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Hommage à la féminité et à la maternité africaines
Publié le : mercredi 19 février 2020
Haingosoa de Edouard Joubeaud

Sortie le 4 mars 2020

CRITIQUE

La séquence d’ouverture de Haingosoa donne le ton immédiatement. Pour son premier long-métrage à la réalisation, Edouard Joubeaud fait le choix d’un traitement qui s’installe d’emblée du côté du documentaire, d’une caméra qui colle à ses personnages, traque leurs émotions et capte le contexte dans lequel celles-ci se déploient. Ainsi, le dénuement dans lequel vivent l’héroïne et sa fille nous est donné à sentir par ce corps de fillette livré à lui-même et à l’attente, par sa façon de serrer contre elle la blouse d’écolière qu’elle vient d’essayer mais que sa mère ne peut payer intégralement. L’âpreté de la négociation avec la couturière ne nous parle ici ni d’hostilité ni de cupidité, elle nous dévoile un quotidien où chacun cherche sa pitance, ou chaque jour se rejoue la quête du minimum vital, en dépit des efforts consentis. Elle donne ainsi le ton du film et en annonce la thématique sociale en trame de fond narrative.

Haingo, jeune mère célibataire, n’échappe donc pas à la règle - la galère -, malgré le soutien de sa famille. Les impayés s’accumulent jusqu’à ce qu’elle se retrouve confrontée à un dilemme terrible lorsque l’école la met en demeure : pour pouvoir faire face aux besoins de sa fille, elle va devoir la laisser à Tuléar pour aller gagner sa vie à la capitale. Mais au-delà de cet exode économique, c’est un véritable voyage initiatique qui débute pour Haingo, dont la quête va la mener à découvrir un vaste pays alors qu’elle ne connaissait que son village.
Par cette astuce de mise en scène, Edouard Joubeaud crée l’occasion de nous faire découvrir, avec un souci quasi ethnographique, une multiplicité de pratiques très diverses qui laissent entrevoir toute la diversité culturelle de la mosaïque malgache : traditions culinaires, danses et musiques, instruments…
C’est aussi son identité et son indépendance que Haingo va devoir apprivoiser. Elle, la danseuse adulée de Tuléar se retrouve débutante, en difficulté, peine à se familiariser avec un répertoire totalement neuf, avec un niveau d’exigence qu’elle n’a jamais connu auparavant. La vielle traditionnelle qu’elle n’a accepté d’emporter que pour rassurer sa mère va peu à peu devenir le talisman qui la lie à ses origines et au patrimoine culturel dont elle est malgré elle l’héritière.
Mais, seule à Antananarivo, les tentations sont nombreuses et Haingo en vient à oublier ses obligations, compromettant sa présence au sein de la troupe qui lui a donné sa chance et mettant même en porte-à-faux la cousine à qui elle doit cette opportunité.
Légèreté ? Égoïsme ? Inconstance ? Droit au bonheur légitime ? Stratégie ? Comment comprendre le parcours et les égarements de Haingo ? Edouard Joubeaud choisit de laisser cette réponse au libre-arbitre du spectateur par une audacieuse ellipse.

L’histoire de Haingo, c’est toute la bataille d’une mère qui est encore une jeune fille et qui doit prendre des risques et en assumer toutes les conséquences, déjouer le destin pour offrir à sa fille un avenir meilleur et tenter, tout de même, de vivre sa vie.
Le film nous parle de la difficulté à vivre pleinement sa propre existence lorsqu’on a la charge d’un autre être et que l’adversité est sans trêve. De ce point de vue, il rend hommage à la féminité et à la maternité africaines si chères au réalisateur. Il fait penser, aussi, à Félicité, long-métrage d’Alain Gomis récompensé à Berlin, qui mettait en scène le combat d’une mère pour hospitaliser son fils. Dans ces deux récits par ailleurs très différents, surgissent des chemins de traverse dans l’épreuve, des rencontres, des surprises qui ouvrent des perspectives nouvelles. Il y a la lutte, qui jamais ne laisse de répit, mais il y a aussi l’espoir qui toujours demeure et qu’on entretient sans cesse, à force de volonté.

Sophie Kamurasi.

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