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Hommage à Sembène Ousmane, Amiens 2007
Publié le : dimanche 4 novembre 2007
Table ronde animée par Catherine Ruelle

Sembene n’est plus, mais la richesse qu’il a laissé aux ciné­phi­les, cinéas­tes et cher­cheurs est immense. Clap Noir vous pro­pose des hom­ma­ges fait à l’aîné des anciens par ceux qui l’ont connu, vécu et tra­vaillé avec lui.




Mahamat Johnson Traoré
Moi j’ai ren­contré Sembène en 1966 quand La Noire de… est passé pour la 1ere fois au quar­tier Latin à Paris. Sembène était un sym­bole et nous avions un objec­tif, c’est de l’appro­cher. A la fin de la pro­jec­tion, j’étais tout heu­reux, je venais de voir un film séné­ga­lais et je vais pour lui tendre la main, je me pré­sente et il me dit « Qu’est ce que j’en ai à foutre ». J’étais content car 20 ans après j’ai com­pris ce qu’il a voulu dire, j’ai com­pris que pour lui parler, il fal­lait faire la même chose que lui, c’est-à-dire faire des films.

La 1ere ren­contre ciné­ma­to­gra­phi­que auquel j’ai par­ti­cipé était le Festival d’Alger. On s’est ren­contré la 1ere fois avec Sembène, Ababacar Samb(1) et Paulin Vieyra(2). Ils avaient en face d’eux 4 jeunes loups qui étaient une révé­la­tion pour l’Afrique dont Djibril Diop et moi-même. On les consi­dé­rait déjà comme des dino­sau­res, des gens qui nous empê­chaient de res­pi­rer alors que Sembène n’avait qu’un film et Paulin fai­sait plein de docu­men­tai­res. Le débat que nous avons eu à la ciné­ma­thè­que d’Alger était un débat de titan. Le débat a été pos­si­ble car il était sain et nous avions fait des films. Nous ne sommes pas venus à Alger comme cer­tains jeunes vien­nent ici à Amiens pour dire que tu n’as rien fait ? Pour dire à quelqu’un que "Tu n’as rien fait", il faut avoir fait quel­que chose et c’est ce que je repro­che aujourd’hui à ces jeunes. La dyna­mi­que du cinéma séné­ga­lais est partie de là, grâce au débat.

Une anec­dote : nous avions un local qui était le siège de l’asso­cia­tion des cinéas­tes séné­ga­lais à Dakar et vous n’ima­gi­nez pas com­ment on appe­lait ce local : le Katanga ! Quand on ren­trait là-dedans à 10h00 du matin c’était pour en res­sor­tir à 23h00, c’était un champs de bataille ! On par­lait de cinéma, d’esthé­ti­que, de tech­ni­que, il fal­lait que le gars s’expli­que sur l’uti­li­sa­tion de telle focale, qu’il expli­que ses choix, etc… nous nous pre­nions pour le nom­bril du monde. Sembène était tolé­rant, il faut le reconnaî­tre, mais il ne nous ratait pas aussi. C’était la période faste du cinéma séné­ga­lais où nous avions un débat sain, des échanges vifs. Nous sui­vions la théo­rie de Sembène qui vou­lait que nos films qui pas­saient dans les villes pas­sent aussi dans les vil­la­ges à l’inté­rieur du pays. Nous avons orga­nisé des cara­va­nes, eux ne venaient pas avec nous mais ils nous don­naient leurs films, et on cir­cu­lait dans les 10 régions à l’époque pour pro­je­ter nos films.

Notre ciné­ma­to­gra­phie est tombée car nous, cinéas­tes, nous n’avons pas assumé nos res­pon­sa­bi­li­tés vis-à-vis du gou­ver­ne­ment séné­ga­lais. C’est mal­heu­reux à dire.

Le cinéma de Sembène était à la fois un cinéma mili­tant et le cinéma d’un homme. Il y a un débat à l’inté­rieur de l’homme que l’icône empê­che de poser. On peut pren­dre plu­sieurs films de Sembène en les ana­ly­sant, dans la thé­ma­ti­que on retrouve tou­jours cette dua­lité. L’homme était exi­geant et dur avec lui-même et il ne se ratait pas.

Une petite paren­thèse, Sembène est un homme de double face. Entre l’homme à la maison et l’homme au cinéma, il y a une grande dif­fé­rence, mais c’est pas le sujet.

Catherine Ruelle
Sembène et son œuvre, ce n’est pas pareil. Il ne faut pas confon­dre. C’est pas parce qu’on connaît un homme et qu’on sait com­ment il change son cale­çon (c’est un pro­verbe que je viens d’inven­ter) qu’on le connaît vrai­ment.

Mahamat Johnson Traoré
La dua­lité chez ce cinéaste est que Sembène cri­ti­quait la société et se cri­ti­quait lui-même car il n’avait pas la solu­tion des pro­blè­mes. Il se cri­ti­quait lui-même dans ses pro­pres films. Quand on voit un film comme Xala l’impuis­sance…

Catherine Ruelle
Problème séné­ga­lais s’il en fut.

Mahamat Johnson Traoré
Non, ce n’est pas un pro­blème séné­ga­lais, car quand on lit le film au 3eme degré, c’est l’impuis­sance des "gour­mands" afri­cains face au dictat des ins­ti­tu­tions finan­ciè­res inter­na­tio­na­les. Il y a plu­sieurs degrés de lec­ture dans ses films. On peut dire, c’est vrai, c’est un film très léger mais il est beau­coup plus pro­fond que cela. L’impuis­sance de Sembène entre la poli­ti­que de son pays, dont il ne peut pas chan­ger le cours, et l’impuis­sance des auto­ri­tés poli­ti­ques de son pays. Il n’a jamais donné de solu­tions dans aucuns de ses films sauf dans « la noire de.. » ou la fille s’est sui­ci­dée.

Catherine Ruelle
Sauf dans Moolaadé où la femme se révolte, c’est encore une autre his­toire

Mahamat Johnson Traoré
Ca c’est une autre his­toire.

Propos recueillis par S. Perrin et B. Tiprez (Clap Noir)

1. Ababacar Samb Makharam, cinéaste séné­ga­lais
Codou, Et La neige n’était Plus, Jom, La Terre et le paysan

2. Paulin Soumanou Vieyra, réa­li­sa­teur et cri­ti­que séné­ga­lais, réa­lisa une tren­taine de docu­men­tai­res. Il par­ti­cipa à la créa­tion de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI).

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