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Captivité intérieure
Publié le : mardi 26 février 2013
One man’s show - Fespaco 2013

Newton Aduaka, dans son dernier film One man’s show, atteint un degré de complicité avec son comédien Emile Abossolo Mbo qui en fait à l’écran son alter ego indiscutable. A travers le truchement d’une vie sentimentale compliquée et fragmentaire, le réalisateur nous emmène et nous perd dans les méandres de l’esprit de l’artiste... La création est-elle une liberté ?

Newton Aduaka signe avec One man’s show un film ellip­ti­que, cons­truit en vignet­tes qui s’assem­blent pour former en mosaï­que la fres­que d’un combat per­pé­tuel pour rester fidèle à soi-même... Si l’on retrouve du pré­cé­dent film du réa­li­sa­teur, - Ezra Etalon d’Or au Fespaco 2007 - un goût pour le flash-back et le récit par­cel­laire, le réa­li­sa­teur nous invite cette fois à un voyage exis­ten­tia­liste.
Le scé­na­rio se déploie de façon plus poé­ti­que que chro­no­lo­gi­que, fai­sant se répon­dre des mor­ceaux épars de sou­ve­nir et d’images pres­que abs­trai­tes selon un art habile du mon­tage qui réin­vente cons­tam­ment leur sens. Dans ce temps dilaté, écartelé, à la fois comme un spec­tre effrayant et comme les cha­pi­tres du Conte ultime, quatre inter­ti­tres vien­nent tracer le sque­lette de ce récit en quatre actes.
On ne se sur­pren­dra pas que le per­son­nage écartelé entre des vies paral­lè­les et des fan­tas­mes de lui même soit aussi... un acteur. La scène, le jeu, la créa­tion comme quête inin­ter­rom­pue de la liberté. Du pas qui se pose là où l’ins­tinct et la cons­cience le pous­sent, par­fois contre les mora­les ou les lois. S’agit-il de savoir où l’on veut arri­ver pour com­men­cer un chemin ? La convic­tion d’Emile est autre.
« La liberté n’est pas une des­ti­na­tion, enfant ! ». Emile souf­fre de ses len­de­mains incer­tains, mais serait-il encore un homme s’il renon­çait à sa quête ? Ou plutôt quel homme serait-il alors ? C’est le ques­tion­ne­ment qui sous-tend tout le film. Combien d’hommes un seul en ren­ferme-t-il ? Il est ici ques­tion d’Idéal et de fidé­lité, de men­songe et de déni. La beauté, la pureté des convic­tions incar­nées par Emile Abossolo qui s’offre sans rete­nue au réa­li­sa­teur est si mal­me­née par la réa­lité de sa condi­tion d’homme. Une vision pro­téi­forme et pes­si­miste du couple s’incarne en trois femmes et trois espa­ces comme autant de pos­si­bi­li­tés de vies à cons­truire qui sem­blent être vouées à l’échec, dans tous les cas. Emile refuse « l’amour bâti­ment ». Les his­toi­res se suc­cè­dent, errance sen­ti­men­tale aux consé­quen­ces par­fois désas­treu­ses comme se suc­cè­dent dans la lita­nie les pas qu’il faut faire dans la liberté et non vers elle.

Emile l’acteur, l’impro­vi­sa­teur est aussi le spec­ta­teur des films qui pas­sent dans sa tête et qui remet­tent cons­tam­ment en scène l’his­toire de sa vie, son par­cours. Les exté­rieurs, sauf en pré­sence de l’enfant, sont tou­jours le lieu de l’errance, de la tran­si­tion. L’homme évolue à l’inté­rieur, dans autant de petits espa­ces qui cloi­son­nent son exis­tence comme les com­po­san­tes de son être social. Père aimant qui com­mu­ni­que sur­tout son absence, amant atten­tif mais qui inflige les humi­lia­tions, acteur pas­sionné mais soli­taire.
En nous plon­geant dans l’intime, en prise immé­diate avec l’affect du per­son­nage, Newton Aduaka nous donne à sentir les bles­su­res d’un per­son­nage qu’on ima­gine immé­dia­te­ment comme un alter ego de l’auteur.
« C’est quoi la dif­fé­rence entre l’ima­gi­na­tion et la mémoire ? » l’inter­roge son fils, garçon de neuf ans en mal de pré­sence pater­nelle et qui pose sur son père l’acteur un regard plein de per­plexité. Le père pris de cours admet qu’il devra y réflé­chir et répon­dre la pro­chaine fois. Le projet vaut-il plus que l’accom­plis­se­ment ? Il peut fal­loir une vie d’homme pour trou­ver sa réponse. En atten­dant, il faut ali­men­ter le rêve, le glo­ri­fier, l’hono­rer comme les anciens savaient hono­rer les esprits. Se fier à lui pour vancer dans les ténè­bres s’il le faut, quels que soient les dan­gers qui se tapis­sent dans l’obs­cu­rité.
« Tu revien­dras, promis ? ». Dans l’absence de son père l’enfant a déjà fait face à tous ses démons, il a su com­pren­dre plus qu’Emile sera jamais capa­ble de mettre en mots.

Sophie Perrin

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