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Cinémas d’Afrique : retour à la léthargie
Publié le : mardi 7 mars 2017
Fespaco 2017

Les lam­pions se sont éteints sur le plus pres­ti­gieux des fes­ti­vals des ciné­mas d’Afrique, le Fespaco. Durant une semaine, les Fespacistes et les Ouagalais ont regardé de nom­breu­ses pro­duc­tions et fait la fête. Le ven­dredi et le samedi, les prix ont été décer­nés aux méri­tants. Comme d’habi­tude, après la céré­mo­nie de clô­ture, les débats ont ali­menté les ren­contres des amis et des cinéas­tes. Les uns cri­ti­quant le choix des jurys, d’autres disant que tout s’est bien passé. La nuit de samedi, la grande masse des fes­ti­va­liers prend d’assaut l’aéro­port de Ouagadougou pour repar­tir. Peu à peu, s’ins­talle dans les rares salles de cinéma et dans la ville, une ambiance de tris­tesse, les com­mer­çants qui n’ont pas vendu tous les stocks de pagnes et de sou­ve­nirs bra­dent les mar­chan­di­ses qui res­tent sur les étals. Le Fespaco est bien ter­miné. Rendez-vous dans deux ans.

Et c’est parti pour deux ans de léthar­gie. Deux années durant les­quel­les les camé­ras ne poin­te­ront plus sur les cinéas­tes, plus d’émissions spé­cia­les à la télé­vi­sion sur les ciné­mas, plus de ren­contres de pro­fes­sion­nels autour d’un thème. Silence. Pas le silence de l’avant-clap des pla­teaux, mais un silence assour­dis­sant sur les pro­jets de pro­duc­tions, un silence sur les tour­na­ges, un silence sur les sor­ties de films. Ce silence qui à petit feu tue les ciné­mas d’Afrique.

Que faire pour éviter cette léthar­gie ?
En pre­mier lieu, il nous faut faire réel­le­ment et non fic­ti­ve­ment la tran­si­tion du monde de l’à peu près vers le monde des pro­fes­sion­nels du cinéma. La pro­fes­sion­na­li­sa­tion. Nous vou­lons ici parler des pro­duc­teurs. Ils doi­vent tra­vailler à mettre en place cette fameuse indus­trie du cinéma que tout le monde réclame à corps et à cris. Cette phase ter­mi­née, ils doi­vent tra­vailler à mettre à la portée des jour­na­lis­tes et des cri­ti­ques, les infor­ma­tions concer­nant les pro­jets et les tour­na­ges en cours. En effet, il est tel­le­ment dif­fi­cile de savoir quel film est en tour­nage dans l’un ou l’autre pays afri­cain. Pour avoir une quel­conque infor­ma­tion sur un tour­nage, il faut être à Paris, lieu de rési­dence de la majo­rité des réa­li­sa­teurs et des pro­duc­teurs. Ne pas être informé, c’est ne pas parler d’un projet ou d’un tour­nage.

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Maimouna Ndiaye
Quotidienne spéciale Fespaco de Canal+ "+ d’Afrique"

En second lieu, pour un tour­nage ter­miné, il faut com­mu­ni­quer. La com­mu­ni­ca­tion, c’est l’élaboration d’un dos­sier de presse, la convo­ca­tion des confé­ren­ces de presse, et aujourd’hui, la réa­li­sa­tion d’un site web, en lien avec le film, où les jour­na­lis­tes pour­ront aller cher­cher les infor­ma­tions et les dif­fu­ser à l’endroit des lec­teurs, des audi­teurs et des ciné­phi­les.

En lien avec les sites web, il faut user des réseaux sociaux pour fédé­rer les inter­nau­tes autour d’un film. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un atout indis­pen­sa­ble pour faire connai­tre et faire aimer une pro­duc­tion. Ces deux étapes pas­sées, il est plus facile d’amener les ciné­phi­les à aller regar­der et appré­cier ces films, et après, échanger sur ces pro­duc­tions. Ces feed­backs per­met­tront aux réa­li­sa­teurs et à toute la chaine de pro­duc­tion de recueillir les impres­sions des uns et des autres sur les films. Nous pen­sons que cela par­ti­ci­pera non seu­le­ment à la for­ma­tion des inter­nau­tes afri­cains, mais cela sus­ci­tera leurs inté­rêts aux dif­fé­ren­tes pro­duc­tions du conti­nent.
Les web­zi­nes offrent une oppor­tu­nité de tou­cher les inter­nau­tes à tra­vers le monde pour leur pro­po­ser des arti­cles sur les ciné­mas. Très peu de web­zi­nes exis­tent dans ce sens. Il en faut. Même s’il est impos­si­ble d’en avoir un par pays, il faut trou­ver le moyen d’en créer un cer­tain nombre. Avec inter­net, une oppor­tu­nité s’offre aux jour­na­lis­tes pour faire connai­tre notre cinéma. Les cinéas­tes peu­vent tou­jours, dans cette même dyna­mi­que, ouvrir des blo­gues pour par­ta­ger leurs expé­rien­ces des tour­na­ges, etc., et mettre à la dis­po­si­tion des jeunes réa­li­sa­teurs des infor­ma­tions qui vont les amener à épouser ou mai­tri­ser ce métier. Quand nous pen­sons que les étudiants dans les écoles de cinéma et de l’audio­vi­suel ont très peu l’occa­sion de ren­contrer des réa­li­sa­teurs, des pro­duc­teurs, des direc­teurs photo, etc., nous pou­vons com­pren­dre pour­quoi ils connais­sent mieux les cinéas­tes amé­ri­cains, fran­çais que ceux d’Afrique.

Cinéastes afri­cains, faites-vous connaî­tre. Utilisez les outils de com­mu­ni­ca­tion moderne pour mettre à la portée de ceux qui aiment le cinéma les infor­ma­tions sur vous, sur vos pro­duc­tions, sur les dif­fé­ren­tes tech­ni­ques que vous uti­li­sez pour écrire vos scé­na­rii, etc. C’est aussi par là que se fait la trans­mis­sion des connais­san­ces. Les mas­ter­class ne doi­vent plus avoir lieu seu­le­ment lors du Fespaco. Ils doi­vent être un peu plus per­ma­nents à tra­vers la toile. C’est là l’héri­tage que vous lais­sez à la pos­té­rité.
Sans les médias, peu de connais­sance sur le cinéma. Nous sommes convain­cus que les médias ont un rôle très impor­tant à jouer dans la popu­la­ri­sa­tion des ciné­mas d’Afrique. Il est temps que les jour­naux, les radios et les télé­vi­sions s’inves­tis­sent dans cette acti­vité qui est d’une impor­tance capi­tale pour la valo­ri­sa­tion des cultu­res afri­cai­nes. Rêvons un peu. Si nous pou­vons avoir des chaî­nes de télé­vi­sion qui, une fois par semaine, pro­gram­me­ront la soirée Ciné d’Afrique. Nous pou­vons être sûrs qu’au bout d’un mois, les télé­spec­ta­teurs auront au moins vu quatre films d’Afrique. C’est déjà pas mal, sur­tout sur les chaî­nes publi­ques. Nous pou­vons rêver aussi d’une série télé et d’un docu­men­taire d’Afrique par semaine. Il est bien vrai qu’il est peut-être moins cher de dif­fu­ser des télé­no­vel­las, mais ces séries sont bel et bien ache­tées. Où trouve-t-on l’argent pour le faire ? Cet argent, ne peut-on pas aussi le trou­ver pour les ciné­mas d’Afrique ? Les hommes poli­ti­ques le disent et le répè­tent tout le temps dans les dis­cours. Nous devons mettre en avant nos cultu­res. Nous devons sauver le patri­moine cultu­rel afri­cain. Nous devons… Nous devons… Il est temps de passer du stade des vœux pieux à celui de l’action. Commençons par les chaî­nes publi­ques et cer­tai­ne­ment que les chaî­nes pri­vées sui­vront.

Sans les cri­ti­ques, peu ou pas de connais­sance sur les ciné­mas d’Afrique. Nous avons besoin des cri­ti­ques, pas seu­le­ment lors du Fespaco, mais en per­ma­nence dans nos pres­ses. Il faut des arti­cles sur les films, les séries télé et les docu­men­tai­res. Pas besoin que ces films soient pro­je­tés dans les salles. Ceux qui pas­sent à la télé­vi­sion méri­tent des arti­cles afin que les télé­spec­ta­teurs se culti­vent sur les dif­fé­rents codes qui leur faci­li­te­ront la lec­ture des films. Il y a bien des films assez faci­les à lire et d’autres qui néces­si­tent un niveau de connais­sance du lan­gage ciné­ma­to­gra­phi­que. Les cri­ti­ques sont là pour faire connai­tre ces ciné­mas au peuple. Les cri­ti­ques sont là aussi pour aider les cinéas­tes à mieux faire. Une bonne cri­ti­que amène les pro­fes­sion­nels du cinéma à avoir une atti­tude réflexive sur leurs pro­duc­tions. La cri­ti­que sert et ser­vira tou­jours le cinéma. Elle est impor­tante. Des livres sur les ciné­mas d’Afrique. Quand vous lancez une requête sur les moteurs de recher­che en ligne à propos des livres sur les ciné­mas d’Afrique, grande sera votre décep­tion. Cinquante ans après le lan­ce­ment du Fespaco, très peu d’écrivains et de cher­cheurs ont consa­cré leurs plumes à écrire sur ce cinéma. Pourquoi ? Des his­toi­res à raconter, il en exis­tent. Des films à ana­ly­ser, il y en a à fusion. Mais des livres… Très peu. Nous pen­sons qu’il est peut-être temps de rédi­ger des écrits pour la pos­té­rité. Des livres d’his­toire, de réflexion, d’ana­lyse, etc. qui doi­vent éclairer le monde sur ce cinéma, sa par­ti­cu­la­rité, ses codes esthé­ti­ques, etc. Le livre, dans les biblio­thè­ques, c’est aussi l’un des pans impor­tants de la trans­mis­sion de la culture.

Que faire pour gérer le pro­blème des salles de cinéma inexis­tan­tes ? Nous pen­sons à une solu­tion simple et pas chère à mettre en œuvre. Les ciné-clubs dans les écoles. L’école, par excel­lence le lieu où les élèves, les adul­tes de demain, sont appe­lés à acqué­rir cer­tai­nes connais­san­ces. Et le cinéma fait partie de ces connais­san­ces. Des docu­men­tai­res peu­vent bien appuyer des cours d’his­toire, de géo­gra­phie ou de scien­ces de la vie et de la terre. Aujourd’hui, on parle de la colo­ni­sa­tion, on ensei­gne l’Afrique dans la pre­mière et la Seconde Guerre mon­diale. Combien sont-ils, les films de fic­tion qui trai­tent de cette thé­ma­ti­que ? Camp de Thiaroye… en hom­mage à Sembene Ousmane, est un excel­lent film pour com­men­cer un cours sur le pro­blème des anciens com­bat­tants de la Seconde Guerre mon­diale. Un ciné-club dans chaque école c’est un haut-par­leur, un vidéo­pro­jec­teur et un lec­teur de DVD. Le finan­ce­ment n’est pas aussi lourd que cela si nous vou­lons, dès le bas âge, donner aux élèves le gout du cinéma. Lors de sa mas­ter­class, Alain Gomis par­ta­geait avec les étudiants, et leur racontait com­ment il a eu le goût du cinéma. « J’étais à l’école et une pro­jec­tion avait été orga­ni­sée ». Pour lui, tout a com­mencé ce jour-là. L’école et le cinéma, une vieille his­toire d’amour. Nous pou­vons à nou­veau les réunir ensem­ble pour que vivent et durent les ciné­mas d’Afrique.

Terminons nos pro­po­si­tions avec le comité chargé des sélec­tions des films. Il faut que ce comité change de mode de sélec­tion. À l’heure actuelle, un film est sélec­tionné s’il est ins­crit. Oui. Cette pra­ti­que peut conti­nuer. Mais, nous pen­sons que le comité peut ou doit aller à la recher­che des meilleurs crus de notre cinéma, par­tout où le besoin se fera sentir. Il faut que ce comité tra­vaille avec les mai­sons de pro­duc­tion, les chaî­nes de télé­vi­sion, les jour­naux et les cri­ti­ques, les fes­ti­vals dans les autres conti­nents pour repé­rer les films, les bons films et les inci­ter à s’ins­crire au Fespaco. Nombreux sont les fes­ti­va­liers qui ont remar­qué l’absence des films de Nollywood. Une bonne sélec­tion est gage d’un fes­ti­val de qua­lité. Et, il faut qu’à pré­sent, le Fespaco quitte la cour des ama­teurs, dans ce domaine, pour rejoin­dre la cour des grands. C’est le sou­hait de tous les Fespacistes. Un rêve peut-être, mais un rêve qui doit se réa­li­ser si nous rêvons tous des ciné­mas d’Afrique et qu’ils n’entrent pas en léthar­gie après chaque édition du Fespaco.

Achille Kouawo

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