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Le tchatcha des indépendances
Publié le : jeudi 29 novembre 2012
Images vues au festival d’Amiens 2012

L’indé­pen­dance, tchat­cha, tube congo­lais pana­fri­ca­niste de 1960, d’un cer­tain Roger Izeidi et son African jazz est une musi­que qui court dans les esprits des fes­ti­va­liers qui ont assisté aux pro­jec­tions du fes­ti­val cette année. Elle en a la saveur faus­se­ment légère et indo­lore, faite pour danser et l’ironie mor­dante, pour tous ceux qui connais­sent la suite, cin­quante ans après... À Amiens, on est aussi un peu dans une fin de règne : c’est le pre­mier fes­ti­val sans Jean-Pierre Garcia comme pré­si­dent.

Medhi Charef

L’ambiance n’est pas ner­veuse. Les films afri­cains sont de plus en plus rares. Pourtant, le fes­ti­val nous offre de nom­breu­ses pépi­tes, entre l’hom­mage à Romi Schneider, celui rendu à Hanna Shygula et à Raoul Ruiz. Les ciné­ma­to­gra­phies du sud sont pré­sen­tes, mais il faut savoir les trou­ver. « Indépendance tcha­cha... ».

Le cinéaste Medhi Charef, invité d’hon­neur du fes­ti­val, pré­sen­tait son film Cartouches gau­loi­ses (2007), qui raconte la guerre d’Algérie vue à hau­teur d’enfant. Comme son film plus connu, Le thé au harem d’Archimède (1985), le film a le talent de mon­trer les choses avec sim­pli­cité, élégance et huma­nisme, tout en décri­vant la vio­lence pour ce qu’elle est, la miso­gy­nie pour ce qu’elle est, bref avec une cons­cience poli­ti­que aigue et bien loin de l’inno­cence. Cartouches gau­loi­ses est un film puis­sant, qui dit tout, mais qui fut moins facile à regar­der pour le public fran­çais que son jumeau ban­lieu­sard, qui connut un grand succès dans les années quatre vingt. Pourtant, il y avait à dire et assez peu avait été dit lors­que le film est sorti. Aujourd’hui, cin­quante ans après l’indé­pen­dance de l’Algérie, les lan­gues se délient, les camé­ras sor­tent, les témoins sor­tent leurs sou­ve­nirs, films super 8, photos de famille ou déci­dent tout sim­ple­ment qu’il est temps de parler.

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L’Algérie nouvelle, on y croyait

Cela donne notam­ment le joli docu­men­taire de Chloé Hunzinger, L’Algérie nou­velle, on y croyait (2011). Elle aussi, uti­lise le mor­ceau de l’African jazz. La jeune femme filme les Pieds rouges, ces Français idéa­lis­tes venus après l’indé­pen­dance en 1962 aider le pays à se recons­truire. A tra­vers leur regard, entre utopie et décep­tion (« sous un dis­cours tiers-mon­diste, l’Algérie se révé­lait natio­na­liste »), c’est une des­crip­tion fine de l’Algérie de Ben Bella puis de Boumedienne qui est faite, dans ses contra­dic­tions poli­ti­ques.
Indépendance encore, c’est celle du Congo, que Raoul Peck dépeint dans Lumumba (2000). Le cinéaste haï­tien, à l’hon­neur cette année à Amiens, nous offre dans ce film un très beau por­trait du leader indé­pen­dan­tiste. Passionné par le pou­voir et ses vicis­si­tu­des, Raoul Peck axe son récit sur la tra­hi­son de Mobutu, l’ami, très fine­ment incarné par Alex Descas. Ceux qui étaient là à la pro­jec­tion redé­cou­vrent un Eriq Ebouaney bou­le­ver­sant en leader cha­ris­ma­ti­que, pres­que chris­ti­que, et trop vite sacri­fié. Son destin tra­gi­que fai­sant évidemment écho à celui de bien d’autres : Thomas Sankara, Kwame Nkrumah.

Le pana­fri­ca­nisme, qu’est-il devenu ? Que reste-t-il de l’héri­tage du mes­sage grands lea­ders des indé­pen­dan­ces ? C’est la tâche à laquelle s’attelle Awadi, le célè­bre leader du groupe de rap séné­ga­lais Positif Black Soul (PBS), fer­me­ment engagé depuis l’élection pré­si­den­tielle de 2000 dans l’arène poli­ti­que. Dans Les Etats Unis d’Afrique, un docu­men­taire por­trait réa­lisé par Yannick Létourneau, Awadi nous entraîne sur tout le conti­nent, et même en France et aux Etats-Unis sur les traces des dis­cours des pre­miers pré­si­dents afri­cains. « C’est vrai qu’on s’est cra­shés au décol­lage, mais on a la boîte noire ! ». Il connaît par cœur les allo­cu­tions de Malcolm X, Mandela, Cheikh Anta Diop. Et il connaît aussi par cœur le dis­cours de Dakar de Sarkozy ! Un jeu, de se le repas­ser en boucle avec ses potes, les rap­peurs Smokey, du Burkina Faso, Zuluboy d’Afrique du Sud et M1, le angry « afri­can-ame­ri­can » de New York.

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Hamou Beya, pêcheurs de sable

Est-ce que l’indé­pen­dance a rendu fou ceux qui n’ont pas sup­porté les chan­ge­ments poli­ti­ques ? Dans Le maré­cha­lat du roi-dieu, un docu­men­taire fra­gile dres­sant le por­trait d’un homme schi­zo­phrène qui déclare non sans poésie : « Voilà bien­tôt trente ans que je parle au zénith », la réa­li­sa­trice gabo­naise Nathalie Pontalier tente de faire œuvre ciné­ma­to­gra­phi­que. Elle est la seule réa­li­sa­trice afri­caine, avec Andrey Samoute Diarra (Hamou Beya, pêcheurs de sable à signer un docu­men­taire cette année dans la sélec­tion docu­men­tai­res afri­cains du fes­ti­val. Thierry Michel, pré­sent avec L’affaire Chebeya, déjà vu par l’équipe de Clap noir, n’a point volé sa place, mais cette faible repré­sen­ta­tion de l’Afrique par les Africains est-elle un choix éditorial ou bien est-ce le reflet d’une pénu­rie cruelle de talents ? Où sont les docu­men­ta­ris­tes afri­cains ?

Du Vietnam également, nous revien­nent la musi­que des indé­pen­dan­ces, avec le très beau tra­vail du réa­li­sa­teur viet­na­mien Lam Lê, Cong Binh, la longue nuit indo­chi­noise qui obtient le Prix spé­cial du jury. A la veille de la seconde guerre mon­diale, 20.000 Vietnamiens ont été recru­tés de force pour tra­vailler en France. Parias sous l’Occupation, consi­dé­rés injus­te­ment comme des traî­tres au Vietnam où ils ne sont ren­trés, pour cer­tains, que bien des années plus tard, ils avaient pour­tant sou­tenu Hô Chi Minh dès 1945. « Ces hommes, aujourd’hui très âgés, m’ont confié des choses qu’ils n’avaient pas dites, même à leurs pro­pres enfants. J’ai aussi pensé à la phrase de Pasolini : ce sont les fils qui écrivent l’his­toire, car ils essaient de com­pren­dre leurs pères ». Fort par son ana­lyse poli­ti­que péné­trante et par l’émotion déga­gée par son for­mi­da­ble groupe de témoins, le film nous emmène aux temps de la bataille pour l’indé­pen­dance en Asie, en Indochine, qui devien­dra Vietnam en 1954, et sera libéré de la pré­sence amé­ri­caine en 1976. On a par­fois oublié, que ce soit pour le Vietnam ou l’Algérie, que c’est à Paris, para­doxa­le­ment, que bien des choses ont com­mencé.

Caroline Pochon
22 novem­bre 2012

Palmarès Amiens 2012

- Grand Prix du long métrage (Licorne d’Or) : Offline de Peter Monsaert (Belgique, 2012)
- Prix spé­cial du jury pour le long métrage : Cong Binh, La Longue Nuit Indochinoise de Lam Lê (France, 2012)
- Prix de la Ville d’Amiens : Yema de Djamila Sahraoui (Algérie/France, 2012)
- Prix d’inter­pré­ta­tion fémi­nine : Anemone Valcke pour son rôle dans Offline de Peter Monsaert (Belgique, 2012)
Ex-aequo
Nermina Lukac pour son rôle dans Eat Sleep Die de Gabriela Pichler (Suède, 2011)
- Prix d’inter­pré­ta­tion mas­cu­line : Wim Willaert pour son rôle dans Offline de Peter Monsaert (Belgique, 2012)
- Mention spé­ciale du jury : Eat Sleep Die de Gabriela Pichler (Suède, 2011)
- Prix du public long métrage : A Virgem Margarida de Licinio Azevedo (Mozambique / France / Portugal, 2012)
- Prix du public court métrage d’ani­ma­tion : How To Raise The Moon de Anja Struck (Allemagne / Danemark, 2011)
- Grand Prix du court métrage d’ani­ma­tion : Oh Willy de Emma de Swaef et Marc Roels (Belgique / France/ Pays-Bas, 2011)

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