Vous donnez aussi la parole à des inconnues, à celles qui n’ont pas encore fran­chi le pas ...

Sur les forums, les femmes font part de leurs inter­ro­ga­tions, crain­tes, posent des ques­tions...Sans cette parole, le film eut été incom­plet, il fal­lait donner vie à ces échanges ano­ny­mes, ce sont des comé­dien­nes qui les incar­nent.

En défi­ni­tive, on pour­rait dire que votre film fait œuvre de divul­ga­tion. Avec une grande sen­si­bi­lité, vous appor­tez la bonne nou­velle : désor­mais, l’exci­sion n’est plus une muti­la­tion sans retour. Et vous le prou­vez, témoi­gna­ges à l’appui. Mais com­ment expli­quez vous que ce soit deux hommes qui s’en char­gent ?

Pourquoi pas ? Le sort de mil­lions de femmes dans le monde ne peut être à la charge de leur seule com­mu­nauté. En tout cas ce ne fut pas simple. Ce sujet touche à toutes sortes de tabous reli­gieux, socié­taux, poli­ti­ques, économiques...La réa­li­sa­tion s’est dérou­lée sur 6 ans au milieu de dif­fi­cultés de tous ordres, deux pro­duc­teurs se sont suc­cé­dés. Heureusement nous étions deux, sans Dani Kouyaté, je ne sais si j’en serais arrivé à bout.

Comment votre projet ini­tial a-t-il évolué ?

D’une cer­taine façon, il a gagné en cohé­rence. Le dis­po­si­tif des comé­dien­nes seules dans le noir devant leur ordi­na­teur, relayant les mots des femmes des forums, que nous avons ima­giné, en a faci­lité la pro­gres­sion. Nous avons effec­tué une cons­truc­tion par paliers, entre­mê­lant les témoi­gna­ges et les scènes fil­mées à l’hôpi­tal et ces moments de soli­tude.

Quel avenir pour votre film ?

Il a été pro­grammé sur TV5 Monde en mars 2014 et donc vu en Afrique. A ce jour, j’espère qu’il sera sélec­tionné dans de nom­breux fes­ti­vals et acheté par des chaî­nes de télé­vi­sion. Nous avons orga­nisé des séan­ces publi­ques et nous espé­rons que les asso­cia­tions inté­res­sées en feront autant.

Propos recueillis par M. Solle
Foix Résistances 2014

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