L’invitée
Publié le : mardi 29 septembre 2015
Maman (s) de Maïmouna Doucouré - Gindou 2015

Depuis 31ans, les Rencontres Cinéma de Gindou, dans le Lot, sont le rendez-vous incontournable des cinéphiles campagnards. Fin août, le village de Gindou, 310 habitants au compteur, devient le centre d’un rassemblement de fêlés qui emplissent les champs de leurs voitures et les lieux de projection de leur séant ankylosé. Car on ne vient pas à Gindou pour le confort. Au Louxor pour les projections de la journée , ce sont des vieux sièges tout raides quant au Théâtre de Verdure, à la nuit tombée, les spectateurs jouent à celui qui prendra le plus de coussins pour apprivoiser le béton.
Autant vous dire que la sélection se fait naturellement, dans ce plus petit festival de ciné de France comme l’avait découvert Luc Moullet, cinéaste atypique,venu deux fois.
Pour la 31ème édition, en 2015, l’invité était Paulo Branco, le grand producteur indépendant d’origine portugaise. Carte blanche à lui chaque matin, avec des films prestigieux et ses commentaires irremplaçables... Et 80 films au programme dont ceux présentés par le CNC et la cinémathèque de Toulouse.
Et parmi ceux là, trois qui parlent de près ou de loin des relations entre l’Afrique et la France, films de réalisateurs qui passent naturellement d’un continent à l’autre avec leur cœur et leur histoire, leur curiosité. Pas de frontières à Gindou, comme ce devrait être dans un monde idéal.
Maïmouna Doucouré, découverte par la Ruche de Gindou, décrit en court le ressenti d’une fillette face à l’arrivée de la deuxième épouse dans une famille d’origine sénégalaise en France : Maman(s) . Christophe Leroy et Adrien Camus, bordelais happés par le Sénégal, y ont suivi les changements apportés dans un village du Siné Saloun, par la création d’un Parc Naturel : Jikoo, la Chose Espérée. Enfin, Nassim Amaouche, est venu accompagner son deuxième long métrage, dont l’action se passe dans le milieu kabyle des origines paternelles : Des Apaches.

Maman (s) de Maïmouna Doucouré

Le père revient du Sénégal, on l’attend. Aïda, 10 ans dessine une maison, papa, maman, enfants et farandole de cœurs. Dans la pièce à côté, transes joyeuses de Mariam parée,parfumée par ses amies, confidences tendres à sa fille. Le frère adolescent, hors du coup. On sonne. L’homme désiré n’est pas venu seul : à sa suite, une jeune femme son bébé dans les bras. Et lui, sans un mot, d’un geste naturel, introduit l’inconnue. Électrochoc. Début de l’ère glaciaire.
La caméra de Maïmouna Doucouré a 10 ans, l’empathie est totale. Comment accepter l’inconnue, l’inacceptable, l’inimaginable, son nid saccagé, sa vie déchirée, sa mère bafouée ? Laisser sa chambre, épier les manœuvres des adultes, leurs discussions,
haïr son père qui les a trahies, son frère qui pactise avec l’ennemie ? Résister : dernier bastion, dernier guerrier, Aïda, loyale jusqu’à la folie …Fin de l’enfance.
Car Aïda, magnifique Sokhna Diallo, toute en regards et silences, découvre un autre monde . Dans une scène où, cachée sous le lit de sa mère, elle entend l’échange entre ses géniteurs : « Ce lit que tu as posé à côté du mien, sache que je ne l’accepterai jamais », « Tu sais bien qu’une fois l’eau versée, on ne peut plus la ramasser », « Ton eau, je suis en train de m’y noyer ». Elle suit les jeux des jambes qui se rapprochent et s’éloignent pendant que sa mère éclate en sanglots.
Jusqu’au dénouement où sa mère apaisée, la console, et laisse entrevoir une paix revenue, il s’en passe des choses en contrechamp ! Finies les certitudes, et comme ce flacon de sels aphrodisiaques dont la fumée passe d’une chambre à l’autre, il faut apprendre à vivre l’entre deux des adultes.

« C’est un cas de figure assez classique en France où la polygamie existe. » Souvenirs d’enfance de Maïmouna Doucouré qui a situé son court métrage en 1995, dans la banlieue parisienne où elle a grandi, entourée de deux mères qui élevaient les dix enfants de son père. « J’étais l’enfant de la première femme, la deuxième était arrivée avant ma naissance et je n’ai pas souffert de la situation, au contraire » Si elle n’a pas connu les affres de son héroïne, elle veut pourtant rendre compte du statut des ces femmes prises en otages dans un contexte familial qu’elle doivent accepter ainsi que du désarroi des enfants écartelés entre deux clans. Et de citer un proverbe africain : « Quand les éléphants se battent, c’est toujours l’herbe qui est écrasée »

Ce qui n’est pas son cas ! Mêlant des études supérieures de biologie aux cours de théâtre et avec le goût de l’écriture qui l’accompagne depuis son enfance, cette belle intrépide a décidé de forcer les portes du 7eme art. Un concours de scénario suivi d’un court , Cache cache , et une résidence La Ruche à Gindou (en 2013), plus loin, on retrouve Maman(s) sélectionné dans plus de vingt festivals dans le monde et les lauriers s’accumulent.
Certes le casting fut long, et le tournage forcément court en raison des dates de scolarité de la jeune actrice, mais les fées se sont penchées sur sa caméra et Maïmouna Doucouré, tout en pointant dans un pool de scénaristes de séries télé, peut désormais penser à son projet de long métrage.

Michèle Solle

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