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« Le cinéma m’apporte des preuves de ce que je dis dans ma musique »
Publié le : mercredi 25 septembre 2013
Rencontre avec Awadi, Le point de vue du lion

Lors du festival Par ici Dakar (13 septembre-21 décembre 2013) à l’Institut des Cultures de l’Islam à Paris, nous avons eu la chance de voir le documentaire Le point de vue du lion (2011) et de rencontrer une personnalité qui compte en Afrique : Didier Awadi. Il nous parle de son film et de ses projets.

Awadi, vous êtes le célèbre chanteur de PBS et militant politique au Sénégal. Vous avez l’oreille de la jeunesse. Comment est née l’idée de ce documentaire achevé il y a deux ans, qui évoque le traitement médiatique de l’immigration clandestine, avant de retracer l’histoire africaine ? Combien de temps ont pris ces nombreuses rencontres ?

On a démarré ce film en 2006 : il y avait une vague d’immigration tragique, beaucoup de jeunes prenaient la mer et mouraient souvent en mer. Cela nous avait interpellé. Je voyais aussi des jeunes se faire tirer dessus en essayant de passer à Ceuta ou Melila. D’autres mouraient dans le désert. J’ai dit : « qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tout le monde veut partir en ce moment, qu’est-ce qui n’a pas marché ? ». En interviewant des migrants, j’ai découvert des points de vue qui m’ont interpellé. Je me suis dit que ces points de vue méritaient d’être écoutés. Ma première réaction était de dire aux jeunes de rester en Afrique : « L’énergie, mettez-la au Sénégal, en Afrique ». Mais ils avaient un point de vue qui était juste : eux aussi, tout comme moi, avaient le droit de voyager. Pourquoi, parce qu’ils sont noirs, n’auraient-ils pas le droit de voyager ? Souvent, ceux qui voyagent le font pour sauver leur famille. J’ai donc reconsidéré les choses.
La question de l’immigration est un condensé de tous nos malheurs, la conclusion de tous nos malheurs, le concentré de tous nos malheurs ! C’est toujours le point de vue de l’Europe sur la question de l’immigration que l’on entend. J’ai dit que ce n’était pas un problème d’immigration, mais un problème de migration. Je me suis rendu compte que chaque être humain a le droit de voyager mais... quand tu es Noir, aujourd’hui, tu n’as pas le droit. Tout simplement. Il fallait donner le point de vue des Africains sur cette question et ne pas se laisser envahir par le point de vue de l’occident. Ils ne doivent pas s’arroger le monopole de la parole, surtout par rapport à cette question. Nous avons notre mot à dire. Une fois qu’il y a compréhension, il y a respect mutuel. Il faut que ce point de vue se fasse entendre. C’est pour cela que j’ai fait Le point de vue du lion - et non pas le point de vue du chasseur. Cela provient du proverbe bantou qui dit que tant que les lions n’auront pas leurs historiens, les histoires de chasse seront toujours à la gloire des chasseurs ! Depuis 2006, chaque fois que je rencontre un migrant ou bien un grand monsieur, j’ai ma caméra, je pose quelques questions.

Comment le public de ce film a réagi ? Les jeunes ?

Certains sont effarés, pour d’autres, cela crée un déclic. Je donne ce film aux universités, aux télés, gratuitement, parce qu’au final, il ne m’appartient pas. Il appartient à toute une génération qui doit savoir pourquoi elle en arrive là, à ne plus aimer son pays et à vouloir le quitter. Il m’importe qu’ils comprennent les mécanismes qui ont créé ce sentiment. Une fois qu’on connaît le mécanisme, que l’on a l’information, on a les clés pour pouvoir ouvrir les portes d’une autre réflexion, qui est celle du développement, pas de la fuite en avant. Il faut poser les problèmes pour que les gens trouvent les vraies solutions. Ce n’est pas l’aide au retour qui va créer la solution. Si tu donnes 1500 euros à un jeune en lui disant : « tu rentres chez toi », il prend les 1500 euros et il revient par les mêmes moyens. Et si tu empêches les gens de se développer chez eux, si tu mets les paysans du Sud en compétition avec ceux du Nord, si tu continues de piller les ressources des gens et qu’ils n’arrivent pas à profiter de leur richesse, eh bien ! ils iront partout où il y aura leur richesse ! Si le pétrole vient ici, ils suivront le chemin du pétrole, si c’est le diamant, ils suivront le chemin du diamant.
On se demande pourquoi il y a tant de Congolais ici, à Paris, il y a beaucoup de diamants ici, il y a beaucoup de portables ici, il y a beaucoup de pétrole ici ! Oui, les gens vont sur les routes de la richesse. C’est un phénomène naturel, quand les gens sont asphyxiés. Le plus grand peuple de migrants, c’est l’Europe. Les Européens sont allés en Amérique, en Asie, partout, jusqu’en Australie. Le plus grand peuple de migrants, ce sont les Européens. Ils ne sont pas allés avec des roses !... L’Europe doit comprendre qu’il y a des situations qui ont été provoquées. Aujourd’hui, ce n’est que le retour du boomerang.

Est-ce que vous travaillez sur d’autres projets de films, musiques ?

Je travaille sur un autre projet de film documentaire. La fiction, ce n’est pas pour moi. D’autres le font très bien. Moi, j’ai des points de vue assez politisés. Le cinéma m’apporte des preuves de ce que je dis dans ma musique. Donc, j’essaie d’utiliser le cinéma pour faire passer des messages. Les mêmes messages que ceux que je fais passer en musique. Pour moi, c’est un moyen comme un autre de faire passer notre message. J’ai quelques projets sous la main, quelques patates chaudes que j’ai envie de lâcher !... Faut bien secouer un peu le cocotier. Cela ne plaît pas à tout le monde, mais le but du jeu n’est pas non plus de faire une opération de charme. C’est de faire passer un point de vue. Le point de vue des Africains, on ne le connaît pas.
Aujourd’hui, il y a tellement de gens qui ne savent pas comment cela se passe en Afrique. Tu dis que le wifi est partout, c’est : « Ah ouais, tu es sûr ? ». J’ai un pote français qui a beaucoup voyagé, il était la semaine dernière à Dakar, il avait peur de boire de l’eau ! Il se disait qu’il allait mourir. Il a bu un verre d’eau du robinet, il a bu derrière presque une bouteille de vodka ! Dans sa tête, c’est le Sud, c’est chaud, « je ne sais pas ce que j’ai bu »... Pour dire à quel point c’est profond. Ce n’était pas mal intentionné, mais c’était juste qu’il n’avait pas l’information. Notre rôle est d’amener l’information, la partager, la faire intégrer par tout le monde.

La patate chaude sort quand du four, du volcan ?

Oui, c’est plus un volcan ! Je ne sais pas encore. L’un des acteurs principaux de ce film est un homme d’Etat qui n’a pas encore envie de parler. Il m’a promis de parler, de me donner l’exclusivité de ce qu’il va dire – et cela risque d’être une bonne grosse patate chaude ! – mais il ne veut pas encore parler, donc, je l’attends. C’est de lui que dépend le film. D’ailleurs, peut-être que j’appellerai ce film « la patate chaude »... !

Propos recueillis par Caroline Pochon

Le point de vue du lion
Documentaire de Didier Awadi, Sénégal, 2011, 72 mn
Production : Studio Sankara
Distribution : AfricAvenir international
Contact studio Sankara : maguy chez studiosankara.com , closankara chez gmail.com

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