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« Le rôle d’un festival, c’est de prouver que le public est intéressé »
Publié le : vendredi 11 mai 2012
Interview de Gérard Le Chêne, président et directeur général international du festival Vues d’Afrique

Il rêvait d’être explorateur mais s’est finalement tourné vers le cinéma. Cinéaste et fondateur du festival Vues d’Afrique qui s’est tenu du 27 avril au 6 mai 2012, Gérard Le Chêne revient pour nous sur cet événement afro-caribbéen emblématique qui se tient tous les ans à Montréal depuis 1984.






Cette année, les quatre sec­tions com­pé­ti­ti­ves réu­nis­sent 84 films de fic­tion et docu­men­tai­res inter­na­tio­naux. Comment établissez-vous votre pro­gram­ma­tion ?

Gérard Le Chêne : Les caté­go­ries Fiction, Documentaire et Musicafrica sont inter­na­tio­na­les. Les films ont pour thé­ma­ti­que l’Afrique mais peu­vent venir de n’importe quel pays. J’espère que nous aurons bien­tôt des films chi­nois car ce serait logi­que (rires). La sec­tion Afrique connexion est pure­ment afri­caine, c’est à dire qu’il s’agit de films faits en Afrique pour le public afri­cain. Il y a des films et des séries. Nous sommes très contents parce que cela sus­cite beau­coup d’inté­rêt. Les gens aiment que ce soit des films avec une fac­ture dif­fé­rente, que le fran­çais soit parlé comme à Abidjan ou à Ouaga, sou­vent humo­ris­ti­ques avec une petite morale.

Comment vous orga­ni­sez-vous, outre-atlan­ti­que, pour faire votre sélec­tion tout au long de l’année ?

Gérard Le Chêne : Nous connais­sons les films dès leur ges­ta­tion. Nous sommes dans un réseau, le Conseil des fes­ti­vals jume­lés, qui est asso­cié avec le Fespaco, le Festival du film fran­co­phone de Namur, le fes­ti­val Quintessence du Bénin et d’autres fes­ti­vals au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, à La Réunion... Nous repé­rons assez vite les films en pré­pa­ra­tion, nous nous échangeons les infor­ma­tions et cela fonc­tionne très bien. Nous nous ren­dons chaque année dans une demi-dou­zaine de fes­ti­vals et dans le cadre du conseil des fes­ti­vals, nous nous invi­tons réci­pro­que­ment.

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Parmi les grands fes­ti­vals de ciné­mas d’Afrique dont vous faites partie, vous avez la par­ti­cu­la­rité d’inté­grer dans votre pro­gram­ma­tion les ciné­mas créo­les. Comment vous est venue l’idée de mélan­ger ces ciné­ma­to­gra­phies ?

Gérard Le Chêne : Je ne sais pas si c’est une par­ti­cu­la­rité. Pour nous, le créole s’est imposé parce que la com­mu­nauté noire d’ori­gine haï­tienne est la plus impor­tante ici. Il y a une proxi­mité lin­guis­ti­que aussi car - si l’on ne parle pas des dépar­te­ments fran­çais - ce sont les deux seuls pays fran­co­pho­nes d’Amérique. Comme la com­mu­nauté haï­tienne est nom­breuse et extra­ver­tie – la pre­mière vague, chas­sée par Duvallier, était intel­lec­tuelle, l’émigration économique est aujourd’hui chauf­feur de taxi, dans les médias... – le Québec est très tourné vers Haïti. Ce qui se passe là-bas fait la Une dans nos médias alors que c’est un entre­fi­let dans la presse fran­çaise. Le der­nier trem­ble­ment de terre a été, si je puis dire, une véri­ta­ble secousse ici. Le côté créole du fes­ti­val s’est donc imposé tout natu­rel­le­ment.

Vous avez d’ailleurs orga­nisé de nom­breu­ses pro­jec­tions en Haïti.

Gérard Le Chêne : Jusqu’à l’assas­si­nat de notre par­te­naire haï­tien [Jean Léopold Dominique, jour­na­liste à Radio Haïti-Inter, a été assas­siné le 3 avril 2000 pour ses cri­ti­ques viru­len­tes du parti Lavalas de Jean-Bertrand Aristide, ndlr], nous emme­nions chaque année quel­ques cinéas­tes afri­cains en Haïti. Pour eux, c’était extra­or­di­naire, c’était comme arri­ver en Afrique, l’odeur, la cui­sine, tout.

Vues d’Afrique est-il pré­senté dans d’autres salles du pays ?

Gérard Le Chêne : Oui, nous pro­je­tons des films à la Nouvelle Scène à Ottawa et au Musée de la civi­li­sa­tion de Québec. Les pro­gram­ma­teurs regar­dent ce que nous avons dans le cata­lo­gue et pio­chent les films qui les inté­res­sent, avec une pré­fé­rence pour les films dont le réa­li­sa­teur est pré­sent. Par exem­ple, cette année, le télé­film Toussaint Louverture a été dif­fusé à Québec et a connu un grand succès.

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Au bout de vingt-huit éditions, obser­vez-vous une évolution du public du fes­ti­val ?

Gérard Le Chêne : Je ne sais pas s’il y a vrai­ment eu une évolution. Ce n’est pas un fes­ti­val qui n’inté­resse que la com­mu­nauté d’ori­gine. Je dirai même qu’elle est mino­ri­taire – cela dépend des films – mais elle repré­sente envi­ron le tiers de notre public. Un bon deux-tiers n’est ni d’ori­gine afri­caine, ni créole, mais curieux, avec un appé­tit d’ouver­ture sur le monde. Un aspect carac­té­ris­ti­que du Québec est qu’il est mino­ri­taire d’un point de vue lin­guis­ti­que – fran­co­phone - en Amérique du Nord. Il aspire à com­mu­ni­quer avec la fran­co­pho­nie d’ailleurs et sortir d’un dia­lo­gue exclu­sif avec la France. Les fran­co­pho­nes d’Afrique sont donc un grand ballon d’oxy­gène.

Pour autant, cela ne vous empê­che pas de pro­gram­mer des films d’Afrique luso­phone, anglo­phone ou ara­bo­phone.

Gérard Le Chêne : Absolument. Mais his­to­ri­que­ment, le cinéma a sur­tout été très vivant en Afrique fran­co­phone car la France avait une poli­ti­que cultu­relle que n’avait pas l’Angleterre envers les pays anglo­pho­nes. Cela a donné un résul­tat inverse avec les télé­vi­sions. La télé­vi­sion anglo­phone a tou­jours été plus vivante que dans les pays fran­co­pho­nes où elle était d’Etat et moins dyna­mi­que. Par la force des choses, les films des pays fran­co­pho­nes sont pré­do­mi­nants dans notre pro­gram­ma­tion même si nous avons beau­coup de films du Maghreb, du Ghana, du Nigéria, du Kenya, de Tanzanie.

Participez vous d’une manière ou d’une autre à déve­lop­per les sor­ties cinéma ou DVD des films afri­cains et créo­les au Canada ?

Gérard Le Chêne : C’est quel­que chose que nous cher­chons vrai­ment, avec énormément d’énergie. Ce n’est pas facile et cela demande un effort conti­nuel. Nous sommes dans une situa­tion par­ti­cu­lière. Ici, les dis­tri­bu­teurs ne pren­nent de films que s’ils ont l’assu­rance qu’une chaîne de télé­vi­sion, même petite, les dif­fu­sera. Nous sommes hélas à une époque sans grande audace où les télé-réa­li­tés et les jeux télé­vi­sés pren­nent le dessus. Nous lut­tons depuis tou­jours contre la paresse des pro­gram­ma­teurs qui pen­sent que nos films n’inté­res­se­ront pas le public. Le rôle d’un fes­ti­val comme le nôtre - et de tout fes­ti­val qui connaît un succès public - c’est de prou­ver que ce n’est pas vrai et que le public est inté­ressé.

Propos recueillis par Claire Diao
Mai 2012

Lire Vues d’Afrique, une fenê­tre outre-atlan­ti­que
Lire le pal­ma­rès

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