Le grand bateau vient de boucler sa 23ème croisière. Grâce au réchauffement de la planète, il n’a pas encore rencontré l’Iceberg. En supporterait-il le choc un demi-siècle après sa sortie des chantiers ? Sous la peinture renouvelée, la coque se fissure.
Sur le pont supérieur, ce ne sont que fêtes, réceptions et banquets. Le capitaine se met en frais pour choyer les hôtes de la première classe, et si, dans les cales, des soutiers inconnus écopent dur, les autres passagers, livrés à eux-mêmes, se débrouillent tout seuls...
Communication et Relations Publiques ont supplanté depuis longtemps le Cinéma , instrumentalisé, devenu prétexte à l’organisation d’un événement de prestige. Oubliés les enjeux originels : un art au service de tous ? Que sont devenues les projections dans les cinémas de quartiers ? Veut-on favoriser la fréquentation des salles ? Aucun des cinémas populaires, en plein air n’étaient de la partie cette année. Exit l’Oubry, le ciné Tampouy …
Plus de prix du public... De quel public d’ailleurs ? Jadis chapeauté par RFI et le MAE, ce prix n’a pas trouvé repreneur ! Pourquoi cette désaffection des partenaires privés ou institutionnels ? Où est passée la ferveur populaire du Fespaco ?
Ceux qui n’ont pas 1000F CFA (1,5€) pour acheter la place de cinéma peuvent toujours aller gratuitement au stade du 4 août pour l’ouverture et la clôture, ainsi qu’aux concerts du soir. Tout ça sans une seule image, désolé, c’est un détail ! Panem et circenses ! Comme dans la Rome d’avant les frères Lumière...
Hier et demain
Tandis que la chaleur assomme la ville rendue à ses activités habituelles, que les petits marchands des rues désespérés de la fuite des étrangers, vous harcèlent avec l’énergie du désespoir, les langues se délient et on apprend enfin la raison de l’énorme panne de réseau qui a empoisonné le travail des médias de ce 23ème Fespaco. Le coup du câble rompu, c’était du pipeau. En fait c’est une grève des salariés de l’ONATEL qui est à l’origine de cette énorme « panne ». L’ONATEL, Office National des Télécommunications, entreprise d’État historique, a été rachetée par des investisseurs marocains. Pour mieux faire entendre leurs revendications concernant les salaires et conditions de travail, les salariés ont lancé une grève 8 jours avant le début du Fespaco...Mauvais calcul apparemment, l’imminence de l’évènement n’a pas eu l’effet escompté. La grève a donc continué pendant au moins 15 jours, aux dernières nouvelles, des négociations seraient en cours.
Pas de chance pour les journalistes qui ont essuyé de longues heures d’attentes sur Internet, manqué nombre de rendez vous téléphoniques, réduits à la portion congrue de projections, privés de l’effervescence des rencontres festives qui sont l’essence du Fespaco !
Quand donc le Fespaco se dotera-t-il d’un service de presse, digne d’un grand Festival ? Annoncé depuis dix ans, et toujours inexistant à ce jour, c’est une désespérante arlésienne. A l’heure du numérique, il serait grand temps que l’équipe aux commandes se saisisse à pleines dents des nouveaux outils de communication, avant que d’être complètement coulée.
Dans ce pays, où la pratique du cinéma semble être considérée comme un sport d’élite, l’élan des pionniers s’est-il tari ? Comment s’étonner alors que certains professionnels abandonnent le Fespaco, vampés par les sirènes d’autres festivals moins mythiques mais plus efficaces ? On en viendrait presque à souhaiter l’implosion annoncée et que le bel oiseau se relève enfin des cendres, qui, cette année, ont bien failli avoir sa peau...
Aujourd’hui
Cinéma Burkina, la vie continue : on roule le tapis rouge et on affiche le programme de la semaine.
Aujourd’hui, (traduction de Tey) d’Alain Gomis, l’étalon d’Or de l’édition 2013. Trois séances par jour du 3 ou 10 mars : 21 séances. Bigre ! On ne peut plus dire que le public soit oublié.
Lundi soir, 20h30. Comme un adieu au Fespaco, retrouver le fauteuil rouge tout près de l’écran et suivre, une fois de plus, la déambulation de Saul Williams dans ce Dakar qu’il vit pour la dernière fois. Pas plus de trente personnes dans la salle. On projette la copie 35.
Question au responsable de la programmation qui surveille les entrées : « 21 séances avec le même film, c’est habituel ? Pourquoi ne pas programmer par exemple Moi, Zaphira ? » Il a un geste d’impuissance ! « Je fais ce que je peux ! Gomis m’a laissé son film, par contre, comme le contrat est un peu flou, je n’ai pas le droit de faire de la pub... Pour les autres films, je voudrais bien mais je n’ai pas le temps de courir après les réalisateurs ou leurs distributeurs, personne n’est pressé, ici ! »
Par contre, il sait déjà que la semaine suivante, c’est le film de Boubacar Diallo , Congé de Mariage qui remplira la salle, et, celui de Thierry Michel L’affaire Chebeya, un crime d’État, prendra la suite. A en juger par le succès rencontré lors du Fespaco, nul doute qu’entre le marivaudage bourgeois à la ouagalaise sélectionné dans la compétition long métrage et le procès des assassins d’un défenseur des droits de l’homme en RDC, projeté hors festival, le ciné Burkina renfloue ses caisses et comble d’aise quelques spectateurs.
Bye bye Ouaga, ses milliers de motos, ses taxis aléatoires, sa poussière rouge et ses vendeuses de fraises. Bye bye Ouaga, cité phare du cinéma, que tes écrans continuent encore longtemps d’illuminer une nuit pas vraiment américaine et que, par un bon coup de baguette ton festival retrouve sa magie !
Michèle Solle
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France