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L’avant et l’après-révolution du cinéma arabe
Publié le : dimanche 11 novembre 2012
Entretien avec Claudia Romdhane et Fadi Abdelnour de Alfilm

À l’occasion du festival Alfilm qui présentait à Berlin des films et documentaires venus du Maghreb et du Machrek, Claudia Romdhane, chargée de la programmation, et Fadi Abdelnour, responsable artistique, évoquent l’évolution de l’industrie cinématographique de cette région et le champ qu’a ouvert le printemps arabe.

Quelle est aujourd’hui la situa­tion de l’indus­trie du cinéma dans les pays arabes ?

Claudia Romdhane (C.R.). Tout d’abord, il est impor­tant de pré­ci­ser que le cinéma arabe en tant que tel n’existe pas. Il est fait de spé­ci­fi­ci­tés en fonc­tion des pays consi­dé­rés. Ainsi, cer­tains comme l’Egypte, le Maroc, et dans une moin­dre mesure l’Algérie, ont conservé une indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que forte, avec des films com­mer­ciaux qui connais­sent un franc succès auprès du public local. D’autres en revan­che – la Syrie, la Jordanie, la Palestine – pos­sé­daient une culture ciné­ma­to­gra­phi­que qui a été détruite, soit pour des rai­sons struc­tu­rel­les, dues à la guerre, soit pour des rai­sons poli­ti­ques. Toutefois, on assiste aujourd’hui à une lente renais­sance, avec une jeune géné­ra­tion de réa­li­sa­teurs, la créa­tion d’un nou­veau pay­sage ciné­ma­to­gra­phi­que avec des fonds, des aca­dé­mies… Le public lui-même doit aussi se réin­té­res­ser à son cinéma, à son iden­tité visuelle.

Quelle a été l’influence des révo­lu­tions arabes sur ce cinéma ?

C.R. Tout d’abord, les révo­lu­tions ont sou­dai­ne­ment sus­cité un énorme inté­rêt vers les pays arabes, ce qui est une évolution très posi­tive. Dans les pays concer­nés, on observe aussi une nette césure, pas for­cé­ment dans le cinéma tra­di­tion­nel, mais chez les réa­li­sa­teurs indé­pen­dants qui se sont saisis de ce thème.
Fadi Abdelnour (F.A.) La révo­lu­tion a ouvert un espace de liberté et d’expres­sion, sans cen­sure, alors qu’il exis­tait jusqu’ici une véri­ta­ble frus­tra­tion, des bar­riè­res. Aujourd’hui, les artis­tes ont davan­tage confiance en eux et cela se res­sent dans tous les domai­nes artis­ti­ques, la musi­que, la danse, le théâ­tre…

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Andalousie mon amour

C.R. Avant même la révo­lu­tion, une ten­dance était déjà pal­pa­ble. Par exem­ple, dans beau­coup de films que nous pré­sen­tons cette année, qui ont été tour­nés avant ce tour­nant, les réa­li­sa­teurs déve­lop­pent leur his­toire per­son­nelle ou adop­tent un point de vue per­son­nel sur un fait de société. Il est clair que cette nou­velle géné­ra­tion sou­hai­tait s’appro­prier et tra­vailler son his­toire et celle de son pays, car le pays était à l’aube d’ouvrir une nou­velle page. Mais il est dif­fi­cile de dire aujourd’hui si cela va jouer sur les thèmes abor­dés, car les films sont encore, pour beau­coup, en pré­pa­ra­tion. Il est en tout cas cer­tain que l’après va être pas­sion­nant. Par exem­ple, quel regard porter sur l’émergence des pro­ces­sus démo­cra­ti­ques…

Comment expli­quez-vous que n’arri­vent en Europe que les films qui pré­sen­tent ce côté sérieux sur la situa­tion poli­ti­que, la vio­lence… Est-ce une ques­tion de style, de goût ?

C.R. Bollywood a au contraire montré que le lan­gage ciné­ma­to­gra­phi­que s’est com­plè­te­ment uni­ver­sa­lisé et qu’un style par­ti­cu­lier avec des images « dif­fé­ren­tes » est par­fai­te­ment com­pré­hen­si­ble du public et peut avoir du succès. Mais le regard que porte l’Europe sur les pays arabes se foca­lise encore et tou­jours sur deux thèmes : les femmes et l’islam. L’Orient reste « l’autre », une autre culture, qui n’aurait rien à voir avec celle de l’Occident. Ce que je trouve dom­mage, car le cinéma arabe a bien plus à mon­trer, que ce soit sur des genres artis­ti­ques ou des films com­mer­ciaux. C’est ce que nous avons voulu expri­mer l’année der­nière dans notre cycle de courts métra­ges, avec des films de zom­bies, de sexe com­por­tant des images très expli­ci­tes, ou évoquant la drogue. Des films tout à fait nor­maux, ne mon­trant pas seu­le­ment les pro­blè­mes comme on le voit aux infor­ma­tions.

Les condi­tions de pro­duc­tion jouent également un rôle impor­tant. Là où le marché local est fort, comme en Egypte, au Maroc, dans les pays du Golfe, les films sont com­mer­ciaux et trai­tent du quo­ti­dien. Mais si un réa­li­sa­teur veut tra­vailler en dehors de ce cou­rant prin­ci­pal et que, pour trou­ver des finan­ce­ments, il se tourne vers l’étranger, alors dans ce cas, il y aura clai­re­ment de l’argent, mais pour ces thèmes sérieux. Enfin, beau­coup de films qui sont vus à l’étranger, en Europe par exem­ple, sont encore typi­que­ment des films de fes­ti­val, qui n’auraient pas de véri­ta­ble succès public dans les pays d’où ils vien­nent. J’espère que, dans quel­ques années, il ne sera plus rare de voir un film arabe concou­rir pour les Oscars ou obte­nir un succès au box office en Allemagne, en France ou en Italie.

La part des docu­men­tai­res est également en forte pro­gres­sion. D’où vient ce phé­no­mène ?

F.A. Cette année, nous pré­sen­tons en effet dans notre fes­ti­val 5 fic­tions et 8 docu­men­tai­res de long format. Depuis quel­ques années, ce sec­teur est flo­ris­sant et le nombre de docu­men­tai­res de qua­lité pro­gresse. Dans les gale­ries, les cen­tres cultu­rels, les ciné­mas d’art et d’essai, il y a de la place pour ce genre. Par ailleurs, un docu­men­taire se tourne avec peu de moyens, sans comé­diens, sans décors, sans cos­tu­mes. Juste une caméra numé­ri­que. Beaucoup de cinéas­tes tour­nent des images, et s’ils n’ont pas d’argent pour réa­li­ser le film, peu­vent faci­le­ment le conver­tir en docu­men­taire.

Propos recueillis par Gwénaëlle Deboutte

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