Un court-métrage entre dans la course des festivals, a déjà raflé plusieurs prix, dont plusieurs prix d’interprétation, et ne laisse pas le spectateur sortir indemne… de cette rencontre cinématographique en noir et blanc.
A découvrir à l’occasion du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand cette semaine.
Le film : rencontre en noir et blanc
Elle est blessée par le handicap. Ses jambes ne fonctionnent plus et comme elle le dit au kinésithérapeute, elle "ne sent plus rien avec son corps". Regard nerveux, jeu troublant de souffrance suicidaire d’Hélène Viviès. Le masseur qui vient chaque jour s’occuper d’elle est noir. Présence évidente, virilité sensuelle de Bruno Henry, qui impose dès le premier regard la dignité : la sienne et celle qu’il va restituer à cette femme qui a tout perdu dans ce terrible accident de voiture. Peut-être aussi une chance de vivre une étonnante rencontre ?
Qu’est-ce qu’une rencontre ? Approche. Résistance. Désir. Handicap social contre racisme : dans ce huis-clos en noir et blanc, mis en images par Valério Villalba, le Noir et la Blanche sont tenus face à face comme sur une partie d’échec. La souffrance la rend agressive, elle vomit sur lui ses propos racistes. Défense face à sa situation de dépendance ou idées reçues ancestrales ? Les deux sans doute. Il lui offre un mur de silence patient et agacé. Et pour cet homme qui reste professionnel alors, jusqu’où va le soin ? Par quelles ressources passe-t-il ? Répulsion. Attraction. Pitié dangereuse. Transgression. Libération. Don. Partage.
C’est dans le corps que se jouent ces souffrances, - la peau, la douleur - et c’est par le corps qu’elles vont se dénouer. L’acte sexuel prend une dimension politique, comme dans les relations que montrait le cinéaste anglais Joseph Losey lorsqu’il décrivait l’inversion possible des rôles entre maître et serviteur (The servant) ou, Pasolini dans ses récits sulftureux ou transgressifs (de Théorème à Salo), et bien sûr Bunuel, à qui Renaud Decoing envoie un clin d’œil par son titre. Plus que jamais dans ce film, le sexe transfigure les personnages et les libère. Il nous libère aussi de complexes anciens et bien ancrés.
Black and white au cinéma
Dommage que le désir entre un homme noir et une femme blanche ne soit pas plus souvent abordé dans le cinéma, car c’est une belle rencontre cinématographique. Le contraste des peaux a une dimension érotique qu’a bien comprise le réalisateur, pas trop complexé, comme les comédiens qui se sont littéralement mis à nu, sans impudeur pour autant, dans ce court et puissant récit.
Dans le Code Noir édicté au temps de Louis XIV, qui fut en vigueur plusieurs siècles, l’homme noir qui faisait l’amour à une femme blanche était passible de la peine de mort. L’amour entre un homme noir et une femme blanche reste entaché de souffre dans nos imaginaires et finalement, peu de réalisateurs ont pu le raconter sans succomber au poids de cet interdit historique. Des archétypes, quasiment des mythes, flottent dans l’univers du cinéma : mythe de l’étalon noir, mythe de la traite des Blanches (Morocco), mythe de l’amour impossible... Est-ce pour cela que les histoires de couples mixtes sont souvent « seulement » sexuelles et fantasmatiques, comme l’était Le secret de Virginie Wagon, coécrit avec Eric Zonka ? Ou bien, encore, vouées socialement à l’échec, comme dans Jungle fever de Spike Lee (la « jungle fever » étant le terme utilisé à New York pour décrire les sentiments d’une Blanche amoureuse d’un Noir…).
Le tabou est sans doute encore plus fort aux Etats-Unis qu’en France. Mal connu, le film de Melvin Van Peeble sur les amours d’un soldat noir américain à Paris avec une petite parisienne se solde par une vilaine séparation, après assez peu de temps. Le temps de la permission, qui du coup donne au titre son film. Comme si seul, un amour « de permission » était permis à l’homme noir avec « la Blanche ». Et comme s’il parvenait à s’en satisfaire en dénigrant celle dont il ne peut avoir qu’un petit morceau de peau, de temps, d’amour… Au fond, depuis 1967 et le volontariste Devine qui vient dîner, de Stanley Kramer, avec un Sydney Poitier en gendre idéal bien que noir (ses parents sont médecins et il est très clean), on n’a guère avancé en matière de cinéma américain sur ce satané couple mixte.
Heureusement, en 1988, il y a eu Bird de Clint Eastwood, où Forrest Withaker incarne puissamment le saxophoniste Charlie Parker, qui partage sa vie avec une femme blanche, Diane Venora. Leur couple est passionnel mais solide. Les questions de filiation cependant ne sont pas au cœur de leur récit de couple, au contraire, elles sont relativement passées à l’as. Le film s’intéresse aux sentiments, avec justesse et intelligence et parvient à se situer au-delà des couleurs de peau.
French old taboos
Du côté du pays des droits de l’Homme, ce n’est pas beaucoup plus brillant que chez les Américains. Mis à part un film récent comme Donoma, de Djinn Carrénard, un réalisateur qui a la trentaine et montre, avec humour et tendresse, des couples mixtes sans que cela semble être une « issue », un enjeu dramatique en soi, le couple mixte est un grand absent des films français ou africains.
La seule rencontre amoureuse franco-africaine sérieuse du cinéma européen est allemande : Tous les autres s’appellent Ali de Rainer Fassbinder (1974). Mais là encore, c’est un amour-lutte entre deux marginaux. Elle a cinquante ans et est femme de ménage, il est noir et ouvrier. Le film raconte leur amour. Vers le sud (2005), de Laurent Cantet, ne raconte pas un véritable amour nord-sud, mais s’efforce de disséquer la typologie du tourisme sexuel avec d’un côté Charlotte Rampling, la coloniale cynique (mais pas moins éprise) et de l’autre, une Américaine dégoulinant de sentiments depuis qu’elle a découvert l’orgasme sur une plage de Haïti… Mais dans ce film, malgré un effort scénaristique, le personnage noir peine à sortir du rôle d’objet sexuel que lui ont assigné ces femmes avides de sexe et le réalisateur désireux d’analyser leurs comportements.
Corps intouchables et femmes perdues ?
Faut-il en passer par la posture ancillaire, « à la » Miss Daisy et son chauffeur, pour que la représentation d’un tel amour soit acceptable ? D’ailleurs, le dernier plan de Cette obscure tentation n’échappe pas au poids des clichés sociaux qui continuent à peser sur la représentation cinématographique du couple femme blanche/homme noir : il montre le kiné noir qui pousse la chaise roulante de la jeune handicapée blanche.
Duo qui fait écho au couple le plus successful de l’année, on ne va pas s’en plaindre, celui d’Omar Sy et François Cluzet dans Intouchables de Olivier Naccache et Eric Toledano. Notons que ce film qui plait déjà à 17 millions de spectateurs en France n’a pas franchi le rubicond du tabou « domino », mais a su le gérer habilement. Car le désir n’a jamais été interdit au cinéma ! Le personnage incarné par Omar Sy, lorsqu’il arrive dans la maison de son employeur, fait une cour intense à son assistante, une belle rousse hautaine… qui semble céder à ses avances mais se refuse finalement à lui car elle est lesbienne, ouf ! : comme dirait la blonde Nicole Kidman, dans la pub Schweppes aux fortes allusions coloniales : « What did you expect ? ». Si on pense au choix du titre, nous ne sommes pas forcément loin de l’enjeu, les intouchables étant ceux qui font l’objet d’un tabou. L’intelligence de Naccache et Toledano, ainsi que de leurs producteurs, est d’avoir su parler avec humour de ce racisme qui nous mine toujours. C’est triste à dire, mais il n’y a peut-être que dans les clips de rap que la relation de domination sexuelle s’inverse et où l’on voit des poufs blondes amoureusement soumises à des machos blacks ! Autre caricature. Car dans la représentation du couple mixte, la femme blanche perd souvent son intégrité, voire parfois sa raison au contact de l’homme noir, comme les femmes blanches « qui vont avec des Noirs » et autres Sues perdues dans Manhattan que montrait John Cassavetes, Shirley Clarke, Amos Kollek… Bref, bien du chemin reste à parcourir dans l’univers des représentations.
Espoir français
Mentionnons heureusement le deuxième couple star de l’année 2011, celui qui unit Maïwen et Joey Star dans Polisse de Maïwenn. Signe des temps, et cela fait du bien, le Noir n’est pas socialement dominé par la Blanche, un équilibre est raconté comme possible entre le flic et la jeune photographe, et lorsqu’il tombent amoureux, ce n’est pas que sexuel (ou formidable au plan sexuel). Essayez donc de voir Cette obscure tentation, un film pervers ce qu’il faut, bien interprété, qui nous en met plein la vue, du cul black and white comme on en voit pas très souvent au cinéma et plutôt intelligent, ce qui n’enlève rien.
Rencontre avec Bruno Henry, comédien
Comment s’est présenté ce rôle ?
Ma première passion a été la danse (j’ai même été espoir de la danse en 1986-87). Puis, j’ai travaillé comme chorégraphe, notamment pour la télévision. Puis, j’ai pris des cours de théatre et un jour, j’ai été choisi pour Monsieur Amédée, avec Bernadette Laffond et Michel Galabru, qui est resté mon mentor, quelqu’un que j’aime beaucoup. Et puis, j’assistais chaque année, aux projections des court-métrages de Renaud Ducoing. Et la huitième année, il m’a dit : « tiens, j’ai écrit cela en pensant à toi. » On a d’abord rencontré une première comédienne avec qui cela n’a pas collé, et puis, il y a eu Hélène Viviès, une véritable rencontre.
Le film est une mise à nu…
Dans tous les sens du terme ! Pourtant, je suis pudique. Même lorsque j’étais danseur, j’étais pudique. Pour « la » scène, on n’a pas dormi la veille, ni elle ni moi. Il y avait toute l’équipe autour du lit, c’était dur. La production avait prévu de petits caches-sexes ridicules… et on a tout viré ! Me mettre à nu, c’est difficile, mais s’il faut mettre ses « corones » sur la table, je suis là. C’est bien de dépasser ses peurs.
Le film renvoie à un bien vieux cliché : celui de l’étalon noir…
Je ne sais pas si le film joue vraiment avec cela. Pour moi, il n’a rien à voir avec ces clichés racistes. Pour cette femme qui souffre d’un handicap, c’est une délivrance. Cette obscure tentation, en fait, c’est de l’amour. Elle passe un cap dans sa tête et elle s’en sort parce qu’elle tombe sur un kiné qui lui résiste, qui lui oppose son altérité, ou son adversité. Cela n’a rien à voir avec l’idée de l’étalon, du mec qui arrive en hop… ! C’est vrai qu’on associe le Noir à la virilité, on nous a mis là-dedans. Mais en même temps, il y a bien Rocco Siffredi et d’autres Blancs bien équipés !
Etre comédien et noir en 2012 ?
Mes grands-parents avaient des livres qui disaient que les Noirs étaient des sauvages. Et quand je suis entré à l’école à Bourges, c’était au réfectoire, j’étais le seul Noir, tous les regards se sont posés sur moi. Je n’ai pas pu manger. Mais c’est loin tout cela. Il faut qu’on habitue les gens à penser qu’on est comme tout le monde ! Les choses commencent à s’ouvrir, mais le fait qu’un Noir puisse incarner n’importe quel rôle n’est pas encore complètement dans les mœurs. Il y a Omar Sy, Joey Starr, c’est bien. Mais la plupart du temps, on met un Noir dans le film, mais… attention, il ne faut pas qu’il y en ait trop ! Aux Etats-Unis, en Angleterre, il y a beaucoup de comédiens noirs. Il y a eu des quotas, mais on est aujourd’hui bien au-delà de ces quotas, avec des premiers rôles, des rôles de médecins, d’avocats, de chefs ! Avec le métissage et le brassage culturel, les choses vont changer ici aussi. Mais un « rôle de Noir », non ! Pour autant, je ne me positionne pas en victime. Il ne faut pas qu’on se positionne en victimes. Les choses vont changer, il faut commencer par éduquer les enfants en leur disant qu’il n’y a pas de couleurs. Aujourd’hui, on a tourné un deuxième court-métrage avec la même équipe et Renaud Ducoing a écrit le scénario d’un long métrage…
Caroline Pochon
1er février 2012
Cette obscure tentation de Renaud Ducoing
Andesite production, France, 26’
Prix du scénario Un poing c’est court 2012, lire A Vaulx les films sont beaux
Clap Noir
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