Foix Résistances 2014
On en connaît qui n’ont pu entrer dans la salle. Et pourtant nous sommes en France, et les festivaliers de Foix n’ont, en général, pas froid aux yeux. L’excision fait peur. Comme une chape de plomb définitivement jetée sur le monde.
Philippe Baqué, celui par qui le scandale pourrait arriver, s’est emparé d’un sujet révolutionnaire et le présente par le petit bout de la lorgnette, à plat pourrait-on dire : en France, un urologue a découvert le geste opératoire, simple qui plus est, permettant de restaurer le clitoris des femmes excisées ; il a déjà entrepris des reconstructions et l’opération est remboursée par la sécurité sociale... Une nouvelle extraordinaire qu’il nous délivre sans effets de manche, sous forme d’enquête documentée : témoignages des patientes, des médecins, reportages à l’hôpital de Ouagadougou, interviews variées, conversations amicales, et confessions glanées au fil de ses recherches, y compris sur les forums du net. Avec, en filigrane, l’annonce d’une révolution : un jour, des millions de femmes mutilées pourraient découvrir le plaisir. A vous d’en tirer les conséquences....
En s’adressant aux femmes, les réalisateurs prennent un parti pris journalistique : des faits, des explications données par les premiers témoins, patientes, proches, médecins etc... Ils ont refusé d’envisager les retombées politiques de cette découverte, qui, si elle était suivie d’effet, ferait exploser une grande partie du monde, celle où le pouvoir masculin règne en maître, intronisé par la religion.
« Femmes, mes sœurs, voilà qu’une lueur vient de poindre à travers l’épaisse muraille, levez-vous, groupez-vous, battez-vous... » C’est un film qui joue sur l’éveil des consciences...
Aux femmes seules dans le noir, parlant de leur ignorance, leurs peurs, espoirs, craintes, souffrances, sur fond d’images sépia de scène d’excision, vont succéder les pionnières, Awan, Fatou et les autres, elles qui ont osé, ont eu la chance, le courage, l’opportunité, l’argent et l’entregent de se faire opérer, qui aujourd’hui chantent leur joie d’être des femmes à part entière et, qui, telles des converties partant en croisade, brûlent de faire des adeptes.
Entre-temps, à l’hôpital de Ouagadougou, seul endroit en Afrique à pratiquer cette opération, on aura écouté le docteur Foldes, inventeur de la méthode, expliquer que le clitoris est en réalité un organe intérieur long de 12cms qui peut être restauré simplement, et qu’étrangement, jamais personne ne s’en était avisé avant lui. Puis, on verra le docteur Mazdou, son premier disciple et néanmoins adversaire, suivre ses patientes avant et après l’opération avec la bonne humeur que confère un pouvoir sans partage.
Grâce à la caméra subjective on aura pris la place de l’opérée, regards des stagiaires braqués entre nos jambes, commentaires à l’appui : « C’est de la sculpture, on peut même reconstituer les petites lèvres... »
On aura écouté les femmes raconter comment elles furent excisées, par traîtrise, avec la complicité des grands mères. On aura appris que, les excisions se perpétrant de nos jours dès la naissance à la maternité, sécurité oblige, nombre de femmes arrivent à l’âge adulte sans savoir qu’elles en sont victimes.
On aura entendu parler de l’honneur des femmes, de celui des hommes qui n’auraient jamais pris d’épouse non excisée et qui, aujourd’hui au Burkina Faso, ne veulent que des femmes « entières ». Question de mode ?
On aura vu de ces grands mères gardiennes des traditions s’interroger sur ces changements, de futures opérées, trembler plus de la peur de transgresser les tabous immémoriaux, que de l’intervention elle-même, un mari accompagner sa femme à la consultation....
On aura suivi celles qui souffrent des suites normales de l’opération, celles qui ont peur de souffrir, celles qui ont découvert le plaisir, celles qui en rêvent …
Sans compter que le prix de cet acte chirurgical, jugé raisonnable par la faculté, restera un obstacle infranchissable pour la plupart et que seule une décision politique courageuse pourrait retourner la situation. En attendant, on aura la preuve que certains busards n’hésitent pas à agrandir leur empire, et on suivra le discours exalté de la raelienne de service louant le futur hôpital construit par la secte à Ouaga, et destiné, pour le plus grand bonheur de tous, à cette seule opération.
Comment ne pas rêver, comme une des blogueuses, que cette opération soit un jour reconnue comme un droit universel ?
Comment s’étonner des difficultés rencontrées par les réalisateurs ? Si le projet avait été porté par une femme, comment auraient réagi les bailleurs de fond ? Et si un jour, David se fatiguait de lancer seul des défis aux Goliath ?
Il se peut que quelques questions dérangeantes vous accompagnent après le mot FIN .
Michèle Solle
Clap Noir
Association Clap Noir
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