Les passionnés des cinémas d’Afrique connaissent le visage de Claire Diao. Journaliste et critique de cinéma franco-burkinabè, elle a cofondé en 2015 la revue panafricaine de cinéma « Awotele ». À l’occasion du cinquantenaire du Fespaco, nous avons rencontré Claire Diao avec qui nous avons échangé sur le dur métier de critique cinématographique spécialisé sur les cinémas d’Afrique et sur la Revue Awotele.
Clap Noir : Dites-nous… que signifie Awotele ?
Claire Diao : AWOTELE signifie revue en Yoruba. Puisque cette revue est centrée sur les cinémas africains et souhaite valoriser les productions du continent, nous souhaitions un nom africain qui ne soit tiré d’aucune langue coloniale et puisse être prononcé par tout le monde.
Pourquoi avoir lancé une revue cinématographique ?
AWOTELE est née en 2015 lors d’un festival de cinéma où les critiques de cinéma Michel Amarger, Samir Ardjoum et moi-même étions. Le Fespaco arrivait et aucun atelier critique n’allait être organisé par la Fédération africaine des critiques de cinéma (FACC) dont nous sommes tous trois membres. Il ne nous semblait pas imaginable que ce festival emblématique du continent n’ait pas une représentation critique et avons décidé de lancer une première édition digitale. Samir Ardjoum s’est très vite retiré du projet, mais Michel et moi l’avons poursuivi. Fort du succès du premier numéro, nous avons souhaité enchaîner sur une deuxième publication à l’occasion du Durban International Film Festival en Afrique du Sud, qui est un autre rendez-vous emblématique du continent. Puis, en toute logique, nous avons répété l’opération à l’occasion des Journées Cinématographiques de Carthage afin de couvrir les trois principaux bassins linguistiques du continent (francophone, anglophone, arabophone), mais surtout parce que ces trois grands festivals de cinéma réunissent la majeure partie des professionnels du continent. Pourquoi publier cette revue à l’occasion des festivals de Cannes, Venise ou Berlin où l’Afrique est minoritaire alors qu’il existe chaque année, sur le continent, de grands rendez-vous où l’Afrique est majoritaire ? Nous avons ensuite décidé de passer d’une version digitale à une version papier que nous lecteurs pourraient conserver. Car à l’exception de quelques publications monolinguistiques, il n’y avait plus de revue bilingue dédiée aux cinémas d’Afrique comme l’avait été la revue Ecrans d’Afrique de 1991 à 1997. Nous savions que ce pari bénévole et indépendant était périlleux, mais répondait à un besoin et comblait un vide. Mais l’avenir nous a donné raison puisque la revue en est à son 12e numéro et compte parmi ses abonnés de prestigieuses institutions comme La Cinémathèque Française et la Standford University aux États-Unis. Ça bascule à la télévision, avec des chroniques en direct dans le JT Afrique de TV5 Monde de 2017 à 2018 puis l’émission CINÉ LE MAG en prime-time depuis janvier 2019 sur Canal Plus Afrique, confirme l’engouement actuel pour les cinémas d’Afrique et la nécessité de proposer des regards critiques et panafricains sur ces œuvres trop souvent jugées d’un point de vue occidental ne prenant pas en compte tous les enjeux et contextes de production locaux.
Nous savons qu’il est difficile de collecter des informations sur les productions cinématographiques et audiovisuelles africaines, et encore plus voir des films d’Afrique. Alors, comment faites-vous pour avoir les informations ?
La force d’AWOTELE est d’avoir des critiques de cinéma de plusieurs pays d’Afrique (Afrique du Sud, Algérie, Angola, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigéria, Togo, Tunisie, Sénégal) et surtout de suivre l’ère du temps. Aujourd’hui tout le monde est connecté aux réseaux sociaux et il est facile de glaner des informations puis de les recouper avec l’aide de nos contributeurs. Notre travail collaboratif se fait d’ailleurs essentiellement à distance grâce aux emails, Messenger, Whatsapp et Facebook ! À défaut d’avoir de la 4G sur tout le continent, Internet abroge certaines frontières… Nous avons également la chance d’avoir un grand réseau de festival qui nous envoie beaucoup de communiqués de presse. Donc l’information vient également à nous. Avoir des informations n’est donc pas difficile. Récupérer des photos de films anciens beaucoup plus ! On parle souvent du problème des archives en Afrique. Eh bien les images de films tournés sur pellicule devraient également entrer en compte, car il n’existe aucune base de données pour les œuvres de nos aînés… Notre iconographe Caroline Blache s’arrache les cheveux à chaque numéro. Mais nous parvenons toujours à trouver des solutions.
Trois fois par an… vous arrivez à financer les différentes étapes de la fabrication de la revue ?
C’est très difficile. Nous étions partis bille en tête avec du bénévolat et des versions digitales. La version papier coûte beaucoup plus cher et le bénévolat n’est pas possible sur le long terme. Grâce aux annonceurs, aux abonnés et aux ventes effectuées en festivals, nous parvenons tant bien que mal à trouver un équilibre. Mais le soutien d’une institution serait nécessaire pour que tout le monde puisse être rémunéré et que l’aventure continue. D’ailleurs, au-delà de la question financière est la question de la distribution de la revue, la diffusion est un grand problème : envois, gestion des stands, négociations… Cela demande beaucoup de sacrifices et de gestion pour être présent à l’international. Il nous manque une personne qui se consacrerait pleinement aux démarchages de nouveaux abonnés et au placement de la revue. Avis aux candidats !
Pensez-vous que dans des pays où il n’y a plus de salles de cinéma, une telle revue est-elle utile ?
Ne pas avoir de salle de cinéma ne signifie pas ne pas regarder des films ! AWOTELE parle souvent de l’actualité du petit écran, que ce soit les stars locales ou les séries télévisées, car nous savons que les gens regardent beaucoup plus la télévision qu’ils ne vont au cinéma. Ceux qui nous lisent souhaitent être au courant de ce qui se fait. Qu’il y ait, ou non, du cinéma chez eux. D’ailleurs, la plupart de nos abonnés sont en Europe et aux États-Unis et souhaitent savoir ce qui se passe sur le continent. Lors des festivals en Afrique, la revue se vend également bien, preuve que les gens sont curieux. Nous mettons d’ailleurs un point d’honneur avec notre graphiste Christine Guais à faire de belles propositions graphiques afin de valoriser ces cinématographies. Les anglophones ont compris depuis longtemps l’importance du marketing et du design. Parfois même au détriment du contenu. En revanche les francophones, se satisfont souvent de graphismes médiocres réalisés sur Word ou Paint avec des typographies datées, quitte à saboter des œuvres qui ont pourtant du potentiel ! Aimons-nous avant que les autres nous aiment et faisons en sorte d’avoir de belles communications, que ce soit des revues, des affiches ou des bandes-annonces ! À l’heure d’internet, des tutoriels en ligne et des logiciels gratuits, nous n’avons plus d’excuses.
En analysant le paysage médiatique des pays d’Afrique que vous connaissez, pensez-vous que nous verrons un jour, régulièrement des articles de critiques sur les médias ?
Je me suis toujours battue pour écrire des papiers dans des médias généralistes même si les médias cinéma se fichent de l’Afrique et les médias Afrique ne voit pas de priorité avec le cinéma. Maintenant que l’Afrique entre dans les agendas des entreprises et investisseurs internationaux, il semble que le vent tourne et que les rédactions se penchent davantage sur le sujet. Or, si le voisin lorgne sur ce qu’il y a chez vous, il y aura bien un moment où vous prendrez conscience qu’il y a quelque chose d’intéressant à domicile. Malheureusement il faut toujours briller à l’étranger pour avoir du succès chez soi. Donc quand tous les médias occidentaux parleront des cinémas d’Afrique, les médias africains s’y mettront peut-être également. L’important, c’est que le public change ses pratiques et arrête d’avaler ce que les médias étrangers lui racontent sur sa propre expérience. Lorsqu’il se recentrera sur le local, celui-ci sera plus fort.
Que fait une critique lors d’un festival comme le Fespaco ?
Normalement elle va en salle, regarde des films, fait des interviews puis rédige des papiers ! Dans mon cas, je me retrouve plutôt en businesswoman à gérer les stands et les hôtesses pour AWOTELE, alimenter les points de vente en rupture de stock, faire imprimer des affiches, trouver de la monnaie, négocier des espaces… Et modérer des conférences et débats. Un souhait très cher que j’ai est que le Fespaco confie les présentations de films aux critiques de cinéma présents. Ils sont plus d’une quarantaine cette année à participer à l’atelier de la FACC et pourraient être sollicités. Les débats avec les cinéastes devraient d’ailleurs être un moment fort du festival comme aux Rencontres Cinématographiques de Béjaïa en Algérie où les gens débattent pendant des heures ! Malheureusement au Fespaco, les cinéastes ne savent même pas quand sera leur débat, ou… Alors le public… Comme je le disais pour le graphisme, nous devons viser l’excellence. Donc, faire de belles présentations avant les films où l’intervenant connaît le cinéaste, sa biographie, le contexte de production du film… C’est essentiel pour plonger les spectateurs dans une séance. Et leur donner envie de découvrir le cinéaste qui se présente devant eux.
Quel est le regard de la spécialiste sur le cinquantenaire du Fespaco ?
Eh bien, la sélection est bien meilleure qu’il y a deux ans, le colloque est passionnant, le Marché du Film s’est rapproché du Centre Ville et les informations sont sorties plus rapidement que les autres années. Il y a toujours le même plaisir de se retrouver et de mélanger les générations. La cérémonie de libation en l’honneur des disparus était impressionnante, car nous étions vraiment nombreux à tourner autour de la place des cinéastes. Mais je suis très déçue par la gestion des invités, car beaucoup de cinéastes en compétition sont toujours en attente de leurs billets d’avion tandis que d’autres invités n’ayant aucune activité (ou parfois aucun lien particulier avec le cinéma) sont déjà sur place. J’ai eu vent de personnes qui ont décroché leur téléphone pour se faire inviter et le sont tandis que d’autres qui pensaient que leur invitation, liée à leur sélection, serait automatique et n’ont toujours rien reçu ! Il n’y a pas eu de priorisation de la présence des cinéastes en compétition et c’est vraiment dommage. Certains se sont présentés à l’aéroport et ont été refusés parce que leur billet n’était pas validé. Les plus chanceux ont reçu leur billet au lendemain de leur projection ou quelques heures avant le vol. Cela gâche un peu cet anniversaire et c’est dommage. Car tout le monde a envie de venir à Ouagadougou pour célébrer le Cinquantenaire.
Pour terminer, comment voyez-vous l’avenir d’Awotele ?
Si possible avec des financements et de nombreux abonnés. Sinon nous trouverons un moyen de nous réinventer !
Achille Kouawo
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France