Veillée pour un griot émérite
Publié le : jeudi 18 mars 2004

Niamey, dimanche 22 février 2004. Moi un Noir, projeté en clôture de la Rétrospective, a rassemblé le plus de cinéphiles que toutes les séances de projection qui ont eu lieu du 14 au 22 février 2004. L’occasion était offerte à beaucoup de découvrir ce film peu connu. Il constituait également un double hommage, à Oumarou Ganda et Jean Rouch. La soirée devait se prolonger jusqu’à deux heures du matin par une veillée funéraire digne du grand maître griot, du mage de la transcinéma, Jean Rouch.

Après la projection du film, les musiciens, les batteurs de calebasse, le violoniste, les danseuses et les danseurs ont permis de faire la transition entre le film et les hommages que les disciples ont voulu rendre au maître Rouch.

Inoussa Ousséini, sociologue et cinéaste :"Nous ne sommes pas réunis pour pleurer Jean Rouch, il n’aurait pas aimé cela. Nous sommes réunis autour de lui, pour saluer sa mémoire, évoquer des souvenirs, parce qu’il est présent, vivant dans nos coeurs, parce que, qui ne cédait pas à l’échec, parce que c’était un homme qui aimait la vie.

C’est pourquoi, même si cela peut paraître insolite dans un pays à majorité musulmane, nous allons ce soir le célébrer, le danser par fidélité, par amitié, par devoir. L’accompagner dans sa nouvelle demeure qu’il appelle lui-même dans certains de ses films : " la brousse plus loin que loin, le pays de nulle part ". Nous pensons qu’il y sera chaleureusement accueilli par les meilleurs de ses amis, son épouse Jane Rouch, ses maîtres Marcel Mauss, Marcel Griaule, ses amis de toujours Amadou Hampaté Bâ, Boubou Hama, Germain Deterlein qu’il a accompagné jusqu’à son dernier souffle, Théodore Monod, cette extraordinaire machine…"

Diouldé Laya, sociologue : "J’ai eu à rencontrer Jean lorsque j’étais en licence à l’université de Dakar et je devais suivre ses traces dans l’étude des Songhay. Avant mon entrée à l’IFAN (Institut français d’Afrique noire), nous sommes devenus amis puisqu’il ne voulait pas avoir de disciple, moi non plus je ne voulais pas d’un maître. Disons d’abord qu’il a commencé par créer les conditions pour assurer la relève en rassemblant Boubé Gado qui travaillait sur Aoudagosth à l’université de Dakar, André Salifou qui se trouvait à l’université d’Abidjan et bien d’autres.

Avec une bibliothèque, une sonothèque, des archives administratives reproduites par l’IRSH (Institut de recherches en sciences humaines), des manuscrits, cet ensemble constituait une base solide pour étudier l’histoire et la culture africaine. Nous nous retrouvions dans " la vallée de la culture " englobant le Musée national, le CCFN, l’IFAN- CNRS-IRSH, le CELHTO (Centre d’étude de la littérature et l’histoire par la tradition orale). Jean Rouch a par ailleurs contribution à la recherche ethnologique, il est sans doute un des plus grands ethnologues du monde. Il a recueilli les traditions, les a transcrites et traduites. Il a beaucoup apporté à l’étude de l’histoire songhay, à la préservation de la culture, à la promotion du cinéma. Il a en outre ouvert Niamey et le Niger à la coopération interafricaine. Notamment en y faisant vernir des chercheurs de tous les pays. Cette coopération a été maintenue et renforcée, ce qui a valu à Niamey de devenir un centre de coopération interafricaine qui allait avec l’Unesco créé le CELHTO (Centre d’étude de la littérature et l’histoire par la tradition orale), un élément de plus dans "la vallée de la culture ".

S’il faut se projeter dans l’avenir, s’il faut rêver, je pense qu’un jour se tiendra à Niamey une session du congrès international des africanistes dont Jean a été l’un des fondateurs en 1962. Ce serait le meilleur hommage à Jean Rouch ".

Olivier de Sardan, sociologue Institut de recherches pour le Développement : " C’est par Jean Rouch que je suis arrivé au Niger en 1965 en tant qu’étudiant. C’est par lui que j’ai découvert le cinéma en apprenant avec lui ou avec ses collaborateurs à descendre les marches du Musée de l’Homme avec la caméra à la main sans trop la faire bouger…

J’aimerais parler du scientifique, sociologue, l’ethnologue, comme on voudra. Alors que dans son rôle de pionnier du cinéma est largement reconnu, dans le domaine scientifique, il l’est beaucoup moins. Je crois que je peux dire avec plus peut-être de vérité qu’un certain nombre de personnes présentes ici savent que j’ai eu de profonds désaccords avec Jean Rouch, que d’ailleurs l’on s’est éloigné l’un de l’autre depuis une vingtaine d’années et qu’au-delà de ces désaccords scientifiques profond je lui est toujours reconnu son rôle de pionnier sur trois points.

Le premier, sa monographie sur la religion et la magie songhay reste, je pense, l’une de toutes premières de l’école ethnographique française d’avant les indépendances. Il s’est beaucoup rattaché à l’école Griaule, son travail était beaucoup meilleur que ce qu’a fait cette école, qui reste un livre de référence très importante, même si les choses avaient pu aller plus loin.

Deuxièmement, son travail sur l’histoire songhay à partir de la tradition orale a fait de lui un vrai précurseur de l’histoire par la tradition orale. Il a aussi peut-être été moins connu que d’autres gens qui souvent l’ont suivi dans ce domaine. Hampaté Bâ et d’autres l’ont fait, mais je pense qu’il a été le premier, en tout cas au Niger, et beaucoup plus largement en Afrique, à recourir aussi systématiquement à la tradition orale. Quelles que soient les précautions qu’il faut prendre, bien sûr à vis-à-vis de la tradition.

Le troisième point renvoie à l’émigration. Il a été le premier à faire une grande étude
Transfrontalière dans les années 60 sur l’émigration. Il ne l’a pas seulement montré en images. Aujourd’hui les frontières nationales et un certain nombre d’idéologies de type ivoirité (mais l’ivoirité n’existe pas). Ce genre d’idéologie perverse n’existait pas en Côte d’Ivoire. Il était important qu’un scientifique montre dès cette époque, l’importance des courants transfrontaliers, transethniques du fait que nos pays ne pouvaient pas se voir à travers des frontières"

Hamidou Yayé, ingénieur de son à la retraite "Je n’ai pas connu Rouch l’ingénieur des ponts et chaussées. J’ai connu Rouch en 1957 à Abidjan lors du tournage du film que nous venons de voir, Moi un Noir. Mon rôle était de tenir une lampe pour éclairer les danseurs et les danseuses. C’était mon premier contact avec le cinéma. A l’époque, le son était enregistré par un magnétophone à manivelle, pendant le tournage. On faisait ensuite le doublage.

Il était maître de recherches au CNRS au Niger. Lorsqu’il est revenu en 1959, il m’a demandé si je m’intéressais au cinéma, il allait me former au son. C’est ainsi que j’ai été recruté à l’IFAN à Abidjan. J’ai assisté Marcel Carrière qui m’a formé sur le tournage de Rose et Landry. En 1962, Jean Rouch a demandé mon affectation à l’IFAN à Niamey. Depuis cette époque, Rouch a fait des films sonorisés. J’ai été l’ingénieur de son pour tous les films de jean Rouch .Comme il tenait que les traditions recueillies soient conservées, quand je n’étais pas en tournage avec, je faisais le tour des chercheurs répartis à travers les différentes zones du territoire nigérien faire la collecte des traditions. Grâce à cet engagement de jean Rouch, j’ai laissé en allant la retraite, plus de mille bandes et bobines enregistrées depuis 1962. Je suis un des orphelins de Jean Rouch "

Nombreuses sont les personnes qui ont entretenu le public de Jean Rouch, l’homme, le scientifique, le cinéaste : Bernard Surugue (ethnomusicologue), Agnès Ben Bello(sociologue), Thérèse Maimanga (sociologue), Djingarey Maïga (cinéaste) ont pris la parole pour dire combien l’œuvre de Jean Rouch pour le cinéma, l’ethnologie et la tradition orale était d’une richesse inestimable. Les musiciens et les danseurs ont continué la veillée jusqu’à deux heures du matin.

Jean Rouch sera inhumé le mardi 14 février à 9h au cimetière chrétien de Niamey.

Jean Baptiste Dossou-Yovo
Clap Noir
23 février 2004

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