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Une expérience panafricaine inoubliable
Publié le : samedi 31 mars 2012
Interview d’Alessandra Speciale, co-directrice du festival africain de Milan

S’intéressant par hasard aux cinémas d’Afrique durant ses études, Alessandra Speciale co-dirige depuis maintenant 22 ans le festival du cinéma d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine de Milan. Elle revient pour nous sur son expérience italienne de promotion des films africains.

Quel inté­rêt y a-t-il pour les ciné­mas d’Afrique en Italie ?

Alessandra Speciale : Il n’y a pas beau­coup de jour­na­lis­tes spé­cia­li­sés mais cer­tains, comme Giuseppe Gariazzo, tra­vaillent avec nous. Annamaria Gallone et moi-même [co-direc­tri­ces du fes­ti­val, ndlr] sommes jour­na­lis­tes mais nous écrivons de moins en moins car nous nous sommes tour­nées vers la réa­li­sa­tion de docu­men­tai­res. Il n’y a pas de revue spé­cia­li­sée. Il y a un site inter­net inté­res­sant qui s’appelle Cinemafrica. Les seules per­son­nes impli­quées sont ita­lien­nes. Contrairement à la France, le deuxième géné­ra­tion d’afri­cains ne s’inté­resse pas encore à ce cinéma mais cela com­mence à chan­ger.

Il existe aussi les fes­ti­vals de Vérone et de Padoue qui pro­meu­vent les ciné­mas d’Afrique. Êtes-vous un pôle res­source en Italie ?

Alessandra Speciale : Oui. A titre per­son­nel, je tra­vaille toute l’année en tant que consul­tante sur les films afri­cains et arabes. J’ai com­mencé avec Venise puis avec Locarno (Suisse) et cela fait sept ans que je tra­vaille pour le fes­ti­val de San Sebastian (Espagne). Avec ce fes­ti­val, nous décer­nons aussi un prix pour la fini­tion des films en post-pro­duc­tion. Jusqu’à pré­sent cela était orga­nisé autour des films arabes mais je me suis beau­coup battue pour que cette année, l’ate­lier soit ouvert aux films afri­cains. Ce seront des prix en numé­raire ou en indus­trie pour les longs-métra­ges fic­tion et docu­men­taire. L’appel à projet sera lancé fin avril et le fes­ti­val aura lieu en sep­tem­bre pro­chain.

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En 1991, vous avez par­ti­cipé à la créa­tion d’une revue emblé­ma­ti­que inti­tu­lée Écrans d’Afrique. Pouvez-vous nous parler de cette expé­rience ?

Alessandra Speciale : Oh, cela va ma rap­pe­ler des anciens bon­heurs et des ancien­nes dou­leurs en même temps... J’ai par­ti­cipé de façon très active à la revue. La vraie rédac­tion, la mise en page, se fai­sait ici à Milan avec le Centro Orientamento Educativo (COE). Au Burkina Faso, Clément Tapsoba coor­don­nait les contacts avec les jour­na­lis­tes. Ensuite tous les arti­cles arri­vaient ici par dis­quette. Nous n’avions pas encore la pos­si­bi­lité d’envoyer des emails donc ce n’était pas évident, sur­tout depuis l’Afrique car les dis­quet­tes met­taient 5 jours à arri­ver. C’était un autre monde... C’était une galère mais aussi une expé­rience pana­fri­caine inou­blia­ble dans le sens où nous avions des cor­res­pon­dants de toute l’Afrique. Il y avait un tra­vail de recher­che car il n’était pas facile de trou­ver des jour­na­lis­tes mais au fil des années, nous avons cons­ti­tué une équipe. Des fonds de la coo­pé­ra­tion fran­çaise nous ont permis d’avoir un stand à Cannes et de faire connaî­tre cette revue. Elle était publiée en deux lan­gues même s’il est tou­jours dif­fi­cile, lorsqu’une ini­tia­tive est fran­co­phone, d’impli­quer des anglo­pho­nes. Mais nous avions réussi.

Pourquoi la revue s’est-elle arrê­tée ?

Alessandra Speciale : Nous avons arrêté à cause de la crise de la Fédération pana­fri­caine des cinéas­tes afri­cains (FEPACI). Quand Gaston Kaboré est parti, il y a eu une crise de la FEPACI car elle était concen­trée autour de sa per­sonne. C’était aussi lui qui avait les moyens de trou­ver des finan­ce­ments. Donc il y a eu en 1997 un manque de fonds. D’un autre côté, à Milan, nous avions dépensé de l’argent pour le lan­ce­ment de cette revue et nous ne pou­vions plus conti­nuer sans l’aide de la Fepaci et de ses finan­ce­ments. La revue s’est arrê­tée au moment où elle avait réussi à mar­cher sur ses pro­pres jambes. J’avais même trouvé un accord avec L’Harmattan [maison d’édition fran­çaise, ndlr] pour une dis­tri­bu­tion pana­fri­caine. Nous dis­tri­buions la revue dans des points de vente ciblés mais nous n’avions pas de réelle dis­tri­bu­tion. Nous avions des abon­ne­ments mais ce n’était pas suf­fi­sant pour deve­nir auto­no­mes. Nous avions encore besoin de finan­ce­ments ins­ti­tu­tion­nels, au moins pour quel­ques années. Lorsque nous avons signé avec L’Harmattan - qui dis­tri­buait des livres dans toute l’Afrique - et pris des contacts avec une maison de dis­tri­bu­tion en Angleterre pour cou­vrir la partie anglo­phone de l’Afrique, stop. La revue est morte en quel­ques mois. Le COE s’est retiré, la Fepaci était dans un état de confu­sion, les gens se sont décou­ra­gés et cette belle aven­ture s’est ter­mi­née comme ça.

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D’abord uni­que­ment dédié aux ciné­mas d’Afrique, le fes­ti­val s’est ensuite ouvert aux ciné­mas d’Asie et d’Amérique Latine. Pourquoi ?

Alessandra Speciale : Nous avons com­mencé comme fes­ti­val de cinéma afri­cain et en 2004, nous l’avons ouvert aux autres conti­nents. Ce chan­ge­ment nous a permis de nous renou­ve­ler parce que, même en temps que direc­trice, il n’est pas facile de conti­nuer pen­dant des années sur le même cré­neau. Soit tu chan­ges de fes­ti­val et tu fais autre chose, soit tu chan­ges le fes­ti­val. Finalement, nous avons changé le fes­ti­val et l’élargissement aux autres conti­nents a changé les films, le public et les spon­sors.

Ce parti pris a-t-il été com­pris ?

Alessandra Speciale : Certains cinéas­tes afri­cains ont bien réagi parce qu’ils en avaient assez d’être dans des fes­ti­vals afri­cains un peu « ghetto ». D’autres nous on dit : « C’est fini, vous nous avez trahi ». Il est vrai qu’en élargissant nous avons pré­senté un peu moins de films afri­cains donc en 2005, nous avons décidé de garder une com­pé­ti­tion « cinéma afri­cain » et une com­pé­ti­tion « courts-métra­ges afri­cains ». Notre cœur bat tou­jours pour l’Afrique et la com­pé­ti­tion court-métrage nous permet d’accueillir des jeunes qui devien­nent ensuite de grands réa­li­sa­teurs. La preuve cette année : le prix du meilleur film afri­cain est allé à Faouzi Bensaïdi et le Grand Prix du fes­ti­val à Alain Gomis, deux réa­li­sa­teurs que nous avons reçu dans notre fes­ti­val depuis leurs débuts. Cela nous encou­rage à conti­nuer à porter beau­coup d’atten­tion aux courts-métra­ges.

Propos recueillis par Claire Diao
20 mars 2012

Site du fes­ti­val

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