D’Alice Diop on se souvenait d’un voyage au pays de ses parents (le Sénégal) et sa confrontation avec une famille méconnue qui lui dressait le portrait de ce qu’aurait pu être sa vie là-bas. D’Alice Diop on savait aussi qu’elle était réalisatrice mais que sa peau noire et son nom de famille lui demandaient régulièrement de s’expliquer quant à ses origines. Mais d’Alice Diop on ne savait pas qu’elle avait à son tour porté des préjugés sur un jeune homme qu’elle n’avait pas vu depuis 15 ans avant de le filmer pendant trois années.
Ainsi a démarré le projet, ainsi se positionne l’auteure. Elle pour qui « être Noir est déjà acquis, dépassé » se retrouve à un mariage avec Steeve Tientcheu, le mignon petit garçon de 8 ans qu’elle n’a pas revu depuis et qui a « certainement mal tourné ». Contre toute attente, celui-ci lui annonce qu’il prend des cours de théâtre au cours Simon de Paris et la voilà stupéfaite. Ce serait-elle fait avoir par les mêmes projections que d’autres peuvent faire sur elle ? La réalisatrice prend sa caméra et filme ce grand gaillard - aujourd’hui acteur dans la série Braquo de Canal + - le long de ses trajets, de ses errances et sur les planches.
Elle suit, à hauteur humaine et avec une habile distance, le retrait de Steeve par rapport au groupe d’élèves du cours Simon, l’ignorance excluante de son professeur qui le cantonne à des rôles « de Noirs » (du chauffeur au sauvage en pagne), son impossibilité à dénoncer cela, ses doutes et ses envies. Et quelle émotion lorsque ce mètre 92 avoue devant la caméra être « encore un enfant », lorsque son ami d’enfance apprend ébahi qu’il suit depuis 3 ans des cours en secret et lorsque ses potes du quartier, moqueurs mais épatés, avouent qu’on le cantonne quand même « à des rôles de négros » !
Alice Diop pointe avec brio ce qu’il est difficile de dénoncer en France. Le racisme ordinaire, davantage basé sur des idées reçues que sur des certitudes, est le lot courant des personnes à peau foncée. On s’offusque de l’affront du professeur à refuser à Steeve le rôle de Danton parce qu’ « il n’était pas noir » tout comme on se surprend à découvrir que le comédien adule les acteurs français de la vieille époque (Lino Ventura, Jean Gabin). S’attendait-on pour autant qu’un jeune « des quartiers » nous cite Will Smith, Denzel Washington ou Samuel L. Jackson ?
Comme le disait récemment le cinéaste Moussa Sene Absa, « le monde est en couleurs » et nous aurions bien tort de continuer de le regarder en bichromie. A l’heure où les États-Unis accusent le film Intouchables de « raciste et choquant » où le Noir fait rire le Blanc, La mort de Danton nous rappelle subtilement qu’avant de revendiquer un contenu décent de leurs rôles, les acteurs Noirs en France méritent déjà d’en décrocher*.
Claire Diao
* Lire à ce sujet notre compte-rendu du festival France Noire sur la présence noire dans le cinéma en France.
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