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Sexe, gombo et beurre salé
Mahamat-Saleh Haroun
Publié le : vendredi 18 juillet 2008

Un film de Mahamat-Saleh Haroun, France, 2007, 81’

Synopsis

À l’heure où "plus belle la vie" cartonne sur France 3 tous les soirs en montrant la vie de quelques familles marseillaises, à l’heure où le cinéma africain de la grande époque, façon "Yeelen", semble peiner à trouver et son public et son financement, tandis qu’au Canada, la série déjantée "la petite mosquée dans la prairie" se taille un vrai succès, il semble que Mahamat Saleh Haroun ait pris son parti de s’amuser avec la comédie familiale, tendance téléfilm. Pour ce jeune talent tchadien, l’un des meilleurs auteurs de sa génération, connu de Clap Noir pour "Abouna" (2002) puis le très beau et épuré "Darratt" (2006), l’un passé par Cannes (quinzaine des réalisateurs), l’autre par Venise (prix spécial du jury), pas de honte à se frotter au genre dit populaire qui la comédie. Et en cela, il a été accompagné par Arte fiction, qui montre avec ce film sa capacité à donner une visibilité... aux minorités dites visibles en France, exigence désormais rabâchée aux chaînes de télévision françaises par les institutions cinématographiques. Et on peut facilement imaginer que ce film trouve en Afrique, grâce sans doute aux chaînes de télévision, un public, toujours avide de voir comment vivent en France les gens de la communauté. Film intelligent et nécessaire à ce double titre.

L’histoire se passe dans une ville française moyenne. On reconnait des endroits de Bordeaux. C’est celle de Malik, un retraité africain macho et traditionnaliste qui voit son monde s’écrouler quand sa femme Hortense, bien plus jeune, qui travaille comme infirmière (puissante Mata Gabin, qui n’est ici qu’un personnage plutôt secondaire), le quitte pour un Français, le laissant tout seul avec leurs deux petits garçons. Tout le monde va se mêler de son histoire : la concierge de son immeuble, cinquante ans, célibataire, avec qui s’instaure une grande relation de séduction ; son fils Dany, dont il découvre avec horreur qu’il est gay ; sa belle-soeur Mama Afoué, une imposante et envahissante "mama benz" qui débarque pour l’occasion de Côte d’Ivoire ; sans parler de Amina (la très charmante Aïssa Maïga vue déjà dans "Bamako" d’Abderrahmane Sissako et dans plusieurs films français), une jeune fille d’origine africaine qui a fui ses parents parce qu’elle est enceinte et qui vient trouver refuge chez lui, sur les conseils de Dany... Bref, l’histoire se règle en famille élargie, "à l’Africaine".

L’arrivée dans sa vie de la belle et mystérieuse Amina, de Myriam, la voisine trop seule, puis de Mama Affoué, sa belle-sœur qui débarque d’Abidjan, vont faire avancer les choses à grands pas.
Une comédie familiale dans les règles du genre, le film a repris et assumé toutes les formules. Portes qui claquent comme dans tout bon vaudeville. Personnages campés à la hache, dialogues toniques et vifs. Effusions sentimentales et réconciliations sur l’oreiller. Ton délibérément léger et optimiste. A la fin, morale de comédie oblige, Dany, le fils gay annonce à son père qu’il va épouser Amina car il a un désir de paternité. Le vieux Malik n’y voit que du feu et tout le monde est content ! Mais dans le registre de la comédie, on est resté assez conventionnel : trop sitcom et pas assez burlesque. Aidé de Marc Gautron (qui a collaboré notamment avec une autre cinéaste amoureuse de la comédie, Fanta Regina Nacro), et Isabelle Boni-Claverie, scénariste et cinéaste navigant entre France et Côte d’Ivoire, Mahamat-Saleh Haroun a peaufiné un scénario rigoureux et classique, mais sans surprise, sans magie, sans loufoquerie. La scène où Malik s’embobine de bande velpo pour s’introduire à l’hôpital et espionner sa femme est drôle et burlesque. Elle relève du pur gag. Dommage que ce ne soit qu’une ou deux tentatives et que le reste du film se déroule avec des scènes dans l’ensemble plus réalistes. La dimension sexe est aussi largement édulcorée par rapport à l’attente que réveille le titre. Notons tout de même l’une des meilleures scènes du film, dans laquelle on voit que l’on a affaire à un vrai cinéaste et non pas à une sitcom : la scène où Malik masse le pied de sa concierge et où l’on a l’impression de vivre un orgasme en direct. Certains dialogues sont drôles, comme lorsque tout le monde relève la prononciation de Malik qui n’arrive pas dire les "u" ou encore lorsque la cousine d’Afrique se met à boire du vin en se justifiant : "je suis une musulmane de gauche". On joue sur les "parlers" africains, les façons de dire, mais sans que l’on puisse retenir une vraie verve. Ce n’est ni déjanté, ni délirant, ni hilarant. L’ironie est là, mais elle pourrait être plus mordante. La sauce gombo est bonne, mais elle manque un peu de piment, dé.

L’Afrique en France : une vision soft des représentations sur l’Afrique, on en a retenu beaucoup, autour de la crise de la figure paternelle et de la famille élargie, mais sans vraiment les avoir transcendés. La critique sociale, qui est tout de même l’apanage de la comédie de moeurs, ne va pas très loin ici. Car si la problématique de Dany, entre homosexualité et paternité, est typiquement une problématique moderne et contemporaine, et si une épouse africaine quittant le domicile conjugal (laissant aussi ses enfants), pour vivre sa vie est un choix qui s’inscrit également dans une vraie modernité, pour le reste, on n’apprend rien de bien neuf sur la famille africaine.

Ceci dit, pour un public français, ce sont peut-être des choses peu connues à découvrir. Pour la plupart des personnages, on ne va pas beaucoup au delà de la sympathique caricature. C’est le cas pour le personnage principal, Malik (Marius Yelolo, au jeu très extériorisé, quasiment pantomime par moments), qui n’évolue que pour mieux se conforter au bout du compte dans ses certitudes. La cousine qui déboule et se mêle de tout est amusante et bien interprétée (Marie-Philomène Nga), mais elle n’est pas envisagée dans sa complexité (elle est très très envahissante !) : le côté négatif des personnages est gommé, ce qui les prive de relief. Certains personnages sont laissés pour compte dans ce récit polyphonique où chaque membre de la famille doit avoir sa place. C’est le cas de Hortense, la mère (Mata Gabin), dont on ne partage jamais les doutes, les conflits intérieurs ni la vie à deux avec un "Blanc", chose qui aurait pu être fort intéressante à creuser. De même, l’homosexualité de Dany n’est pas montrée. On en parle, point. Cette pudeur africaine est-elle totalement assumée ?
Si le film s’adresse à un public français, c’est un peu timide. Et il y a fort à gager qu’il y ait aussi une curiosité pour ces choses de la part d’une bonne partie du public africain. Enfin, la jeune fille mère jouée par Aïssa Maïga est toujours dans la réserve et la retenue, elle n’entre pas en conflit, elle est surtout jolie. Le statut des femmes africaines en France est montré de manière assez gentille, pas véritablement problématique. Par exemple, la question de la polygamie, pourtant soulevée à demi-mot par la présence de Amina chez Malik, est soigneusement non-abordée : encore un point polémique sur lequel on aurait pu attendre qu’un cinéaste africain en France ose donner un point de vue intelligent et moderne, au delà des préjugés. Malgré ces critiques, on a envie de saluer un cinéaste qui s’est risqué sur le terrain difficile de la comédie et qui a eu l’intelligence d’aborder un univers peu représenté au cinéma ou à la télévision, sauf de manière souvent stéréotypée et chargée de "messages" : l’Afrique en France. C’est sympa, c’est divertissant, c’est comme un feuilleton avec lequel on aimerait avoir rendez-vous pour connaître la suite. Pour autant, ce n’est pas un grand film, ni même un grand téléfilm - cela n’en a d’ailleurs pas l’ambition - . Espérons que c’est du moins un film qui ouvre une brèche, qui propose un chemin, celui de parler de l’Afrique en France autrement que de manière tragique ou socio-cucu, avec humour tout simplement.

Caroline Pochon

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