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Visages de la démocratie sur le continent africain
Publié le : vendredi 2 septembre 2011
Lussas 2011

Tahrir, place de la libé­ra­tion : l’Egypte



La révo­lu­tion égyptienne vécue de l’inté­rieur, c’est l’expé­rience que nous offrent cette année les Etats Généraux du docu­men­taire de Lussas, avec Tahrir (place de la libé­ra­tion) de Stephano, un film lyri­que, puis­sante per­for­mance dont l’actua­lité est encore brû­lante - et peut-être, d’autant plus atti­rant pour le chan­ceux public de Lussas. Immergé sur la place Tahrir, au Caire, le réa­li­sa­teur filme au plus près les gestes, les visa­ges d’une révo­lu­tion. Les mots, les slo­gans qui s’impro­vi­sent puis se scan­dent, les rires, dis­cus­sions sans fin, haran­gues, pala­bres, espoirs, révolte, rires. Les gestes aussi, qui sont ceux de toute mytho­lo­gie révo­lu­tion­naire : arra­cher les pavés et les jeter sur les forces de l’ordre, par­ta­ger un repas simple, une ciga­rette, parler à des inconnus, s’endor­mir par terre avec les autres après des heures de pré­sence fébrile. Se défiant de tout repère chro­no­lo­gi­que, le film nous plonge dans l’événement dans toute la sub­jec­ti­vité de celui qui s’est immergé dans la foule en transe et com­mu­nie avec elle, fait partie d’elle. Admirablement monté par Pénélope Bortoluzzi, également pro­duc­trice du film, le film agence en kaléi­do­scope les visa­ges, les mots et les chants, dans l’enthou­siasme révo­lu­tion­naire dont il donne une glo­rieuse repré­sen­ta­tion. Tahrir montre la poli­ti­que à l’état pur, le visage de la démo­cra­tie, celui du peuple dans la rue. Et qui hurle de joie en appre­nant la vic­toire : le départ du pré­si­dent Moubarak, à la fin du film. De la même manière, Vibrations, le court-métrage de Farah Khadar, raconte des moments de la révo­lu­tion tuni­sienne, tandis que Fragments d’une révo­lu­tion, film ano­nyme, monté avec des images fil­mées par des mani­fes­tants, conte la révo­lu­tion contre la fraude électorale mas­sive en Iran en 2009.

Pour Stephano, ces regards qui ne sont pas jour­na­lis­ti­ques sont indis­pen­sa­bles pour témoi­gner. On est habi­tué à voir raconter les choses en temps réel, par la télé­vi­sion et inter­net, bref, par le sys­tème de com­mu­ni­ca­tion. Les faits sont donc méta­bo­li­sés, digé­rés au quo­ti­dien et ils per­dent leur sens, si quelqu’un ne les saisit pas de façon dif­fé­rente (...). L’espace d’une révo­lu­tion n’arrive pas être saisi par le cadre d’une télé­vi­sion. Pour écrire l’Histoire, on agence des faits. Et c’est ce même agen­ce­ment des faits qu’il faut pour faire un film. La super­po­si­tion de ces deux pro­ces­sus de mise en récit, celui de l’his­toire du film et celui de la grande Histoire, n’est pas évidente, pas auto­ma­ti­que. Pour le réa­li­sa­teur ita­lien, il importe de res­ti­tuer la dimen­sion sub­jec­tive et frag­men­taire de l’événement. Je pense sou­vent à Fabrice dans la Chartreuse de Parme de Balzac, lorsqu’il est dans la bataille de Waterloo. On passe dans un événement énorme et on n’en a jamais qu’une vision sub­jec­tive, un peu fan­tas­ma­ti­que. On ne sait pas si c’est Napoléon qui est passé sur son cheval, ou bien si c’est quelqu’un d’autre. Il y a des héros qui ne sont pas des héros, des gens qui se trou­vent là, comme cela, comme Fabrice à Waterloo. J’y pense tou­jours lors­que je suis en train de filmer des gens, dans une situa­tion comme celle-ci et dans cet état-là.

Afrique noire : ça va "un peu même"

Tandis que le Maghreb est tra­versé par la vague révo­lu­tion­naire, à l’heure où M.Kadhafi a lui aussi dis­paru (...), que se passe-t-il en Afrique noire ? Le contraste est sai­sis­sant. Rien pour le moment sur la Côte d’Ivoire. Mais un petit film, modeste mais jouant bien sur la per­sis­tance réti­nienne, fait sub­ti­le­ment état de l’absence de pro­ces­sus démo­cra­ti­que dans un pays que la France aime bien, le Burkina Faso, où Blaise Compaoré occupe le fau­teuil depuis déjà 1987 !


Savoir raison garder

Voilà donc qu’une jeune cinéaste à l’oeil vol­tai­rien nous pré­sente avec humour le mal­heu­reux pro­ces­sus électoral qui se déroule tran­quille­ment dans son pays en 2010. C’est Mamounata Nikiema, avec son film Savoir raison garder. Visages léthar­gi­ques et peu convain­cus, lan­gues de bois, pro­cé­du­res alam­bi­quées et fas­ti­dieu­ses, cari­ca­tu­res de poli­ti­ciens véreux ou nar­cis­si­ques, de fonc­tion­nai­res mol­las­sons, de jeunes peu formés à la poli­ti­que. Rien n’échappe au regard sar­cas­ti­que de la jeune réa­li­sa­trice, dont le copro­duc­teur fran­çais, Dominique Goring (Des Vies des Hauts) expli­que qu’elle fit partie de la com­mis­sion électorale (la CNI), dans le passé. La dénon­cia­tion est sub­tile mais assu­mée. Après ce film qui conte la démo­cra­tie pour/par ceux qui n’y croient pas ou qui n’y ont pas droit, et qui semble vrai­ment ici un "truc de blancs" inu­ti­le­ment com­plexe, avec les cartes d’électeurs impri­mées par paquets mais que l’on ne par­vient pas à recen­ser ou que l’on se demande selon quels cri­tè­res attri­buer : il y a des dizai­nes d’Adama Traoré au nord du Burkina, com­ment éviter la fraude ?! Et si la carte d’électeur n’est pas com­plète que fait-on ?... Et ce mon­sieur qui porte un nom de femme sur sa carte d’électeur ?... Théatre de l’absurde et leçon de science poli­ti­que : le film est un véri­ta­ble manuel de l’appren­tis­sage des roua­ges de la démo­cra­tie.
Et puis, il n’y a pas de cam­pa­gne électorale et la réa­li­sa­trice se contente de livrer les résul­tats des élections : Blaise Compaoré : 80%. Le Fespaco pas­sera-t-il ce docu­men­taire d’une com­pa­triote ? Une élection pré­si­den­tielle comme un non-événement, mais dont le film laisse devi­ner le muse­lage de la société civile.

Caroline Pochon

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