La question de la visibilité des cinémas d’Afrique revient souvent dans les débats et elle a été de nouveau évoquée lors de la première table ronde consacrée à l’histoire du cinéma africain d’Africamania. Pourquoi aussi peu de films du continent noir sont-ils montrés ?
On dit souvent, pourtant, que l’on voit plus de films en France qu’en Afrique. Il est vrai que beaucoup de Festivals français leur consacrent une place et certains sont entièrement dédiés aux cinématographies du Sud. Mais ces Festivals restent mineurs et n’ont pas un rayonnement suffisant pour "vendre" leur programmation. Peu de communication, peu de médiatisation et peu d’exposition, ils restent avant tout le rendez vous de cinéphiles spécialisés et des professionnels africains.
Le public français ne connaît pas les cinémas d’Afrique, il a gardé l’image des films des années 80, quand les Kaboré, Ouedraogo et Cissé brillaient à Cannes et étaient les ambassadeurs de leur cinématographie. Certes, actuellement tout le cinéma d’auteur est en crise et a de moins en moins de place dans les salles françaises. Le cinéma est devenu un produit de consommation, assujetti aux lois du marché. La fameuse diversité culturelle en a prit pour son grade ; qui plus est, il faut bien le dire, peu de personnes sont intéressées par des films de l’Afrique et sa diaspora. Trouver un distributeur français pour un cinéaste africain est un parcours du combattant et relève du miracle. La communication avec les professionnels est difficile, il faut montrer, expliquer et se battre pour programmer un film.
La carte postale "exotique" et ethnographique que le public trouvait dans ces films n’est plus à la mode. Mais le pire, c’est que ce cinéma n’offre pas du tout ce que pense voir le cinéphile. Depuis les années 80, les cinémas africains sont dans une constante évolution et nous proposent des oeuvres de très bonne facture. En outre, l’arrivée du numérique, a permit l’émergence de multiple écritures, ancrées dans l’actualité du continent.
Mais peu de gens sont sensibilisés, peu de moyens sont mis en œuvre. Clap Noir qui montre à travers ses Maquis Culturels une cinématographie méconnue ou pas distribuée en France y est confronté chaque année. C’est une question de volonté : une bonne promotion, s’appuyant sur des réseaux de médias ciblés est payante. Le public est au rendez-vous et découvre, grâce à ces projections, une cinématographie riche, variée et de qualité. Les distributeurs, les programmateurs de festivals et de télévision ne font pas d’efforts et ont leur part de responsabilités. La France à travers de multiples mécanismes de subventions aide ces cinémas mais les montre dans des Festivals "vitrines" comme Cannes ou Amiens. Paradoxalement, elle a toujours soutenue financièrement la production du Sud mais n’a jamais eût de réelle politique d’appui à la diffusion de ces films sur le territoire français.
Un peu d’histoire
La France a toujours entretenue une relation culturelle profonde et durable avec le continent noir depuis les indépendances. Sur l’histoire de cette visibilité, Olivier Barlet nous livre son point de vue
"Le rapport entre la France et l’Afrique est d’une ambivalence parfaite.
La question qui va se poser très rapidement au ministère de la coopération est la volonté d’essayer de ramener dans un giron d’influence un certain nombre de pays dont on va avoir besoin sur la scène internationale. Cette volonté va être permanente.
Très vite dans les discutions de l’OMC sur l’exception culturelle, on va inclure un certain nombre de pays africains, francophones au moins, avec nous pour défendre l’exception culturelle qui nous est si importante parce que c’est cela qu’on vend au monde. On a besoin de cette coopération ce qui va permettre à ces cinématographies d’exister. An niveau international, elles seront montrer à Cannes de manière à dire que la France les aident et par leur existence, elles amènent quelque chose. Ça c’est l’intérêt.
Sur le terrain, ce sont des gens qui s’engagent véritablement et il y a des choses magnifiques qui sont faites. C’est encore vrai aujourd’hui, on a besoin de l’Afrique pour ne pas être seul au monde, d’où ce rapport particulier. Il y a ce jeu d’intérêt qui joue et qui motive une présence.
A l’époque de Yeelen, Prix du Jury à Cannes, les films africains sortent de la marginalité et il y a des succès public et une reconnaissance au niveau des prix. En même temps, il y a une incompréhension fondamentale du contenu des films. Pour Yeelen, tout le monde a applaudi mais personne n’avait compris.
Dans notre rapport avec l’Afrique, dans ses préjugés que l’on tire des rapports imaginaires que l’on a issus de la colonisation, la façon d’appréhender cette cinématographie africaine est toujours dopé, elle est d’une certaine manière ce dont on a besoin quelle soit, d’un certain type, mais on est pas dans une écoute véritable. On se trouve face à une cinématographie qui est relativement rejetée de la part des gens parce qu’ils croient qu’ils vont trouver quelque chose qu’ils n’ont pas envie de voir alors que ce n’est pas ce qu’elle propose. On est toujours dans un rapport comme ça. La "carte-postalisation" de l’Afrique dont on avait besoin à un certain moment n’est plus à l’ordre du jour quand on est nous même en état de crise par ce que ça explose trop fort. On va alors s’intéresser au cinéma asiatique qui nous offre un cinéma de crise.
Les cinéastes sont tout le temps en train de se battre pour essayer de répondre à ce regard là. Ils travaillent en permanence sur leurs réalités et sur le regard de l’autre. Aujourd’hui, on en est encore là. Il y a « Bamako » qui a eût un franc succès mais qui est un film qui va nous parler d’une certaine manière et donc la relation est possible. Et puis d’autres films tout aussi remarquables vont avoir beaucoup moins d’exposition …"
Du coté des institutions françaises, la cinémathèque Afrique, créée par le ministère de la Coopération en 1961, possède l’une des collections les plus complètes de films africains. Elle est aujourd’hui intégrée au département Afrique et Caraïbes en Créations de Culturesfrance, opérateur délégué des ministères des Affaires étrangères et de la culture et de la communication pour les échanges culturels internationaux. Destiné à la promotion des cinémas d’Afrique, ce fond est consulté par les étudiants, chercheurs et universitaires. Suite à cette restructuration, la cinémathèque risque d’être de moins en moins accessible, la consultation des films d’en être limité, diminuant par conséquent la visibilité de ce fond. Quant à la Francophonie, qui propose, en autres, une aide à la distribution, aux dires de certains réalisateurs, « mieux vaut faire sans elle car elle vous fatigue avant même de commencer votre travail … »
Combien de temps encore va-t-on attendre pour accéder plus facilement à ces cinémas ? Les festivals doivent faire plus de place dans leur programmation et les producteurs doivent prendre leurs responsabilités. La situation semble figée. Demain, pas de signes d’ouverture des acteurs sociaux culturels en direction du grand public. Mais à l’heure ou les salles indépendantes sont menacées, il y aura toujours une place pour montrer les pépites que les cinémas d’Afrique nous réservent. Et c’est tant mieux !
Benoît Tiprez
La médiathèque des 3 mondes : films d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine
Clap Noir
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