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L’identité nationale
Publié le : samedi 24 mars 2012
Documentaire de Valérie Osouf

Double peine, trai­te­ment des étrangers en prison, une triste facette de l’iden­tité fran­çaise…

© Michel Semeniako

L’iden­tité natio­nale : la place des étrangers en déten­tion en France

Valérie Osouf est une réa­li­sa­trice fran­çaise enga­gée. Elle a vécu au Sénégal et a réa­lisé en 1996 un pre­mier docu­men­taire auprès de per­son­nes expul­sées de France Sans com­men­taire, le pays où l’on arrive jamais. En 2008, elle co-signe un docu­men­taire his­to­ri­que, Cameroun, autop­sie d’une indé­pen­dance, retra­çant la répres­sion « fran­ça­fri­caine » du pre­mier parti indé­pen­dan­tiste came­rou­nais. Deux ans après le dis­cours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, elle tourne son regard sur l’étranger, en France. En par­ti­cu­lier, le(s) détenu(s) étranger(s) en France, révé­la­teurs en creux de notre iden­tité citoyenne :

« Ce docu­men­taire se pro­pose de décryp­ter la cor­ré­la­tion entre quatre orga­nes vitaux de notre République : la Police, la Justice, l’Administration péni­ten­tiaire et les Préfectures, mais aussi et de manière plus large, le rap­port que l’État fran­çais entre­tient avec l’Étranger. »

Double peine… mais pas seu­le­ment

Dans ce long métrage docu­men­taire mili­tant, qui offre un vaste regard sur la ques­tion, Valérie Osouf recueille la parole à vif de déte­nus pur­geant ce que l’on appelle la double peine, c’est à dire, incar­cé­rés en France et mena­cés d’expul­sion dans « leur pays », un pays avec lequel ils n’ont pas for­cé­ment de lien. Se mêle à cette parole sen­si­ble l’inter­ven­tion de juris­tes, phi­lo­so­phes, mili­tants asso­cia­tifs, per­son­na­li­tés poli­ti­ques (Louis Mermaz) ou encore, tou­jours excel­lent, de l’his­to­rien Pascal Blanchard, pour tenter un état des lieux des peines pour les étrangers en France, ins­crit dans une pers­pec­tive his­to­ri­que - peu étonnamment, post-colo­niale.

Le sujet qu’embrasse Valérie Osouf va au-delà de la ques­tion de la double peine. Il a l’ambi­tion de retra­cer, à tra­vers l’empri­son­ne­ment, prisme per­ti­nent, l’his­toire de l’immi­gra­tion en France. Dans ce film, on fait la queue à la pré­fec­ture avec de nou­veau témoins, on parle avec des délin­quants sortis tout juste de tôle mais également avec un « sans-papier » casa­man­çais se retrou­vant en prison sans autre crime commis que l’entrée illé­gale sur le ter­ri­toire … Sont décrits et réper­to­riés les cen­tres de réten­tion en France, sombre tableau. Un dra­peau fran­çais, filme avec insis­tance, ponc­tue le récit. « je tente de mettre en pers­pec­tive la poli­ti­que d’immi­gra­tion de la France au cours des 30 der­niè­res années… ». On revoit de longs extraits du dis­cours de Grenoble, pro­noncé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010, dans lequel, dans le cadre d’une « guerre contre les tra­fi­quants et les délin­quants », il était notam­ment ques­tion de déchoir de leur natio­na­lité les « tueurs de flics » : (sic) « Nous subis­sons les consé­quen­ces de cin­quante années d’immi­gra­tion insuf­fi­sam­ment régu­lée qui ont abouti à un échec de l’inté­gra­tion. » …

Le vécu car­cé­ral des étrangers en France

« Les étrangers repré­sen­tent 20% de la popu­la­tion car­cé­rale en France. Parmi ces quel­ques 12 000 indi­vi­dus, cer­tains vien­nent d’atter­rir, par­fois pour fuir des dan­gers dans leur pays, alors que d’autres ont grandi ici. Venus des quatre coins du monde ou voi­sins des mêmes ban­lieues, ils sont sou­vent regrou­pés dans des bâti­ments à part, les bâti­ments des étrangers, des sans papiers, les bâti­ments au pied des­quels la police de l’air et des fron­tiè­res vien­dra les cher­cher à la sortie de leur déten­tion s’ils ne sont pas par­ve­nus d’ici-là à régu­la­ri­ser leur situa­tion admi­nis­tra­tive. »

expli­que la réa­li­sa­trice. Le cœur du film est cette com­plexité de l’iden­tité étrangère, entre « jeunes voi­sins des mêmes ban­lieues », d’une part, et ceux « venus des quatre coins du monde ». Difficile de s’y retrou­ver dans cette com­plexité où même l’admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire appa­raît dépas­sée et sou­vent injuste et mal­trai­tante. On se pas­sionne du coup pour les récits de la vie car­cé­rale, ségré­gée entre fran­çais et étrangers notam­ment, ce qui laisse les jeunes de ban­lieue expul­sa­bles dans une iden­tité floue et para­doxale. Le film ne se centre pas uni­que­ment sur eux. C’est un film-dos­sier. Les témoins sont riches, pas­sion­nants. Peut-être la réa­li­sa­trice aurait-elle pu nous faire par­ta­ger encore davan­tage le vécu de ces jeunes qui lui ont fait confiance et ont eu le cou­rage de se raconter, en dehors de tout juge­ment moral, entrer encore davan­tage dans la com­plexité de leur par­cours per­son­nel, pénal, ainsi que dans le vécu de l’expul­sion, la matière vive du film. Mais elle a tenu à ce que la parole des déte­nus soit épaulée par une parole d’ana­lyse.
Et il est vrai que sur un sujet pour­tant si per­ti­nent, le silence a trop sou­vent été de mise et les dif­fi­cultés pour pro­duire le film en ont été la preuve. Témoins et experts plai­dent d’une seule voix pour davan­tage d’huma­nisme, le film par­vien­dra-t-il cepen­dant a démon­ter l’argu­men­taire de ceux contre qui il s’engage ? Il faut l’espé­rer et sou­hai­ter que ce film soit le mieux dif­fusé pos­si­ble pour la ques­tion citoyenne qu’il pose a chacun.

Caroline Pochon
23 mars 2012

Voir le film en strea­ming jusqu’au 2 avril

L’iden­tité natio­nale, long métrage, France
Auteure Réalisatrice : Valérie Osouf
Consultante : Audrey Kiefer
Chef Opérateur / Étalonneur : Olivier Dassonville
Ingénieur du Son : Martin Lanot
Monteur : Claude Trinquesse
Monteur son / Mixeur : Romain Le Bras
Compositeur : Nicolas Baby
Producteur : Éric Idriss Kanago
Contact : Granit Films http://www.gra­nit­films.com

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