Loin des studios et des producteurs, il y a désormais, une autre façon d’envisager le cinéma. Au Burkina Faso, l’atelier Caïcedra en apporte la preuve réconfortante.
Au départ, une idée simple : établir un atelier audiovisuel au sein d’un village et proposer aux habitants de réaliser eux-mêmes des films traitant de leur propre réalité. Caïcedra est composé de deux associations : ILA , l’association Images de l’Autre, qui promeut l’art, la culture et l’éducation à l’image en zone rurale, et le MBDHP, mouvement burkinabé pour les droits humains. Après une reconnaissance de terrain, le village de Perkouan a été retenu. Une équipe de trois formateurs pour encadrer les ateliers, vidéastes, enseignants, anthropologue : Dragos Ouedraogo, Ivan Frohberg et Mickael Damperon. C’est ce dernier qui a aidé à la naissance d’Yvette.
Un film citoyen
Images d’un village au lever du jour qui vous cueillent d’emblée. Huttes rouges, herbe jaune, grand arbre impeccablement taillé par les chèvres debout. Une belle femme rejoint son lieu de travail, à vélo, tire l’eau du puits et lave la terre dans sa cuvette à la recherche de l’or. Yvette, vingt-six ans, lave et prie Dieu. Car il faut de bons yeux pour découvrir les infimes parcelles accrochées miraculeusement au plastique du récipient .« C’est un bon travail ? » demande l’homme en off : « Je me dis que c’est un bon travail parce que je le fais volontairement ». Puis vient le mil, le bois, le feu, laver le petit, le mettre au sein, encore !
Aux scènes sans paroles, qui décrivent Yvette s’activant au village et dans la campagne, en succèdent d’autres plus posées : où elle répond aux questions de l’interviewer. Marie Bassoné tient la caméra, Ferdinand Bassono pose les questions. Marie capte les détails, en gros plans, s’attarde sur les courbes, les boucles d’oreille qui balancent, les lèvres qui hésitent, les yeux qui se mouillent, les gestes de tendresse, les moments de jeux partagés avec les enfants, parenthèse d’insouciance. Les questions de Ferdinand sont simples, directes, empathiques et humbles, les réponses d’Yvette calmes et réfléchies.
On parle du travail, des enfants qui ne vont pas à l’école, faute de moyens, de la difficulté de se nourrir jour après jour, de la peur de la maladie, de la vie qu’elle avait imaginée...
« Non », répond Yvette à la voix off, « je ne voulais pas mener cette vie, j’aurais aimé avoir les moyens, être fonctionnaire. J’ai du abandonner l’école très tôt, mes parents ne pouvaient payer. Alors j’ai vu que mon rêve n’était pas possible... Mais je suis heureuse, parce que même si je n’ai pas atteint la cime de l’arbre, je réussis à vivre avec ce que je gagne ».
Outre l’intérêt du film et au détail près qu’Yvette, mère de deux jeunes enfants, ne semble compter sur aucun homme, on assiste ici à un subtil exercice de mise en abyme. A travers la personne d’Yvette, Ferdinand et Marie font le point sur leur vie, le mari posant à sa femme d’essentielles questions.
Abderrahmane Sissako , venu présenter au FCAT ses films préférés, analysait son approche du cinéma : « Le cinéma c’est se raconter, rester au plus proche de soi, chaque film est un recommencement ». Comment ne pas penser à nos deux réalisateurs en herbe ? Et comment ne pas trouver de fines correspondances entre certaines images du village, gros plans sur des outils, rêveries juste bercées par le bruit du vent.... ? Un exercice de caméra citoyenne qui, en écho avec une scène du film, nous révèle, ici, une pépite .
Rencontre avec Mickaël Damperon qui accompagnait le film au dernier Festival de Cinéma Africain de Cordoba.
Michèle Solle (M.S.) Comment avez vous rejoint cette aventure ?
Mickaël Damperon (M.D.) Grâce à une connaissance commune dans le mouvement des droits de l’homme au Burkina et par Dragos Ouedraogo qui est aussi professeur d’anthropologie à la fac de Bordeaux. Ils cherchaient un professionnel de l’image pour encadrer les villageois lors de la réalisation d’un film
M.S. Comment se passe un atelier ?
M.D. Une fois le village choisi, les représentants du MBDHP sélectionnent les futurs stagiaires, au nombre de 5. Marie Bassolé était la seule femme. La formation dure deux semaines. La première est dédiée à la prise en main de la caméra, visionnage et analyse des extraits, choix des sujets. Deuxième semaine : écriture, repérage et 5 jours de tournage. C’est le sujet de Marie qui a été choisi, elle l’a tourné avec son époux qui était stagiaire avec elle.
M.S. Et le montage ?
M.D. J’en étais chargé. Il n’y avait pas d’électricité au village et il fallait sans cesse effectuer des aller et retour en ville. Ensuite, nous avons fait une tournée des villages avoisinants avec nos deux films.
M.S. Il y a donc un deuxième film ?
M.D. Oui, « Wash the car d’abord » sur des cultivateurs employés à la mine de zinc et que les patrons embauchent et débauchent à leur convenance.
M.S. Revenons à Yvette. Ce film a déjà été projeté à Lussas et dans d’autres festivals (off du Fespaco en 2011). Marie Bassolé, aidée de Ferdinand Bassono y montre avec force et simplicité les nombreuses tâches qui constituent le quotidien d’une villageoise. Elle pose la question du devenir de ces femmes, dans un monde apparemment bloqué. Par ailleurs, on est surpris de constater la beauté des images et le choix des prises de vue.
M.D. Marie s’est immédiatement montrée très intéressée, très douée. Elle a choisi de parler d’elle, à travers sa voisine Yvette, son alter-ego. Elles ont le même âge, toutes deux ont du abandonner l’école très tôt, leurs parents n’ayant pas les moyens de les y envoyer. Il faut savoir qu’au Burkina Faso, 90% de la population vit en zone rurale et qu’une grande partie est analphabète, principalement les femmes.
M.S. : Qu’est devenue Marie ?
M.D. : Le fait qu’on ait choisi son sujet lui a donné confiance, ce tournage a agi sur elle comme un révélateur. Elle est partie avec son mari pour travailler en Côte d’Ivoire.
M.S. : Avez vous d’autres projets avec l’Atelier Caïcedra ?
M.D. : Nous cherchons des fonds pour démarrer une deuxième session de l’atelier en décembre prochain... Mais c’est difficile, nous pensons faire jouer la coproduction.
Par ailleurs nous inscrivons Yvette à la compétition documentaire du Fespaco 2013.
Michèle Solle
Novembre 2012
Fiche technique
Yvette, documentaire, Burkina Faso, 2012, 21’
Réalisation : Marie Bassolé, Ferdinand Bassono encadrés par Mickaël Damperon
Production : l’Atelier Caïcedra, le Village s’empare de la caméra, Burkina-Faso
contact et informations : www.ateliercaicedra.org
Autre film tourné par l’Atelier Caïcedra et sur le même DVD
« Wash the car d’abord » documentaire de 28’ de Bali Bassono et Albert Bado.
Clap Noir
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