Un film de Jilani Saadi. Belgique, Tunisie, France. 2003, 80mns.
SYNOPSIS
A Bizerte, petite ville de Tunisie, Khorma est un jeune orphelin qui détonne par la rousseur de ses cheveux et la blancheur de sa peau. Il vit sous la protection du vieux Bou Khaleb qui lui transmet les secrets de son métier de colporteur de nouvelles et de prieur pour les morts.
Les choses changent quand Bou Khaleb, devenu peu à peu sourd, commet une grave erreur : il annonce la mort d’une femme du quartier au lieu d’annoncer le mariage de sa fille. Catastrophe ! Pire encore, le sort s’acharne sur le vieux colporteur de nouvelles puisque, trois jours plus tard, la pauvre femme meurt une deuxième fois, mais cette fois pour de vrai ! Tout le monde accuse alors Bou Khaleb de porter malheur. Il faut s’en débarrasser au plus vite !
Faute d’autres candidats, Hadj Khalifa, le sage du quartier, impose Khorma comme successeur de Bou Khaleb...
A PROPOS DE L’HISTOIRE
Face à une angoisse grandissante de cette religion devenant de plus en plus visible par le nombre de ces pratiquants, il est important aujourd’hui en France que les intellectuels de culture arabo-musulmane s’expriment. La crise aiguë que traverse le monde arabo-musulman n’est pas uniquement politique ou économique mais essentiellement intellectuelle. Il manque ce discours intelligent capable en même temps de s’opposer à cette vague fondamentaliste et rétrograde et de résister à l’hégémonie de la pensée occidentale qui veut régler le problème par la dialectique simpliste du bien et du mal. Est-ce que ce discours est réellement absent ou bien ne trouve pas d’espace et de porte-voix pour se faire entendre ?
Mon film offre une tranche de vie d’une cité arabo-musulmane, un quartier populaire d’une ville de province tunisienne. Sur le ton de la comédie et en empruntant le style narratif de la " fable " j’aborde des questions qui me paraissent fondamentales : dans cette société arabo-musulmane d’aujourd’hui, quelle est la nature des rapports entre les gens ? Quelle pratique ont-ils du pouvoir ? Et quelle utilisation ont-ils au quotidien de cette religion musulmane ?
Le quotidien de l’Islam
Le quartier où j’ai tourné mon film est peut-être le quartier le plus pauvre mais aussi le plus conservateur de la ville. Au début j’ai trouvé beaucoup de difficultés avec ses habitants, ils ne voulaient pas m’ouvrir leur maison et ils étaient presque agressifs avec moi. Les premiers jours du tournage, à la vue des camions, l’agressivité est devenue réelle, et l’équipe commençait à avoir peur.
Les habitants du quartier pensaient qu’on était des étrangers venus filmer leur misère pour se moquer d’eux ! C’était délicat pour nous car 90% des scènes de mon film se passent en extérieur.
Que représente Khorma ?
Il appartient à une sous-classe sociale, une espèce de sous-prolétariat, maintenu dans une pauvreté extrême, survivant des services rendus contre quelques pièces, un plat de pâtes ou du pain. Cette sous-classe permet à tous, pauvres et riches, de s’acquitter des obligations cultuelles et d’exécuter de façon honorable les rites de la mort. Seule la soumission aux autres et la pratique religieuse exemplaire procurent à cette sous-classe un minimum de respectabilité.
Les gens comme Khorma, on les appelle " les enfants de Dieu ". Le plus souvent, ce sont des orphelins, des simples d’esprits, des handicapés physiques ou des exclus de la vie sociale. Ils habitent dans les quartiers populaires, entre les mosquées, le cimetière et la zaouïa. Ils connaissent parfaitement les rituels des grandes occasions (décès, mariages, fêtes religieuse) et chantent par cœur la liturgie religieuse et les versets du Coran. Khorma s’est glissé dans le groupe. Il est faussement simple d’esprit et ne souffre d’aucun handicap. Il est juste différent de par son aspect physique. Il s’est retrouvé dans ce groupe, naturellement mais à la différence des autres, Khorma est égocentrique. Il rêve d’être reconnu et même adulé et il fera tout pour y arriver.
Dans ce paradoxe, je fais naître un personnage à l’émotion exclusive et obsessionnelle : cultiver son image et occuper une place à sa hauteur dans la cité est sa seule préoccupation dans la vie. Il écarte tout autre question comme l’argent et la sexualité.
Parce qu’il est considéré simple d’esprit, une garantie de stabilité, les notables du quartier le nomment chef des rites mortuaires. Khorma saisit sa chance : il utilise la religion pour asseoir son pouvoir tout en se donnant l’apparence d’un homme pieu. Il change les règles et organise une révolution dans les métiers de la mort, exaspérant les habitants de la ville. Khorma devient démoniaque.
Dans les années 80, au moment où une vague intégriste a soufflé sur la jeunesse tunisienne, des personnages comme Khorma pullulaient dans tous les quartiers. Ils s’entouraient de groupe d’adolescents et les entraînaient dans un délire de croyance et de djihad. Beaucoup ont fini en prison.
FICHE TECHNIQUE
Réalisation et scénario : Jilani Saadi
avec : Med Graya, Med Mourali, Ramzi Brari, Hassen Khalsi, Lazhari Sbaï, Dalila Meftahi, Dorra Zarrouk
Directeur de la photographie : Gilles Porte
Son : David Rit
Monteur son : Eric De Vos
Chef décorateur : Anes Talmoudi
Chef monteur : Philippe Ravoet
Production : Pierre Javaux Productions France, K-star Belgique, K2 Belgique, Jilani Saadi Productions Tunisie.
Clap Noir
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