Sortie nationale le 2 avril 2014
Dans la famille Diop, voici la nièce : Mati Diop. Actrice (35 Rhums de Claire Denis), réalisatrice de courts métrages, fille du musicien Wasis Diop (bande originale de Grigris de Mahamat Saleh Haroun ) et nièce de Djibril Diop Mambety, l’un des plus grands cinéastes africains. Auteur, entre autres, de Touki Bouki classé dans le palmarès des 100 plus beaux films mondiaux, récemment restauré par la World Foundation de Martin Scorcese et couronné au festival de Cannes du prix de la critique internationale en 1973.
Que faire d’une telle lignée ? Rester à l’ombre de l’arbre tutélaire et se laisser écraser ? Ou affronter l’héritage ? Et comment ? Arrivée à l’âge où son oncle électrisait le festival de Cannes avec son film d’une beauté inclassable, Mati Diop choisit ses armes : la reconnaissance par la tendresse, la joute artistique sous forme de déclaration d’amour, le balayage générationnel en guise de constat. Quatre décennies plus tard, c’est à Marseille que son film Mille soleils rafle le prix du Festival International du documentaire.
Touki Bouki suivait dans un Dakar d’après les indépendances les aventures débridées de deux jeunes épris de liberté, Anta et Mory, qui rêvaient de Paris. Mati Diop en reprend des images, qui par un effet miroir se teintent aujourd’hui de nostalgie. Que reste-t-il du rêve 40 ans après ?
En menant son enquête autour d’une œuvre passée au patrimoine, Mati Diop prend le risque de toucher au mythe, en même temps qu’elle confronte le Dakar de son oncle avec celui d’aujourd’hui, elle interroge le présent, celui de sa famille, celui de son pays, le Sénégal.
Dès la première image, le charme opère. Dakar, un vieux berger fait traverser son troupeau de zébus, bloquant la circulation de l’avenue, les grandes cornes en imposent aux bus, la lumière dorée fait chanter les bleus, et, en fond sonore, Si toi aussi tu m’abandonnes, la ballade du western préféré de Djibril Diop Mambéty : Le train sifflera trois fois.
Scène suivante, l’abattoir. Couleurs éclatantes, blanc saccagé de rouge, noir, cris, coups, danse macabre, pavés luisants. Puissantes images. Passage obligé ? Référence à Touki Bouki mais le point de vue est différent : la soumission aurait-t-elle changé de camp ?
Le vieux berger c’est Magaye Niang, le Mory de Touki Bouki qui se voyait à Paris. Il est resté. Anta a pris le bateau, seule. Et voilà qu’aujourd’hui la nièce de Diop organise une projection du film dont il est la vedette, tout le quartier est convié, les vieux amis, les voisins. Il a le trac, se regarde dans la glace, se fait engueuler par sa femme et endosse finalement son costume de vieux rockeur.
Tous les prétextes lui sont bons pour retarder le moment de retrouver son avenir d’il y a quarante ans. Les scènes d’hier s’invitent à la fête, le monde qui s’offrait, l’ivresse des courses, la moto aux cornes de zébu et la voix de Joséphine Baker qui serinait à l’infini « Paris, Paris, ce petit coin de paradis... ».
Quand il arrive enfin, les copains l’entourent, les enfants refusent de le reconnaître, le soleil couchant enflamme le générique et là bas dans le port le même bateau blanc... Alors ? S’excuser d’être resté au pays ? Pour en faire quoi ? Dakar bruisse autour de lui, ceux d’aujourd’hui réclament des résultats. Le liberté insouciante du couple de Touki Bouki s’est diluée comme un vieux chromo.
Alors, Magaye revoit le bateau qui s’éloigne du quai, Anta le regarde pour la dernière fois . Lui qui n’a jamais quitté le Sénégal, il rêve de neige. Il marche dans la neige à la rencontre de celle qui est vraiment partie et qui, puisque la vie est en a décidé ainsi, vit aujourd’hui en Alaska.
Et Mille Soleils ne sont pas de trop pour rendre compte de l’émotion qui se dégage de ce film. Une jeune fille Mati, plante ses yeux dans les yeux d’un jeune homme, Djibril, en un tendre défi . Elle existe ! C’est bien la veine des Diop qui court tout au long de ce film hommage .
Michèle Solle
Clap Noir
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