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Flambant réquisitoire contre le déni d’humanité
Publié le : lundi 16 avril 2018
Razzia de Nabil Ayouch

De la claque visuelle et émotionnelle qu’offre Razzia le dernier long métrage de Nabil Ayouch, on peut dégager trois images . Au début, dans les montagnes rouges de l’Atlas, un bus suit une route escarpée, à son bord un homme déchiré. Au cœur du film, une marée de manifestants en colère envahit les rues de Casablanca, le flot grossit et submerge la caméra immobile. Dernière scène, une femme entre dans la mer, de dos, presque nue, le spectateur sait qu’elle est enceinte. Le bruit et la fureur entre deux solitudes .

Un long prologue annonce le titre : Razzia.
Année 1982 : l’arabisation de la langue a été décidée dans les pays du Maghreb. Ils sont arrivés avec leur arabe littéraire, et ont tout pris , tout détruit, razzia humaine et culturelle. Dans le bus qui l’emporte, Abdallah revit son paradis perdu. Instituteur, il éduquait dans leur langue les enfants berbères d’un village du Rif, les nouveaux maîtres d’une islamisation qu’il ne reconnaît pas l’ont chassé loin de ses racines. « Heureux celui qui peut agir selon ses désirs »

Trente ans plus tard, en suivant ses personnages, le réalisateur fait le constat d’un Maroc écartelé, d’une culture niée, d’une jeunesse sacrifiée, d’une société binaire repliée sur elle même. Qu’est devenue Casablanca, la ville mythique, creuset d’une communauté chaleureuse ?
Dans cette ville qui se dessèche peu à peu, seuls les innocents, les fous, les courageux, les désespérés s’élèvent encore contre un ordre imposé. Et il les aime ses personnages, Nabil Ayouch ! Pour une Samira qui revendique sa liberté face à un homme possessif, à un monde intolérant, combien de femmes qui courbent l’échine, se cachent ou manifestent contre leurs intérêts, en refusant l’égalité hommes/femmes dans l’héritage ? Pour un Hakim qui copie son idole Freddy Mercury, combien de haines déchaînées ? Pour un Joseph amoureux de la vie et des femmes, combien de regards antisémites ?
Deux mondes se côtoient, celui des maisons, celui de la rue. Maisons prisons, maisons refuges, lieux de renoncement, de résistance, d’éducation hors sol d’une jeunesse dorée, et celui de la rue qui perd sa joie et gagne en violence, qui réclame son dû, se désespère en se trompant d’adversaire.

Nabil Ayouch, franco-marocain, fils d’une mère juive tunisienne et d’un père musulman marocain, après une enfance à Sarcelles, vit depuis 20 ans à Casablanca et veille sur sa ville. Il y crée un centre culturel. Avec force et détermination, il trace son sillon, film après film, Mektoub, Les bourgeois, Ali Zoua, Prince de la Rue, Les enfants abandonnés, Les chevaux de Dieu sur les attentats suicides à Marrakech. En 2015 avec Much Loved il dénonce la prostitution, ce qui lui vaut une énorme polémique et l’interdiction de son film au Maroc, son actrice principale Loubna Abidar, menacée dans son pays, s’expatrie en France.
« J’ai envie de continuer à conquérir les espaces de liberté » déclare-t-il. Secondé par Maryam Touzani, épouse et coscénariste qui endosse le rôle de Samira, la guerrière, il se lance dans la fresque vibrionnante d’une société entre tradition et modernité, intégrisme et soif de liberté . « La perte de la langue est un dommage irréparable, c’est la mort d’une culture » disait il en s’adressant au public de l’Atalante à Bayonne en Pays Basque, « je sais que vous me comprenez ».
Au service de ses convictions, une réalisation sans faille, des acteurs éclatants, une bande son nickel.

Razzia n’est interdit qu’au moins de 16 ans, ce flambant réquisitoire contre le déni d’humanité est aujourd’hui sur les écrans . Et, à l’image de Samira, on sait qu’elle seront nombreuses à faire exploser le carcan. Inch Allah !

M.S.

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