Après 16 années d’existence, ce festival camerounais n’arrive pas à se défaire de certains couacs qui plombent son développement.
La 16ème édition du festival Ecrans noirs a donné son dernier clap le 7 juillet dernier pour la partie camerounaise. On a enroulé le tapis rouge après la descente des marches de la cérémonie de clôture au palais des Congrès de Yaoundé. Cette fête annuelle camerounaise du cinéma a éteint ses lampions après une semaine de projections et d’animations pour jeunes. Cette année, le colloque avait pour thème « le développement de la télévision africaine : atout ou frein pour le cinéma du continent ».
La sélection officielle comptait une soixantaine de films regroupant documentaires, fictions longs et courts métrages avec en prime une rétrospective gabonaise. Le public a eu l’occasion de regarder La Cage, premier long métrage gabonais, réalisé par Robert Darène avec pour premier rôle Philippe Mory.
En dehors du village du festival qui diffusait en plein air un ou deux films à partir de 21h00, cinq salles ont accueilli les spectateurs. Notamment les centres culturels français, allemand et espagnol. Dans ces structures pourtant peu spacieuses, à peine la moitié des sièges ont été occupés. Un réalisateur, s’offusquant de voir cinq personnes en salle pour son documentaire, s’est soustrait de la conférence de presse du lendemain. Cette tribune quotidienne a pour objectif de permettre au public de discuter des films regardés la veille, avec les réalisateurs présents.
On ne dira pas que c’est faute de qualité que le public a « boudé » les projections. Comment expliquer par exemple qu’il y ait moins de dix spectateurs pour voir Le Collier du Makoko d’Henry Joseph Koumba Bididi. Cette fiction célèbre le métissage culturel et physique en mêlant le comique à l’aventure, avec des noms comme Eriq Ebouaney et Philippe Mory. Le film sorti officiellement au Gabon va entamer une tournée internationale. Ou encore, Andalousie mon amour du Marocain Mohamed Nadif, l’histoire de deux étudiants de Casablanca rêvant d’Europe où le réalisateur met subtilement en exergue les destins des deux protagonistes.
Le festival a également proposé des documentaires aux qualités techniques et thématiques intéressantes. C’est le cas avec Paris mon paradis d’Eléonore Yaméogo, qui s’en tire avec la mention spéciale du jury. Zwelidumile du Sud africain Ramadan Suleman, Ecran du documentaire, rend un hommage posthume émouvant à Dumile, artiste peintre qui a dénoncé au prix de sa vie, les injustices de l’apartheid. En dehors des cérémonies d’ouverture et de clôture dont le côté strass et paillettes attire un grand public, le long métrage Viva Riva, du Congolais Djo Munga arrive en tête en terme de fréquentation. Le film est en fait favorisé par la mention « interdit aux moins de 18 ans » inscrite sur le programme. Une précision selon certains spectateurs qui « attise la curiosité et rassure sur le ton sérieux du film ». Largement plébiscité par le public, ce polar bien rythmé captive avec ses scènes de sexe, de violence et de poursuite dans les rues de Kinshasa à travers une histoire basée sur le business et le trafic de carburant. La technique est aussi célébrée avec la belle reproduction des effets spéciaux et des scènes de cascade. Un aspect qui dessert pourtant Faso Furie, fiction du même registre réalisée par le Burkinabé Michel Kamuanga.
Ecran d’or
Viva Riva était attendu par beaucoup pour l’Ecran d’or (meilleur long métrage fiction). Mais le jury, présidé par l’écrivain camerounais Gaston Kelman, a jeté son dévolu sur le scénario romantique de Julie et Roméo réalisé par le Burkinabé Boubakar Diallo. Une version africaine du drame de Roméo et Juliette qui réécrit la mythique histoire en intégrant la magie africaine. Le film, selon le jury, a le mérite d’avoir été tourné en peu de jours avec un petit budget. Cependant le choix est controversé, à la limite contesté. Comme pour se dédouaner, les membres du jury finissent par ajouter que Viva Riva [1] peut se porter et se vendre seul, ce qui n’est pas tout à fait le cas de Julie et Roméo qui a ainsi besoin de ce « coup de pouce ».
D’aucuns ont tôt fait de qualifier cette attitude d’anti professionnelle. Il faut dire que le fantôme de l’amateurisme a hanté plusieurs pans de l’organisation générale du festival. Les projections prévues au palais des Congrès ont été du jour au lendemain annulées, certains films à l’instar du long métrage Aujourd’hui du Sénégalais Alain Gomis, en compétition pour l’Ecran d’or, n’a pas été diffusé. Le réalisateur aurait finalement amené son film dans un autre festival qui se déroulait au même moment. Plus d’une fois aussi, ce sont des spectateurs déçus qui rentraient timidement en salle regarder un film, car celui qu’ils sont venus voir a été déprogrammé, parfois sans explications. Autant de couacs qui commencent à coller à la peau d’Ecrans noirs. Ce qui laisse perplexe les festivaliers, surtout que l’évènement qui reçoit depuis quelques années une subvention du gouvernement, disposait dans cette édition d’un budget de 150 millions Fcfa (230 000 euros).
Espérons que Ciné Talent, l’innovation majeure de cette 16ème édition va véritablement contribuer à agrandir le public des Ecrans noirs. Le village du festival était particulièrement fréquenté en soirée par un public jeune, intéressé par les compétitions de mannequinat, de miss et master de danse, et défilé de mode. Dommage que le plus souvent, le public s’éparpillait une fois le spectacle terminé, et peu de spectateurs assistait au film de 21h00. C’est pourtant de cela qu’un festival et ses films ont le plus besoin : de spectateurs à gogo.
Pélagie Ng’onana
[1] - Viva Riva qui a bénéficié d’une forte campagne publicitaire, est sorti depuis fin 2010 dans une vingtaine de pays en Afrique, aux États-Unis et en Europe où il a fait 40 000 entrées.
Palmarès Ecrans noirs 2012
Ecran d’honneur
Prix spécial décerné à Hichem Rostom (Amir), comédien tunisien pour l’ensemble de son œuvre.
Ecran d’or décerné à Boubacar Diallo pour son film Julie et Roméo (Burkina Faso)
Ecran du meilleur film étranger décerné à Ainom, de Lorenzo Cella Valla et Mario Garofalo (Italie)
Ecran de la meilleure interprétation décerné à Yonas Perou pour son rôle dans le film Le Collier du Makoko du réalisateur gabonais Henri Joseph Koumba Bididi
Ecran du documentaire décerné à Ramadan Suleman pour son film Zwelidumile (Afrique du Sud)
Ecran du Court décerné à Soffo Simo pour son film Animtest (Cameroun)
Ecran de l’espoir décerné à Jean-Jacques Ndoumbè pour son film Sur le chemin de mon rêve (Cameroun)
Clap Noir
Association Clap Noir
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