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Entretien avec Nassim Amaouche
Publié le : dimanche 29 septembre 2013
Gindou 2013

Nassim Amaouche, après Adieu Gary, le public atten­dait votre nou­veau film, En ter­rain connu. On s’immerge dans cette his­toire de famille en oubliant tota­le­ment qu’il s’agit d’un moyen métrage (22mn) et la fin nous prend de court. D’autant qu’il se ter­mine par une longue scène tota­le­ment iné­dite : vous êtes couché sur le sol avec votre père et vous dis­cu­tez des moda­li­tés de son enter­re­ment, suivie d’un plan très court où le voit vous offrir des mor­ceaux de pêche. Le spec­ta­teur, inter­dit, a l’impres­sion d’être bru­ta­le­ment ramené à la réa­lité.
En d’autres termes pour­quoi ce film et sous cette forme ?

NA : C’est un projet que je por­tais depuis long­temps mais le déto­na­teur est venu d’une com­mande de Raed Andoni pour Arte. [1] . Nous nous sommes retrou­vés dans un fes­ti­val en 2009, il m’a demandé si j’avais des pro­jets, et je lui ai parlé de ce docu­men­taire que je mûris­sais depuis plu­sieurs années.
Mon projet a été le moteur d’un docu­men­taire choral. Nous étions quatre réa­li­sa­teurs avec les consi­gnes sui­van­tes : faire un docu­men­taire de 20 mn envi­ron, parler à la pre­mière per­sonne, placer l’action dans un espace connu et dans le monde arabe.
Pour Raed, dire « je » c’est poli­ti­que car, dans le monde arabe, parler à la pre­mière per­sonne du sin­gu­lier ne se fait pas. J’ai du beau­coup de tra­vailler pour y arri­ver.
De plus, les pro­duc­teurs m’ont demandé de ne parler que de mon père. Je suis donc parti quinze jours avec lui en Algérie, et une équipe légère de 2 tech­ni­ciens image et son. C’était ma pre­mière fois dans ce pays.
En ce qui concerne la forme, il faut le pren­dre comme une nar­ra­tion, une mosaï­que, un mono­lo­gue...je n’ai pas cher­ché de cons­truc­tion.

En pré­sen­tant le film vous avez dit que nous étions ses pre­miers spec­ta­teurs. N’est-il pas déjà passé à la télé­vi­sion avec les trois autres de la série ?

NA : Rien n’a encore été pro­grammé. Mais ce film est auto­nome, car j’ai obtenu le visa CNC pour mon compte. Il peut vivre sa vie tout seul. Et, bien qu’il soit passé à Clermont-Ferrand, ce n’est pas un film de fes­ti­val. Je l’ai fait pour moi, c’est le seul que j’ai envi­sagé sans public. Trop intime, j’étais inca­pa­ble d’enten­dre des com­men­tai­res.
Et puis, il est devenu évident que Gindou était l’endroit où le pro­je­ter dans les meilleu­res condi­tions , avec un accom­pa­gne­ment à la hau­teur de sa fra­gi­lité. C’est la pre­mière fois que je le pré­sente, je suis venu l’assu­mer ici. Et main­te­nant que c’est fait, je suis content, c’est une chose que je vais pou­voir ranger.

On voit votre père reve­nir sur les ruines de sa maison sous les décom­bres de laquelle il fut ense­veli en 1957. Dans quel­les cir­cons­tan­ces exac­te­ment ?

NA : les Français cher­chaient le colo­nel Amirouche chef du FLN dans la région, croyant l’anéan­tir, ils ont bom­bardé lar­ge­ment le vil­lage, tuant les habi­tants . Il est vrai qu’il venait dormir chez ma tante à qui il disait : « Chez toi, c’est le seul endroit où j’enlève mes bottes ! » Mon père avait 13 ans, il en est sorti vivant par mira­cle, est parti en France où il a fait sa vie et a déclaré avoir perdu la mémoire de ces événements.

Le film est cons­truit autour de lui, vous reve­nez sur son enfance pour le faire parler de sa mort...

NA : Je dois beau­coup à mon père, à son sou­tien indé­fec­ti­ble. Je vou­lais mon­trer, son rayon­ne­ment, sa beauté, sa per­son­na­lité qui me paraît uni­ver­selle. Il m’a fait entiè­re­ment confiance et au moment de tour­ner cette fameuse scène du tes­ta­ment, nous nous y sommes repris à deux fois. C’était moins dif­fi­cile, fina­le­ment, de se cou­cher l’un près de l’autre, sans se voir, en chien de fusil. Exactement dans la pos­ture et le lieu où il repo­sera. C’est ainsi que nous dis­po­sons les corps, dans son pays.
Il a donné ses consi­gnes pour son enter­re­ment en Algérie et j’ai pu lui poser mes ques­tions sur l’orga­ni­sa­tion, sans me trou­bler. Car s’il meurt en France, il faudra rapa­trier le corps. C’était un moment très fort.
Aujourd’hui, j’ai sa parole dans ce docu­men­taire et per­sonne ne pourra venir contre­car­rer sa volonté et me dire com­ment nous devons faire le moment venu. On ne peut trou­ver l’apai­se­ment que si le rite de pas­sage a été bien fait.

Quels sont vos pro­jets ? A quand le pro­chain long métrage ?

NA : Mon pro­chain film sera une fic­tion. Une rela­tion entre un père et son fils. Le fils n’a jamais connu son père qui tient un bar à Belleville, il va le décou­vrir en même temps que toute une com­mu­nauté autour de lui. J’espère com­men­cer à tour­ner fin 2013, la plus grande partie en France, le reste en Algérie.

La rela­tion père/fils est une thé­ma­ti­que qui vous est chère, déci­dé­ment. Avant En ter­rain connu on ne peut oublier que dans Adieu Gary, Jean-Pierre Bacri cam­pait un père d’une rare sen­si­bi­lité envers ses deux gar­çons, tandis qu’un ado­les­cent aban­donné du sien se choi­sis­sait Gary Cooper comme figure tuté­laire.

NA : Effectivement, mais pour moi ce docu­men­taire était une étape obli­ga­toire. Il fal­lait aller au fond de la rela­tion père/fils pour me sentir la légi­ti­mité de tour­ner ’une fic­tion.
Par ailleurs, il n’est pas, non plus, impos­si­ble que je reprenne un jour En Terrain connu pour en faire un long métrage, j’ai de la matière !

Propos recueillis par Michèle Solle - Gindou 2013

1 Raed Andoni, réa­li­sa­teur pales­ti­nien de Fix Me sorti en 2010 et sélec­tionné dans de nom­breux fes­ti­vals.

Lire la cri­ti­que En ter­rain connu
Fiche du film

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