Beauté sombre - mystique sérère
Publié le : jeudi 19 mars 2009
Ibrahima Mbaye comédien






Ibrahima Mbaye, on vous a aperçu dans L’absence de Mama Keita, on vous a vu jouer le retour du fils prodigue dans Les feux de Mansaré de Mansour Sora Wade et vous m’avez bouleversé dans Ramata de Alain-Léandre Baker.

C’est un grand honneur que la nature m’offre. Je n’appelle pas cela un hasard ou une coincidence, cela devait se passer comme ça. C’est trois films qui ont été faits dans la même période. C’est pour moi un défi. Je suis l’acteur le plus vu dans ce Fespaco, j’ai reçu beaucoup de critiques. Je suis dans ce métier depuis douze ou treize ans. Il me reste beaucoup à faire. Je ne suis pas pressé, je prendrai le temps qu’il faut.

Qu’est-ce qui vous a mené au jeu d’acteur ? Comment avez vous rencontré ces trois metteurs en scène ?

J’ai fait du théatre scolaire. Un metteur en scène m’a vu sur scène et m’a fait jouer dans son film. Après cette expérience, j’ai décidé de faire du théatre. J’ai trop senti ce que je faisais, j’ai adoré cette découverte, ce milieu avec des artistes qui créent quelque chose qui est un film. J’ai postulé à l’Ecole Nationale des Arts au Sénégal. J’ai été retenu et voilà, j’ai fait quatre ans d’études d’art dramatique et à ma sortie, j’ai gagné tout de suite la troupe nationale Daniel Sorano. Depuis, j’en fais partie. Au Sénégal, nous sommes une petite communauté d’artistes qui se donnent à fond pour le cinéma africain. Et d’un réalisateur à un autre, d’un film à un autre, les gens trouvent qu’ils peuvent travailler avec moi !...

Quelle est la relation que vous avez entretenue avec le personnage de Mathias, dans Les feux de Mansaré, de Mansour Sora Wade. C’est un homme dur, méchant. A aucun moment il ne revient sur son envie d’épouser cette femme, Nathalie, dont il n’est pas vraiment amoureux et dont il sait que son ami d’enfance est amoureux ?

Il y a d’abord l’histoire, qui est conçue par le réalisateur. A travers le personnage de Mathias, il y a des choses que j’ai découvertes : le mercenaire, le gars qui a reçu des influences négatives. Mansaré, c’est un village paisible, où chrétiens et musulmans habitent dans une parfaite harmonie. Le seul qui est sorti et qui a subi cette aventure d’être mercenaire, revient, avec un autre esprit, même s’il est natif de ce village. Il parle de Bosnie, de Libéria : cela veut tout dire. Si le personnage de Nathalie n’était plus au village, jamais Mathias ne serait revenu réclamer sa part du gâteau, n’est-ce pas !

Il y a cette rivalité entre les deux amis d’enfance, le noeud de l’histoire.

Bien sûr. Parce que ce sont deux sensibilités différentes. Ils ont grandi ensemble, ils ont fait les quatre cent coups ensemble comme on dit, mais Mathias est devenu un autre. Le personnage de Lamine, c’est un pur qui est resté au village, qui a une fonction d’instituteur, tout cela n’est pas gratuit. C’est l’homme idéal, quoi ! et c’est le martyr en même temps...

Dès que l’on voit arriver Mathias au village, on voit un personnage destructeur...

Carrément. Mais en même temps, Mathias est positif sur certains aspects. Son accolyte, Franck, c’est l’image du mauvais Blanc en Afrique, le magouilleur... Voilà que Mathias revient au village avec une certaine force et qu’il tient tête, cette fois-ci, à Franck, ce qui fait que Franck va prendre la fuite. Moi, je trouve ça bien !

Vous vous êtes senti à l’aise aussi bien dans le personnage de Mathias (dans Les feux de Mansaré) que dans celui de Ngor Ndong, dans Ramata ? Ce jeune voyou qui séduit "à l’arrache" une bourgeoise et qui disparait. Un saï-saï (un bandit)...

Je ne crois pas que Ngor Ndong soit un saï-saï. Dans cette histoire, il y a un fond. On a éliminé une scène de rêve où Ramata est acculée par des hommes-oiseaux, en rouge, qui lui rappellent qu’elle a tué le père de Ngor Ndong et que la vengeance s’impose. "Nous qui sommes saltigués - c’est à dire les esprits - de ce clan Sérère, de cette ethnie Sérère, dont Ngor Ndong est issu, nous allons nous venger". C’est une sorte d’hypnose. Si cette femme-là poursuite Ngor Ndong... Tu entres dans un taxi qui devait te déposer chez toi, qui fonce à toute allure et à un moment, s’arrête. Tu descends. Tu reviens. Plus fort encore, quand ils arrivent au Copa Cobana, la boîte, le bordel, c’est pas Ngor qui s’arrête... Elle le suit ! C’est l’Afrique, ça ! C’est le domaine mystique. Ah, oui. Elle le suit et c’est à partir de ce moment que tout est chamboulé. Ngor, ce n’est pas un saï-saï, c’est quelqu’un qui a une mission mystique, carrément.

On le voit comme quelqu’un de sombre, qui parle peu. C’est peut-être Ramata qui le met dans la position d’être un objet sexuel.

C’est après que l’on comprendra que ce n’était pas un objet sexuel, mais un personnage mystique, habité. Il a ce côté séducteur, mais son silence s’explique par le double aspect. Dans la culture sérère, il y a certaines choses auxquelles on ne touche pas. Je ne suis pas sérère, mais je les connais très bien. C’est injuste ! Tu es la femme du procureur général, tu tues un vieux, justice n’est pas faite. Heureusement qu’en Afrique, nous avons des moyens de garder l’équilibre !

Propos recueillis par Caroline pochon

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