Catherine Ruelle
René Vautier était à l’époque un jeune cinéaste, breton donc tête dure !
René Vautier (1)
Pour raconter les histoires de Sembène, je voudrais revenir à lui par l’intermédiaire de Paulin. Paulin Vieyra était à l’IDHEC (2) quelques années après moi et Sembène ne faisait pas de cinéma à l’époque, il était écrivain. Il m’a demandé pourquoi je faisais des films qui passaient nul part, il parlait d’Afrique 50 effectivement, les négatifs avaient été détruits. Il me dit "Parce que j’aimerai bien avec ce que je fais, mes romans, qu’on fasse des films mais pas avec toi parce qu’ils passent nul part tes films". Parallèlement, il y avait Paulin Vieyra qui avait écrit tout un article élogieux sur mon film Afrique 50. Et on a discuté un jour là-dessus avec Sembène. Je lui disais maintenant, tu fais des films qui ont un contenu et à l’époque tu n’approuvais pas du tout Paulin Vieyra quand il chantait les mérites d’Afrique 50. Il m’a écrit une réponse dans une lettre qui a été détruite malheureusement et il me disait : "Tu es comme un jeune cabri qui donne des coup de tête et tu fonces dans un mur, la tête en avant, mais les murs ne s’écrouleront pas. Ta technique est mauvaise. Moi j’en ai une autre. On connaît les murs tous les 2 et on se heurte à eux. Simplement, moi je marche contre le mur, j’appuie avec ma main, je ne réussis pas à le faire tomber, et puis je trouve une porte et là je ne frappe pas, j’ouvre la porte et je mets mon pied pour empêcher qu’on la ferme et derrière je fais ce que je veux !"
Voilà, on avait 2 techniques différentes qui ont débouchées, parfois, sur des engueulades.
Dans ces séances à Alger, moi je disais que je faisais des films avec les algériens pendant la guerre d’Algérie quand ils ne pouvaient pas en faire eux même, maintenant je vais faire une école pour apprendre aux cinéastes algériens à se servir d’une caméra. Et Sembène disait : "René, ça sert à rien tout ça, pourquoi faire des écoles ici puisque qu’il y en a ailleurs, on a été formé ailleurs". Ma position était qu’il fallait former les cinéastes africains dans leur propre pays. Il me rétorquait "Ca y est, il y a des laboratoires en Tunisie" et moi de rajouter qu’il fallait aussi des petits laboratoires de films dans leurs pays. On avait 2 optiques différentes et nos rapports étaient comme ça, dans l’opposition, très fermes mais ça se terminait toujours avec des grandes tapes dans le dos.
Pape Massène Sène (2)
Ousmane Sembène était un homme très très complexe. Et nous l’avons vécu aussi dans les rapports avec l’état. En vérité il y a des grands hommes qui rejètent beaucoup une partie d’eux même et Sembène fait partie de ce que je crois comme étant des êtres qui ont une affection que j’appellerai "douloureuse". Ils ont tellement confiance en ce qu’ils produisent qu’ils ne souhaitent pas faire interférence entre leur travail dont vous parlez et l’être humain dans toute sa complexité et ses faiblesse comme n’importe quel être humain.
Le 1 er contact que j’ai eu avec Sembène ressemble à celui de Johnson Traoré. J’étais étudiant à Paris et simplement à travers ses ouvrages, j’avais choisis à l’époque de faire ma maîtrise sur sociétés et idéologies à travers les romans d’Ousmane Sembène. C’était en 1976, j’ai mon diplôme et je débarque à Dakar. Je demande à mes amis de faire en sorte d’obtenir une rencontre avec Sembène afin de lui remettre juste un exemplaire de mon travail. Je ne l’avais pas vu auparavant puisque je travaillais sur l’œuvre et non sur l’homme, c’est très important. J’obtiens ce rendez-vous, il me reçoit très gentiment et il me dit : "Je ne comprendrais jamais les intellectuels africains. Qu’est ce que vous avez à perdre votre temps à passer des diplômes sur des gens que vous ne connaissez pas !" Moi, jeune, le sang chaud lui réplique que je n’ai jamais parlé d’Ousmane Sembène mais de son œuvre. Je viens de découvrir le personnage et moi qui pensais faire ma thèse sur Ousmane Sembène, je suis sûr maintenant que je ne la ferais pas ! Et c’est de là que sont partis nos 1 er s échanges lorsque l’on avait bien clarifié les choses.
Sembène est particulièrement important mais je veux que les gens dissocient l’oeuvre, le grand bonhomme et l’être humain comme nous tous qui avons nos faiblesses, nos qualités mais fondamentalement parlant, je reste en admiration devant cet homme qui a laissé quelque chose au Sénégal et à l’humanité.
Par rapport à l’état, Sembène était un grand monsieur, considéré comme tel, adulé et il se trouve que lorsque l’on détient le pouvoir et qu’il s’appelle Senghor, Abdou Diouf ou Wade, quelque part, on ne veut pas à la tête d’un état une fois qu’on a défini les règles du jeu, de quelqu’un qui puisse prétendre à en définir de nouvelles. Ousmane Sembène a choisi, et c’est un acte important et fort, de ne pas s’exiler, il avait la possibilité d’aller partout, il est resté au Sénégal pour donner des leçons aux sénégalais en dehors même du cinéma. Montrer que la réussite et la considération était possible au Sénégalais, il l’a fait. C’est très important comme leçon d’avenir. Construire le pays, cela se fait sur place.
Le fameux combat dont on parle avec Senghor n’en était pas vraiment un. Il se trouve simplement que lui, étant connu, a apporté quelque chose qui avait une dimension exceptionnelle. Tout le monde épilogue sur l’histoire de Ceddo ; Il faut savoir que dans le contexte, vous aviez un mouvement politique clandestin autour de Cheikh Anta Diop, ce qui est devenu le RNB. Le journal à l’époque qui contestait le pouvoir de Senghor s’appelait SIGGI (Debout) avec 2 G. Senghor pour bloqué a interdit ce journal. Eux, ont fait un détour, comme les dialecticiens communistes et pour ne pas s’opposer à Senghor, ont changé le titre par le terme wolof "Tarao" qui veut dire Debout. La question était réglée.
Par contre quand Sembène a sorti Ceddo avec 2 D, dans la même logique, c’était moins contre Sembène mais par la justification de l’acte antérieure sur Siggi, que l’état a censuré. Il fallait un peu de cohérence.
Catherine Ruelle
Il faut dire que le Wolof était écrit en français et donc que Siggi et Ceddo s’écrivaient comme cela.
Pape Massène Sène (3)
Dans tout cela il faut savoir qu’il y avait une haute estime entre Sembène et Senghor. Ils ont su le gérer en bons stratèges ; à chaque fois que Sembène avait besoin de l’état à ses cotés, l’état était présent. A chaque fois qu’il voulait reprendre sa liberté de citoyen et de militant, il l’a fait. C’est ce va et vient qui est extraordinaire et c’est une autre leçon de démocratie.
Catherine Ruelle
Je voudrais qu’on revienne sur la façon dont Sembène était l’expression vraiment forte de ces cultures et qu’il a traduit à fond, je pense à Emitaï, à Ceddo, ses cultures profondes.
Pape Massène Sène
Les cultures sénégalaises sont plurielles. Il faut savoir que le Wolof, contrairement à ce que beaucoup de sénégalais pensent du reste, est le fruit d’un métissage, c’est comme les créoles en Martinique. Les Wolof sont des métisses, donc cultures plurielles. Les Sérères, culture plurielle avec des origines Mandingues, des origines Soninkés tout cela se retrouve dans l’œuvre de Sembène car il en était conscient et fier, là aussi, par opposition à une certaine forme d’uniformisation culturelle ambiante à l’époque de Senghor. On a beaucoup insisté sur l’ouverture et l’enracinement mais tout le monde disait que ce n’était qu’un petit prétexte et c’est l’ouverture sur l’occident qui prédominait. Sembène, le militant, s’est positionné du coté de l’enracinement ce qui fait que les actes au quotidien de chacun de ses personnages sont fortement codés culturellement. Il est porteur de toutes ces cultures du Sénégal mais en même temps, il était ouvert sur le monde, l’Afrique dans un 1 er temps mais aussi l’Europe, Mr Vautier vient de le rappeler à propos de la création des écoles. C’était un citoyen du monde, homme pluriel, acceptant ce qui y avait de positif ailleurs et c’est ça qui en fait son originalité. La diversité culturelle dont on parle tant, si il y a quelqu’un qui l’a vécu et illustré, c’est bien Ousmane Sembène. Voilà un autre message que le monde pourra retenir.
Propos recueillis par S. Perrin et B. Tiprez (Clap Noir)
1. Réalisateur de Afrique 50, documentariste engagé, d’une part sur la Résistance , d’autre part la lutte contre le colonialisme. Insatiable dénonciateur du mensonge des grands envers les petits et convoyeur des paroles habituellement négligées, René Vautier a connu la censure sur pratiquement toute son œuvre.
2. Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques.
3. Pape Massène Sène est directeur de cabinet du ministre de la Culture et du Patrimoine historique classé sénégalais.
Clap Noir
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