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Cinéma invisible ?
Publié le : mardi 5 février 2008

La ques­tion de la visi­bi­lité des ciné­mas d’Afrique revient sou­vent dans les débats et elle a été de nou­veau évoquée lors de la pre­mière table ronde consa­crée à l’his­toire du cinéma afri­cain d’Africamania. Pourquoi aussi peu de films du conti­nent noir sont-ils mon­trés ?

On dit sou­vent, pour­tant, que l’on voit plus de films en France qu’en Afrique. Il est vrai que beau­coup de Festivals fran­çais leur consa­crent une place et cer­tains sont entiè­re­ment dédiés aux ciné­ma­to­gra­phies du Sud. Mais ces Festivals res­tent mineurs et n’ont pas un rayon­ne­ment suf­fi­sant pour "vendre" leur pro­gram­ma­tion. Peu de com­mu­ni­ca­tion, peu de média­ti­sa­tion et peu d’expo­si­tion, ils res­tent avant tout le rendez vous de ciné­phi­les spé­cia­li­sés et des pro­fes­sion­nels afri­cains.

Le public fran­çais ne connaît pas les ciné­mas d’Afrique, il a gardé l’image des films des années 80, quand les Kaboré, Ouedraogo et Cissé brillaient à Cannes et étaient les ambas­sa­deurs de leur ciné­ma­to­gra­phie. Certes, actuel­le­ment tout le cinéma d’auteur est en crise et a de moins en moins de place dans les salles fran­çai­ses. Le cinéma est devenu un pro­duit de consom­ma­tion, assu­jetti aux lois du marché. La fameuse diver­sité cultu­relle en a prit pour son grade ; qui plus est, il faut bien le dire, peu de per­son­nes sont inté­res­sées par des films de l’Afrique et sa dia­spora. Trouver un dis­tri­bu­teur fran­çais pour un cinéaste afri­cain est un par­cours du com­bat­tant et relève du mira­cle. La com­mu­ni­ca­tion avec les pro­fes­sion­nels est dif­fi­cile, il faut mon­trer, expli­quer et se battre pour pro­gram­mer un film.

La carte pos­tale "exo­ti­que" et eth­no­gra­phi­que que le public trou­vait dans ces films n’est plus à la mode. Mais le pire, c’est que ce cinéma n’offre pas du tout ce que pense voir le ciné­phile. Depuis les années 80, les ciné­mas afri­cains sont dans une cons­tante évolution et nous pro­po­sent des oeu­vres de très bonne fac­ture. En outre, l’arri­vée du numé­ri­que, a permit l’émergence de mul­ti­ple écritures, ancrées dans l’actua­lité du conti­nent.

Mais peu de gens sont sen­si­bi­li­sés, peu de moyens sont mis en œuvre. Clap Noir qui montre à tra­vers ses Maquis Culturels une ciné­ma­to­gra­phie méconnue ou pas dis­tri­buée en France y est confronté chaque année. C’est une ques­tion de volonté : une bonne pro­mo­tion, s’appuyant sur des réseaux de médias ciblés est payante. Le public est au rendez-vous et décou­vre, grâce à ces pro­jec­tions, une ciné­ma­to­gra­phie riche, variée et de qua­lité. Les dis­tri­bu­teurs, les pro­gram­ma­teurs de fes­ti­vals et de télé­vi­sion ne font pas d’efforts et ont leur part de res­pon­sa­bi­li­tés. La France à tra­vers de mul­ti­ples méca­nis­mes de sub­ven­tions aide ces ciné­mas mais les montre dans des Festivals "vitri­nes" comme Cannes ou Amiens. Paradoxalement, elle a tou­jours sou­te­nue finan­ciè­re­ment la pro­duc­tion du Sud mais n’a jamais eût de réelle poli­ti­que d’appui à la dif­fu­sion de ces films sur le ter­ri­toire fran­çais.

O. Barlet à la table ronde Africamania

Un peu d’his­toire

La France a tou­jours entre­te­nue une rela­tion cultu­relle pro­fonde et dura­ble avec le conti­nent noir depuis les indé­pen­dan­ces. Sur l’his­toire de cette visi­bi­lité, Olivier Barlet nous livre son point de vue

"Le rap­port entre la France et l’Afrique est d’une ambi­va­lence par­faite.
La ques­tion qui va se poser très rapi­de­ment au minis­tère de la coo­pé­ra­tion est la volonté d’essayer de rame­ner dans un giron d’influence un cer­tain nombre de pays dont on va avoir besoin sur la scène inter­na­tio­nale. Cette volonté va être per­ma­nente.

Très vite dans les dis­cu­tions de l’OMC sur l’excep­tion cultu­relle, on va inclure un cer­tain nombre de pays afri­cains, fran­co­pho­nes au moins, avec nous pour défen­dre l’excep­tion cultu­relle qui nous est si impor­tante parce que c’est cela qu’on vend au monde. On a besoin de cette coo­pé­ra­tion ce qui va per­met­tre à ces ciné­ma­to­gra­phies d’exis­ter. An niveau inter­na­tio­nal, elles seront mon­trer à Cannes de manière à dire que la France les aident et par leur exis­tence, elles amè­nent quel­que chose. Ça c’est l’inté­rêt.

Sur le ter­rain, ce sont des gens qui s’enga­gent véri­ta­ble­ment et il y a des choses magni­fi­ques qui sont faites. C’est encore vrai aujourd’hui, on a besoin de l’Afrique pour ne pas être seul au monde, d’où ce rap­port par­ti­cu­lier. Il y a ce jeu d’inté­rêt qui joue et qui motive une pré­sence.

A l’époque de Yeelen, Prix du Jury à Cannes, les films afri­cains sor­tent de la mar­gi­na­lité et il y a des succès public et une reconnais­sance au niveau des prix. En même temps, il y a une incom­pré­hen­sion fon­da­men­tale du contenu des films. Pour Yeelen, tout le monde a applaudi mais per­sonne n’avait com­pris.

Dans notre rap­port avec l’Afrique, dans ses pré­ju­gés que l’on tire des rap­ports ima­gi­nai­res que l’on a issus de la colo­ni­sa­tion, la façon d’appré­hen­der cette ciné­ma­to­gra­phie afri­caine est tou­jours dopé, elle est d’une cer­taine manière ce dont on a besoin quelle soit, d’un cer­tain type, mais on est pas dans une écoute véri­ta­ble. On se trouve face à une ciné­ma­to­gra­phie qui est rela­ti­ve­ment reje­tée de la part des gens parce qu’ils croient qu’ils vont trou­ver quel­que chose qu’ils n’ont pas envie de voir alors que ce n’est pas ce qu’elle pro­pose. On est tou­jours dans un rap­port comme ça. La "carte-pos­ta­li­sa­tion" de l’Afrique dont on avait besoin à un cer­tain moment n’est plus à l’ordre du jour quand on est nous même en état de crise par ce que ça explose trop fort. On va alors s’inté­res­ser au cinéma asia­ti­que qui nous offre un cinéma de crise.

Les cinéas­tes sont tout le temps en train de se battre pour essayer de répon­dre à ce regard là. Ils tra­vaillent en per­ma­nence sur leurs réa­li­tés et sur le regard de l’autre. Aujourd’hui, on en est encore là. Il y a « Bamako » qui a eût un franc succès mais qui est un film qui va nous parler d’une cer­taine manière et donc la rela­tion est pos­si­ble. Et puis d’autres films tout aussi remar­qua­bles vont avoir beau­coup moins d’expo­si­tion …"

Du coté des ins­ti­tu­tions fran­çai­ses, la ciné­ma­thè­que Afrique, créée par le minis­tère de la Coopération en 1961, pos­sède l’une des col­lec­tions les plus com­plè­tes de films afri­cains. Elle est aujourd’hui inté­grée au dépar­te­ment Afrique et Caraïbes en Créations de Culturesfrance, opé­ra­teur délé­gué des minis­tè­res des Affaires étrangères et de la culture et de la com­mu­ni­ca­tion pour les échanges cultu­rels inter­na­tio­naux. Destiné à la pro­mo­tion des ciné­mas d’Afrique, ce fond est consulté par les étudiants, cher­cheurs et uni­ver­si­tai­res. Suite à cette restruc­tu­ra­tion, la ciné­ma­thè­que risque d’être de moins en moins acces­si­ble, la consul­ta­tion des films d’en être limité, dimi­nuant par consé­quent la visi­bi­lité de ce fond. Quant à la Francophonie, qui pro­pose, en autres, une aide à la dis­tri­bu­tion, aux dires de cer­tains réa­li­sa­teurs, « mieux vaut faire sans elle car elle vous fati­gue avant même de com­men­cer votre tra­vail … »

Combien de temps encore va-t-on atten­dre pour accé­der plus faci­le­ment à ces ciné­mas ? Les fes­ti­vals doi­vent faire plus de place dans leur pro­gram­ma­tion et les pro­duc­teurs doi­vent pren­dre leurs res­pon­sa­bi­li­tés. La situa­tion semble figée. Demain, pas de signes d’ouver­ture des acteurs sociaux cultu­rels en direc­tion du grand public. Mais à l’heure ou les salles indé­pen­dan­tes sont mena­cées, il y aura tou­jours une place pour mon­trer les pépi­tes que les ciné­mas d’Afrique nous réser­vent. Et c’est tant mieux !

Benoît Tiprez

La ciné­ma­thè­que Afrique

La média­thè­que des 3 mondes : films d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine

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