Libations sur l’autel du cinéma
Publié le : jeudi 18 mars 2004

Samedi 14 février, 19h 30mn, Jean Rouch aux bras de son épouse arrive à l’entrée du Théâtre de Plein air du Centre Culturel Franco Nigérien - CCFN de Niamey : scènes émouvantes de retrou­vailles. La céré­mo­nie d’ouver­ture de la Rétrospective s’est voulue vrai­ment sobre. Et pour cause ! Les orga­ni­sa­teurs savent que les ciné­phi­les pré­fè­rent les images au dis­cours. Le Directeur du CCFN M. Laurent Clavel a rap­pelé les cir­cons­tan­ces qui ont permis d’ini­tier la ren­contre. S.E.M. Denis Vène, Ambassadeur de France au Niger, a insisté sur la néces­sité de mon­trer aux popu­la­tions nigé­rien­nes leurs images. Représentant le minis­tre de la culture, des sports et des cin­quiè­mes jeux de la fran­co­pho­nie, M Barmini, le Secrétaire géné­ral du minis­tère a rendu hom­mage aux pion­niers du cinéma nigé­rien et sou­haité vive­ment que le sep­tième art nigé­rien retrouve ses let­tres de nobles­ses

Mais déjà sur le grand écran, défile une mosaï­que de situa­tions qui se recou­pant par-delà siè­cles et conti­nents. D’abord, c’est le rêve du Jaguar réa­lisé par Damouré Zika, un Niaméen accom­pli qui ne s’en cache pas. Puis, ce sont les Perses de Philippe Brunet, pro­fes­seur de grec, inter­pré­tés par ses étudiants qui vous replon­gent, en com­pa­gnie d’Euripide aux sour­ces de la tra­gé­die grec­que. Euripide (406 avant JC), poète tra­gi­que grec, auteur de Médée Andromaque, Electre, Iphigénie, Bacchantes entre autres, a exercé une influence consi­dé­ra­ble sur les clas­si­ques fran­çais. Le troi­sième rêve, celui l’eth­no­lo­gue et hel­lé­niste, Diouldé Laya le conduit à la quête d’un trait d’union entre la Grèce anti­que et l’empire Songhay. Le direc­teur du Centre étude lit­té­raire par l’his­toire et la tra­di­tion orale, voisin de l’IRSH Institut de recher­ches en scien­ces humai­nes et son Jean Rouch, au cours de leurs retrou­vailles, recons­trui­saient le monde chaque matin en pre­nant leur café au lait. Vient le tour du berger Tallou, Lam, un des com­pa­gnons de l’équipe du cinéaste fran­çais, qui conduit un trou­peau de vaches sans cornes. Pour expri­mer son bon­heur, il impro­vise une épopée, plutôt un conte à la pre­mière per­sonne. Le berger héros met en déroute des fauves lorsqu’il ne les tue pas. Un rêve qui en cache un autre ? Lam (un des amis décé­dés) alla un jour se cou­cher sous "l’arbre à rêves" parce que tout rêve fait à son ombre est censé se réa­li­ser... Enfin, on arrive au culte aux dieux du fleuve Niger, dont les eaux, entre séche­resse et inon­da­tion, prend des cou­leurs bizar­res. Culte en musi­que, danse et transe, culte à Dionysos, le holley, danse de pos­ses­sion est exé­cu­tée ici pour conju­rer les mal­heurs qui éprouvent la nature, les ani­maux et les hommes.

Le culte de Dionysos chez les Grecs, Bacchus chez les Romains, n’est pas seu­le­ment quête du bon­heur, de l’abon­dance des récol­tes, il a également contri­bué au déve­lop­pe­ment de la tra­gé­die et de l’art lyri­que. Voici la grande messe du grand prêtre des dieux du fleuve, pour conju­rer la séche­resse, la mort, le pire des mal­heurs afin que revienne l’abon­dance. Le Rêve plus fort que la mort est un hom­mage au rêve, ivresse, pensée créa­trice, verbe créa­teur, pain quo­ti­dien de l’homme, nour­ri­cière du cher­cheur, de l’artiste la créa­tion artis­ti­que, au verbe créa­teur qui est aussi pain quo­ti­dien. Du lait aux génies de l’eau, du sang du mouton blanc et de coq blanc, Jean Rouch a ouvert la Rétrospective en ver­sant les liba­tions sur l’autel des dio­ny­sies pour que la nos­tal­gie du para­dis perdu retrou­vée fasse place au rêve dru comme le soleil du Sahel

Jean-Baptiste Dossou-Yovo
Clap Noir
15 février 2004

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