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FIPA CI, FIPA ÇA
Publié le : dimanche 12 février 2012
Biarritz, janvier 2012

Le Festival International des Programmes Internationaux a 25 ans. Il y eut des fêtes et des soi­rées. Pour ma part, j’ai pré­féré abuser des sub­stan­ces fil­mées. A la pre­mière lec­ture, le pro­gramme offi­ciel se révé­lait plutôt light en ce qui concerne l’Afrique. Totale erreur ! Certes, peu de réa­li­sa­teurs afri­cains sont en lice, mais le conti­nent, lui, est une source d’ins­pi­ra­tion majeure pour les réa­li­sa­teurs du monde entier.

Lundi 23 : pen­dant la céré­mo­nie d’ouver­ture et la pré­sen­ta­tion d’une foule de jurés, je sta­bi­lote en douce. Tiens ! L’impec­ca­ble Raoul Peck est dans le jury des fic­tions ! Le mardi s’annonce chargé ... et il le fut.

Mardi 10h30 : 1962 de Algérie fran­çaise à l’Algérie algé­rienne de Marie Colonna et Malek Bensmaïl, France/2x63mn. Un docu­men­taire pas­sion­nant doublé d’un outil péda­go­gi­que hors pair. On revi­site ses sou­ve­nirs, on pose les dates, tout un ensem­ble qui avait perdu de son acuité revient avec force. De Gaulle, les Pieds Noirs, le FLN, l’OAS et des témoins d’autant plus moti­vés qu’on ne leur demande pas sou­vent de s’expri­mer. Notre his­toire récente, qui s’invite, enfin ! Le film s’arrête au moment de la prise de pou­voir de Ben Bella. On aurait bien conti­nué...
14h30 : Carte Blanche de Heidi Specogna, Suisse/Allemagne/1h31. On suit des enquê­teurs de la Cour Pénale Internationale venus recher­cher preu­ves et témoins des crimes contre l’huma­nité per­pé­trés en République Centre Afrique par les armées de Bemba, en 2002 et 2003. Bemba, appelé à la res­cousse par Ange-Félix Patassé, a donné carte blan­che à ses trou­pes pour briser les armées rebel­les de Bozizé. Sur le ter­rain, crimes, viols et sac­ca­ges ont laissé des traces indé­lé­bi­les. Interviews croi­sées des mem­bres de la com­mis­sion et des sur­vi­vants. Une plon­gée dans l’hor­reur. Les peti­tes métho­des de l’équipe pour garder le moral. Et le doute qui sub­siste quant à la suite de la pro­cé­dure : Patassé est mort, Bemba, enfin pri­son­nier, conteste tout avec morgue. Efficace !
16h45 : Noirs de France de Juan Gelas/France/3x52mn. Sous un autre angle mais aussi for­mi­da­ble que le film sur l’Algérie. Pédagogique, clair et exhaus­tif. Je repro­che au réa­li­sa­teur, dans la salle, de n’avoir pas nommé Sembène alors qu’il montre un extrait de « Paris Sur Seine ». Pour ma part, c’est le deuxième épisode qui domine, mais l’ensem­ble mérite un large succès d’audience ; à voir sur France 5.

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Les piro­gues des hautes terres

20h30 : j’hésite entre Grande Hotel un docu­men­taire belge sur un palace déchu au Mozambique et Les Pirogues des hautes terres, une fic­tion d’Olivier Langlois/France/1h35, dans la belle salle de la Gare du Midi. Après 5 heures de vision­nage sur des chai­ses, je choi­sis le confort et les Pirogues. A quoi ça tient ! Le scé­na­rio est « ins­piré » du livre de Sembène, Les Bouts de Bois de Dieu, ins­piré seu­le­ment car la Warner a acheté les droits...Le film raconte la grande grève de Thies en 1947, menée par les che­mi­nots qui reven­di­quent le même trai­te­ment que leurs col­lè­gues blancs. Sont-ce mes 6h30 de docu­men­tai­res qui m’influen­cent ? Je ne trouve que peu d’inté­rêt à cette his­toire bien jouée mais un peu (beau­coup ?) mani­chéenne. Les gen­tils, les méchants, la blan­che riche qui prend cons­cience... Ah ! je regrette mon Grande Hotel !

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Grande Hotel

Que je retrouve le len­de­main au Fipatel, méga vidéo­thè­que dédiée aux pro­fes­sion­nels et à la presse. Grande Hotel de Lotte Stoops/Belgique/1h10 : beau film plein de cou­leurs, comme je les aime ! Le plus grand hôtel d’Afrique, créé par un fou, avec seu­le­ment 120 cham­bres, énorme. On l’appe­lait l’Éléphant blanc. Documents d’époque, fêtes en blanc et noir... L’hotel a été natio­na­lisé après l’indé­pen­dance et digéré par le peuple qui s’y est ins­tallé, comme l’eau qui passe sous la porte et enva­hit tout. Le film a obtenu le prix Michel Mitrani.
Toujours au Fipatel Rosans- Miel Amer de Rémi Nelson Borel/France/60mn. Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, une visite dans le seul vil­lage fran­çais, des Hautes Alpes, qui a demandé à rece­voir des harkis et leur famille. Pas par phi­lan­thro­pie, hélas...Témoignages recueillis au scal­pel ...Un docu­men­taire hon­nête sur ce passé qui ne passe pas !

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Thérésa Traoré Dahlberg
© Pierre Bachelot / Fipa

Retour en salle pour Taxi Sister de Thérésa Traoré Dahlberg/Suède/Burkina Faso/30mn pré­cédé de Tin City Voices, ce der­nier du cana­dien Elijah Marchand : plu­sieurs femmes sur­vi­vent dans un bidon­ville de Georgetown en Guyane. Du déjà vu, hélas. Par contre Taxi Sister et sur­tout sa jeune réa­li­sa­trice, Thérésa Traoré Dahlberg, réveillent le public. L’his­toire de cette femme chauf­feur de taxi dans les rues de Dakar, c’est une trou­vaille, on l’aurait bien suivie plus long­temps.
18h : Sdérot, Last Exit de Osvalde Lewat/Cameroun/France/1h20. Osvalde Lewat, très pro, pour la pre­mière fois à Biarritz pré­sente son film dans l’audi­to­rium rempli. Émotion, concen­tra­tion et succès final. Le film repas­sera demain pré­cédé d’un bouche à oreille posi­tif. Lire la cri­ti­que et l’inter­view.
21h : Les États Unis d’Afrique de Yannick Letourneau/Canada/1h15. Le grand cana­dien a suivi, avec bon­heur, le chan­teur de hip hop séné­ga­lais Didier Awadi pen­dant les 7 ans qu’a duré la fabri­ca­tion de son album en hom­mage aux révo­lu­tion­nai­res morts pour l’idéal d’une Afrique unie et indé­pen­dante. De Dakar à Ouagadougou, Washington, New York pour l’arri­vée d’Obama, Johannesburg et retour à Gorée. Le disque s’appel­lera : Présidents d’Afrique. On y croise Lumumba, Sankara, Cabral et d’autres. On y écoute des chan­teurs poli­ti­sés, et, en par­ti­cu­lier Smockey, une gloire du Burkina Faso qui tient tête à Compaoré dans une scène d’antho­lo­gie.

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Cartas de Angola

Il y aura aussi Cartas de Angola de Dulce Fernandes/Portugal/1H03. Encore une plon­gée dans le passé. La réa­li­sa­trice née en Angola revient sur l’his­toire des sol­dats cubains venus de leur plein gré aider les ango­lais à faire la guerre. Ils cachaient la vérité à leurs famil­les inquiè­tes. Un biais nos­tal­gi­que pour éclairer un pan de cette his­toire.
Pour finir par La Blessure de l’escla­vage, le beau film d’Ousmane Diagana/ Mauritanie/France /50mn. Sans lui, hélas ! Dernière séance du fes­ti­val pro­gram­mée dans la plus petite salle, bondée, j’ai bien failli ne jamais entrer. La logi­que euro­péenne, un fau­teuil, un spec­ta­teur est par­fois, déses­pé­rante, com­pa­rée à d’autres... Il y quel­ques années au cinéma Neerwaya à Ouaga, j’ai le sou­ve­nir d’avoir vu la salle se rem­plir... alors qu’elle ne s’était pas vidée ! Les spec­ta­teurs de la séance pré­cé­dente, enten­daient bien, eux aussi, pro­fi­ter du film "Madame Brouette" (Moussa Sené Absa), une comé­die popu­laire séné­ga­laise. La pro­jec­tion fut un des plus joyeux fou­toirs jamais ima­giné...

Hors thé­ma­ti­que afri­caine, il y avait tant de titres à décou­vrir au Fipatel que l’on pou­vait passer la jour­née à buti­ner parmi les pro­gram­mes. Dehors, le soleil fai­sait le beau, et les visi­teurs se fai­saient pho­to­gra­phier devant la plage... Dedans, ça dis­cu­tait dur autour du bar. J’ai retenu une phrase de l’écrivain amé­ri­cain Philippe Roth dans un docu­men­taire qui lui est dédié : « Quand il y a un écrivain dans une famille, cette famille est foutue ! »

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© Pierre Bachelot / Fipa

Mais reve­nons au FIPA 2012, qui se ter­mina par une céré­mo­nie sage, un pal­ma­rès indis­cu­ta­ble et la pro­jec­tion d’Edut de Shlomi Elkabetz/Israël/France/80’, dont la rigueur sur­prit tout le monde. C’est une série de por­traits en plans fixes de vic­ti­mes de l’occu­pa­tion dans la bande de Gaza, sol­dats israé­liens com­pris. Le réa­li­sa­teur est aussi pro­fes­seur au Sappir Collège de Sdérot, filmé par Osvalde Lewat. Une façon de bou­cler la boucle. Bonne récolte, fina­le­ment !

Michèle Solle
9 février 2012

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