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Vautier et Sène parlent de Sembène
Publié le : mardi 6 novembre 2007
Table ronde animée par Catherine Ruelle. Amiens 2007

Catherine Ruelle
René Vautier était à l’époque un jeune cinéaste, breton donc tête dure !




René Vautier (1)
Pour raconter les his­toi­res de Sembène, je vou­drais reve­nir à lui par l’inter­mé­diaire de Paulin. Paulin Vieyra était à l’IDHEC (2) quel­ques années après moi et Sembène ne fai­sait pas de cinéma à l’époque, il était écrivain. Il m’a demandé pour­quoi je fai­sais des films qui pas­saient nul part, il par­lait d’Afrique 50 effec­ti­ve­ment, les néga­tifs avaient été détruits. Il me dit "Parce que j’aime­rai bien avec ce que je fais, mes romans, qu’on fasse des films mais pas avec toi parce qu’ils pas­sent nul part tes films". Parallèlement, il y avait Paulin Vieyra qui avait écrit tout un arti­cle élogieux sur mon film Afrique 50. Et on a dis­cuté un jour là-dessus avec Sembène. Je lui disais main­te­nant, tu fais des films qui ont un contenu et à l’époque tu n’approu­vais pas du tout Paulin Vieyra quand il chan­tait les méri­tes d’Afrique 50. Il m’a écrit une réponse dans une lettre qui a été détruite mal­heu­reu­se­ment et il me disait : "Tu es comme un jeune cabri qui donne des coup de tête et tu fonces dans un mur, la tête en avant, mais les murs ne s’écrouleront pas. Ta tech­ni­que est mau­vaise. Moi j’en ai une autre. On connaît les murs tous les 2 et on se heurte à eux. Simplement, moi je marche contre le mur, j’appuie avec ma main, je ne réus­sis pas à le faire tomber, et puis je trouve une porte et là je ne frappe pas, j’ouvre la porte et je mets mon pied pour empê­cher qu’on la ferme et der­rière je fais ce que je veux !"

Voilà, on avait 2 tech­ni­ques dif­fé­ren­tes qui ont débou­chées, par­fois, sur des engueu­la­des.

Dans ces séan­ces à Alger, moi je disais que je fai­sais des films avec les algé­riens pen­dant la guerre d’Algérie quand ils ne pou­vaient pas en faire eux même, main­te­nant je vais faire une école pour appren­dre aux cinéas­tes algé­riens à se servir d’une caméra. Et Sembène disait : "René, ça sert à rien tout ça, pour­quoi faire des écoles ici puis­que qu’il y en a ailleurs, on a été formé ailleurs". Ma posi­tion était qu’il fal­lait former les cinéas­tes afri­cains dans leur propre pays. Il me rétor­quait "Ca y est, il y a des labo­ra­toi­res en Tunisie" et moi de rajou­ter qu’il fal­lait aussi des petits labo­ra­toi­res de films dans leurs pays. On avait 2 opti­ques dif­fé­ren­tes et nos rap­ports étaient comme ça, dans l’oppo­si­tion, très fermes mais ça se ter­mi­nait tou­jours avec des gran­des tapes dans le dos.

Pape Massène Sène (2)
Ousmane Sembène était un homme très très com­plexe. Et nous l’avons vécu aussi dans les rap­ports avec l’état. En vérité il y a des grands hommes qui rejè­tent beau­coup une partie d’eux même et Sembène fait partie de ce que je crois comme étant des êtres qui ont une affec­tion que j’appel­le­rai "dou­lou­reuse". Ils ont tel­le­ment confiance en ce qu’ils pro­dui­sent qu’ils ne sou­hai­tent pas faire inter­fé­rence entre leur tra­vail dont vous parlez et l’être humain dans toute sa com­plexité et ses fai­blesse comme n’importe quel être humain.

Le 1 er contact que j’ai eu avec Sembène res­sem­ble à celui de Johnson Traoré. J’étais étudiant à Paris et sim­ple­ment à tra­vers ses ouvra­ges, j’avais choi­sis à l’époque de faire ma maî­trise sur socié­tés et idéo­lo­gies à tra­vers les romans d’Ousmane Sembène. C’était en 1976, j’ai mon diplôme et je débar­que à Dakar. Je demande à mes amis de faire en sorte d’obte­nir une ren­contre avec Sembène afin de lui remet­tre juste un exem­plaire de mon tra­vail. Je ne l’avais pas vu aupa­ra­vant puis­que je tra­vaillais sur l’œuvre et non sur l’homme, c’est très impor­tant. J’obtiens ce rendez-vous, il me reçoit très gen­ti­ment et il me dit : "Je ne com­pren­drais jamais les intel­lec­tuels afri­cains. Qu’est ce que vous avez à perdre votre temps à passer des diplô­mes sur des gens que vous ne connais­sez pas !" Moi, jeune, le sang chaud lui répli­que que je n’ai jamais parlé d’Ousmane Sembène mais de son œuvre. Je viens de décou­vrir le per­son­nage et moi qui pen­sais faire ma thèse sur Ousmane Sembène, je suis sûr main­te­nant que je ne la ferais pas ! Et c’est de là que sont partis nos 1 er s échanges lors­que l’on avait bien cla­ri­fié les choses.

Sembène est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant mais je veux que les gens dis­so­cient l’oeuvre, le grand bon­homme et l’être humain comme nous tous qui avons nos fai­bles­ses, nos qua­li­tés mais fon­da­men­ta­le­ment par­lant, je reste en admi­ra­tion devant cet homme qui a laissé quel­que chose au Sénégal et à l’huma­nité.

Par rap­port à l’état, Sembène était un grand mon­sieur, consi­déré comme tel, adulé et il se trouve que lors­que l’on détient le pou­voir et qu’il s’appelle Senghor, Abdou Diouf ou Wade, quel­que part, on ne veut pas à la tête d’un état une fois qu’on a défini les règles du jeu, de quelqu’un qui puisse pré­ten­dre à en défi­nir de nou­vel­les. Ousmane Sembène a choisi, et c’est un acte impor­tant et fort, de ne pas s’exiler, il avait la pos­si­bi­lité d’aller par­tout, il est resté au Sénégal pour donner des leçons aux séné­ga­lais en dehors même du cinéma. Montrer que la réus­site et la consi­dé­ra­tion était pos­si­ble au Sénégalais, il l’a fait. C’est très impor­tant comme leçon d’avenir. Construire le pays, cela se fait sur place.

Le fameux combat dont on parle avec Senghor n’en était pas vrai­ment un. Il se trouve sim­ple­ment que lui, étant connu, a apporté quel­que chose qui avait une dimen­sion excep­tion­nelle. Tout le monde épilogue sur l’his­toire de Ceddo ; Il faut savoir que dans le contexte, vous aviez un mou­ve­ment poli­ti­que clan­des­tin autour de Cheikh Anta Diop, ce qui est devenu le RNB. Le jour­nal à l’époque qui contes­tait le pou­voir de Senghor s’appe­lait SIGGI (Debout) avec 2 G. Senghor pour bloqué a inter­dit ce jour­nal. Eux, ont fait un détour, comme les dia­lec­ti­ciens com­mu­nis­tes et pour ne pas s’oppo­ser à Senghor, ont changé le titre par le terme wolof "Tarao" qui veut dire Debout. La ques­tion était réglée.

Par contre quand Sembène a sorti Ceddo avec 2 D, dans la même logi­que, c’était moins contre Sembène mais par la jus­ti­fi­ca­tion de l’acte anté­rieure sur Siggi, que l’état a cen­suré. Il fal­lait un peu de cohé­rence.

Catherine Ruelle
Il faut dire que le Wolof était écrit en fran­çais et donc que Siggi et Ceddo s’écrivaient comme cela.

Pape Massène Sène<br>Crédit photos J. M. Faucillon

Pape Massène Sène (3)
Dans tout cela il faut savoir qu’il y avait une haute estime entre Sembène et Senghor. Ils ont su le gérer en bons stra­tè­ges ; à chaque fois que Sembène avait besoin de l’état à ses cotés, l’état était pré­sent. A chaque fois qu’il vou­lait repren­dre sa liberté de citoyen et de mili­tant, il l’a fait. C’est ce va et vient qui est extra­or­di­naire et c’est une autre leçon de démo­cra­tie.

Catherine Ruelle
Je vou­drais qu’on revienne sur la façon dont Sembène était l’expres­sion vrai­ment forte de ces cultu­res et qu’il a tra­duit à fond, je pense à Emitaï, à Ceddo, ses cultu­res pro­fon­des.

Pape Massène Sène
Les cultu­res séné­ga­lai­ses sont plu­riel­les. Il faut savoir que le Wolof, contrai­re­ment à ce que beau­coup de séné­ga­lais pen­sent du reste, est le fruit d’un métis­sage, c’est comme les créo­les en Martinique. Les Wolof sont des métis­ses, donc cultu­res plu­riel­les. Les Sérères, culture plu­rielle avec des ori­gi­nes Mandingues, des ori­gi­nes Soninkés tout cela se retrouve dans l’œuvre de Sembène car il en était cons­cient et fier, là aussi, par oppo­si­tion à une cer­taine forme d’uni­for­mi­sa­tion cultu­relle ambiante à l’époque de Senghor. On a beau­coup insisté sur l’ouver­ture et l’enra­ci­ne­ment mais tout le monde disait que ce n’était qu’un petit pré­texte et c’est l’ouver­ture sur l’occi­dent qui pré­do­mi­nait. Sembène, le mili­tant, s’est posi­tionné du coté de l’enra­ci­ne­ment ce qui fait que les actes au quo­ti­dien de chacun de ses per­son­na­ges sont for­te­ment codés cultu­rel­le­ment. Il est por­teur de toutes ces cultu­res du Sénégal mais en même temps, il était ouvert sur le monde, l’Afrique dans un 1 er temps mais aussi l’Europe, Mr Vautier vient de le rap­pe­ler à propos de la créa­tion des écoles. C’était un citoyen du monde, homme plu­riel, accep­tant ce qui y avait de posi­tif ailleurs et c’est ça qui en fait son ori­gi­na­lité. La diver­sité cultu­relle dont on parle tant, si il y a quelqu’un qui l’a vécu et illus­tré, c’est bien Ousmane Sembène. Voilà un autre mes­sage que le monde pourra rete­nir.

Propos recueillis par S. Perrin et B. Tiprez (Clap Noir)

1. Réalisateur de Afrique 50, docu­men­ta­riste engagé, d’une part sur la Résistance , d’autre part la lutte contre le colo­nia­lisme. Insatiable dénon­cia­teur du men­songe des grands envers les petits et convoyeur des paro­les habi­tuel­le­ment négli­gées, René Vautier a connu la cen­sure sur pra­ti­que­ment toute son œuvre.

2. Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques.

3. Pape Massène Sène est direc­teur de cabi­net du minis­tre de la Culture et du Patrimoine his­to­ri­que classé séné­ga­lais.

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