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Tarantino s’empare de l’Amérique esclavagiste et crée scandale
Publié le : mercredi 2 janvier 2013
Django Unchained

Sortie France le 9 jan­vier 2012

En direct des Etats-Unis

A Los Angeles, on a la chance de décou­vrir avant tout le monde Django unchai­ned, le der­nier film de Quentin Tarantino, deuxième au box office. Sans sur­prise, il s’agit d’un film qui mélange assez joyeu­se­ment le wes­tern spa­ghetti et la blax­ploi­ta­tion. Et sur les traces amor­cées par Inglourious Basterds, le film revi­site bru­ta­le­ment des pages majeu­res de l’Histoire, en se gar­dant de toute poli­ti­cal cor­rect­ness ou autre poli­tesse his­to­ri­que. Bien au contraire, c’est un feu d’arti­fice de vio­lence, de misère humaine et de kitch. En gros, selon Tarantino, tout le monde va en pren­dre pour son grade. Aux Etats-Unis, le film sou­lève une polé­mi­que car Spike Lee y consi­dère la mémoire de ses ancê­tres agres­sée. De quoi s’agit-il ?

Le film com­mence dans le sud des Etats Unis, en 1858, deux ans avant la guerre de séces­sion. Django, un jeune esclave au carac­tère très trempé, incarné par le beau Jamie Foxx, est libéré par un mili­tant anti-escla­va­giste, incarné par Christoph Waltz. Les voilà partis sillon­nant le deep south, à dos de cheval, ce qui choque tout le monde sur leur pas­sage (« un Noir sur un cheval ! »), à la recher­che de la jeune épouse de Django, qui est esclave au domaine de Candyland... Dès les pre­miè­res images, la vio­lence de l’escla­vage est au rendez-vous. On voit lit­té­ra­le­ment Django quit­ter ses chaî­nes. Tarantino filme lon­gue­ment aussi son dos puis­sant lacéré de traces de fouet, sa peur, ainsi que celle de ses cama­ra­des. Les rap­ports de race de l’Amérique sont d’emblée posés dans leur vio­lence et leur cru­dité.

Kitch, le film l’est d’emblée, à la Tarantino. Les scènes de tuerie agré­men­tées de ket­chup-bang-bang com­men­cent très vite. Très vite aussi, un humour mâtiné du goût du kitch vient déten­dre l’atmo­sphère ter­ri­ble qu’impo­sent cer­tai­nes scènes. Ainsi, quand Django a la pos­si­bi­lité de choi­sir son cos­tume d’affran­chi, il choi­sit un cos­tume de soie bleu roi avec jabot, qu’il porte fiè­re­ment sur son cheval. Toute la salle éclate de rire. Comique également, la scène de chasse à l’homme du Ku Klux Klan pen­dant laquelle com­mence un débat sur la manière de porter les sacs sur le visage et la pos­si­bi­lité de bien pou­voir voir dans la nuit munis de ces sacs. Là encore, l’ironie mor­dante du réa­li­sa­teur dis­qua­li­fie un moment le malaise.

Assez peu de temps après, les péré­gri­na­tions des deux cow-boys, tou­jours com­pli­ces, un couple à la Don Quichotte et Sancho Pança, les mènent à sup­por­ter avec nous une scène d’une rare vio­lence. Un esclave en fuite est puni par les chiens. On voit sa chair déchi­que­tée, la peur, la vio­lence sadi­que des maî­tres-chien, l’inflexi­bi­lité des rap­ports de pou­voir qui se joue der­rière ce châ­ti­ment pour l’exem­ple. Fallait-il filmer jusqu’au bout une telle scène ? Est-ce com­plai­sant de décrire cette vio­lence dans ce qu’elle a d’insup­por­ta­ble ? Voilà un point sur lequel il est pos­si­ble de débat­tre. Pour des jeunes Américains qui décou­vri­ront ces images, il est pos­si­ble que ce soit la pre­mière fois qu’ils aient accès à un telle vio­lence et décou­vrent ainsi la réa­lité de ce que fut le sys­tème escla­va­giste amé­ri­cain. La vio­lence est-elle d’oser la mon­trer ou bien de la mon­trer d’une manière dévoyée, pas­sant par le genre, l’humour, le deuxième degré et le sadisme ? Incontestablement, ces images déran­gent. On peut s’inter­ro­ger sur le statut de la vio­lence dans le film.
La vio­lence escla­va­giste a existé. Elle est into­lé­ra­ble et elle fait hélas partie de l’his­toire de l’Amérique. Comment faut-il en témoi­gner ? Sankofa, de Hailé Gérima, décri­vait la vio­lence de la plan­ta­tion sans aucune com­plai­sance. Tarantino n’a-t-il pour autant pas le droit de donner sa ver­sion ? Le même genre de débat avait secoué le milieu du cinéma lors­que Spielberg avait réa­lisé La Liste de Schindler. L’argu­ment du réa­li­sa­teur est fort. « La plu­part des pays ont eu à faire face aux atro­ci­tés qu’ils avaient com­mi­ses. Mais l’Amérique est faible sur ce point. A l’école, j’ai appris plus sur les Aztèques que sur le sys­tème d’escla­vage amé­ri­cain. J’ai voulu m’empa­rer de ce sujet, mais pas sur le mode vic­ti­maire, plutôt de manière héroï­que » expli­que le réa­li­sa­teur blanc amé­ri­cain le plus fas­ciné par le monde noir dans une inter­view accor­dée à Black tree tv hd en 2012.

La grande force, le cœur du scé­na­rio est le pas­sage à Candyland, ce domaine escla­va­giste où est rete­nue l’amou­reuse de Django. Dans toutes les séquen­ces qui ont lieu dans cette maison colo­niale régie par des règles de domi­na­tion par­fai­te­ment décri­tes et ana­ly­sées par le film, on est dans du grand cinéma. Il n’y a plus de deuxième degré, mais une dra­ma­tur­gie épurée, puis­sante. Des comé­diens hors-pairs se sur­pas­sent dans des rôles dont ils assu­ment la part d’ombre. Samuel L.Jackson incarne avec jubi­la­tion un arché­type d’oncle Tom ter­ri­ble­ment conser­va­teur (et donc très méfiant envers le dis­cours de libé­ra­tion), un véri­ta­ble « méchant », Stephen. Il est sim­ple­ment extra­or­di­naire. Tout autant que son maître et insé­pa­ra­ble com­plice, incarné par un Léonardo Di Caprio au sommet de son art en dandy déca­dent, pour ne pas dire « fin de race », pro­fon­dé­ment raciste et vis­cé­ra­le­ment atta­ché aux valeurs escla­va­gis­tes. La scène du repas est exem­plaire.

Après, mal­heu­reu­se­ment, l’hémo­glo­bine et la paro­die vont repren­dre le dessus et l’on en a encore pour plus d’une heure avant que Django puisse enla­cer sa belle. Dommage donc que le talent se gal­vaude par le ridi­cule, l’excès, la paro­die. En outre, Spike Lee n’a peut-être pas tort.
Car s’il est vrai que Django porte beau juché sur son cheval, qu’il monte à la per­fec­tion, il n’est jamais dans ce récit que le Sancho Pança d’un Don Quichotte blanc qui lui, est le véri­ta­ble pro­ta­go­niste du film. C’est cet anti-escla­va­giste qui mène le récit, accom­pa­gné par son esclave affran­chi et non pas l’inverse. Fallait-il pou­voir s’iden­ti­fier d’abord à un per­son­nage blanc pour pou­voir abor­der le thème dou­lou­reux de l’escla­vage, même lors­que l’on s’appelle Tarantino ? Ou bien est-ce là la limite d’un récit sur les conflits raciaux mené par un nar­ra­teur blanc ? Certes, dans cer­tai­nes scènes, Django est debout, fier, et il lutte pour ses droits, tuant tout le monde, un pis­to­let dans chaque main. Mais fina­le­ment, dans ce film, celui qui a tiré les fils du récit, c’est son libé­ra­teur, pas lui.
Alors ? A quand une fic­tion sur l’escla­vage amé­ri­cain poli­ti­que­ment libé­rée ?

Caroline Pochon
2 jan­vier 2013

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  • Le 9 janvier 2013 à 21:16, par pélagie ng’onana

    Merci Caroline pour cette savoureuse critique.
    j’espère avoir vraiment l’occasion de voir ce film.

  • Le 17 janvier 2013 à 11:08, par michele solle

    salut Caro
    j’ai vu le film hier soir
    merci de ton éclairage, ce diable de Tarentino adore brouiller les pistes mais c’est sa marque de fabrique...
    je crois qu’il détesterait être adoré et d’ailleurs il se fait sauter lui même à la fin du film...
    et même si les presque 3 heures que dure le film pourraient être largement élaguées des multiples scènes de gun
    il reste un scénario solide, un paquet de scènes inoubliables, et des acteurs dans toute leur puissance.

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