Ramata, la loi du désir
Publié le : jeudi 19 mars 2009
Entretien avec Alain-Léandre Baker






Vous êtes un cinéaste qui vient du jeu d’acteur, vous avez travaillé avec Peter Brook. C’est votre premier long métrage. Pouvez vous retracer le chemin qui vous a amené jusqu’à Ramata ?

Le chemin qui m’amène à Ramata, c’est la volonté et la ténacité d’un producteur, Moctar Ba, avec qui j’avais fait un documentaire à Brazzaville, "Diogène à Brazzaville", il y a une quinzaine d’années. Je n’étais pas celui qui était envisagé au début pour faire ce film mais un moment, il est revenu vers moi et m’a dit : "est-ce que tu as assez de couilles pour faire ce film ?!". C’est donc un défi entre un producteur et un réalisateur.

Il s’agit de l’adaptation d’un roman ?

Le film est adapté d’un roman qui s’appelle Ramata, d’un auteur sénégalais - qui est un des meilleurs au Sénégal - Abasse Ndione. Le roman fait 500 pages. C’est un roman policier, un roman fleuve. On s’est affranchis du roman, on l’a condensé autour du personnage de Ramata.

Comment se passe une telle alchimie entre un producteur et un réalisateur ?

Le travail d’un réalisateur et d’un producteur, c’est d’arriver à raconter la même histoire. Moctar Ba m’avait donné une première version du scénario, adapté par le scénariste Miguel Machalski , qui est argentin. J’ai travaillé sur ce scénario pendant un an. On est arrivés à sortir de cette matière le principal, qui était l’histoire de cette femme.

Le film est donc un portrait de femme.

Ce qui m’importait, c’était de raconter la vie d’une femme, avec ses déboires, ses heurs et malheurs. C’est un film de femme. Cette femme qui se débat dans tout, qui est mariée depuis trente ans, qui a cinquante ans et qui souffre, parce qu’elle est une femme trophée, qu’elle est mariée à un ministre et qu’elle n’est pas heureuse. Ce qui m’a intéressé, c’est la lumière intérieure de cette femme. Et je pense que beaucoup de femmes en Afrique sont comme cela, dans le silence. Elles ne disent pas ce qu’elles souffrent, ce qu’elles ressentent. Ce qui m’a intéressé, c’est son regard, ce côté félin, qui montre qu’elle a du tempérament, du caractère. Elle n’a pas besoin de parler ou de crier. C’est un film avec beaucoup de silences.

C’est un film d’une certaine manière, féministe ?

D’une certaine manière !...

Ton expérience comme comédien te nourrit dans ce travail de direction d’acteur ?

Le cinéma, c’est avant tout les acteurs. Ce qui compte, c’est le regard, c’est le désir. On a pas besoin de beaucoup de dialogues. Ce qui m’intéresse, c’est la lumière intérieure, ce que chacun peut porter en lui, sans trop vouloir le dire. Je recherche la sincérité, la vérité. Je travaille beaucoup en amont avec les acteurs. Autour d’une table. On regarde des films, on parle. J’ai travaillé beaucoup avec eux avant le tournage, on a fait beaucoup de training. Ce qui m’intéresse chez les acteurs, c’est aller vers la sincérité, ce qu’ils ont à l’intérieur. Pas les apparats. Le jeu ne m’intéresse pas. Ma seule direction a été de dire aux acteurs : "ne jouez surtout pas".

Comment s’est passé le choix des comédiens ?

Je suis allé trois fois au Sénégal, j’ai rencontré beaucoup de comédiens. C’est le désir que chacun avait de faire ce film qui m’a plu. Et après, on a travaillé. Même quand l’acteur qui arrivait n’avait pas d’expérience, je disais "on va travailler, on va y arriver", à coup d’explications... Certains comédiens du film ne sont pas des professionnels. Il y a aussi dans le film des comédiens qui viennent du théatre national Sorano. Ils sont théatraux, donc il y a des tics, il fallait arriver à casser leurs tics, les amener à quelque chose de plus simple, de plus naturel. J’avais déjà travaillé avec Ibrahima Mbaye, qui interprète le personnage de Ngor Ndong.

Avec Katoucha, comment cela s’est-il passé ?

Katoucha, c’était l’évidence même. Au départ, personne n’y croyait, parce qu’elle n’est pas comédienne (c’est une mannequin top model). Je l’ai vue plusieurs fois. On a mis plus d’un an à se mettre d’accord. Puis, elle a lu le scénario et elle a dit oui, je vais le faire. Après, on a travaillé.

La dimension tragique de son destin dans le film est d’autant plus émouvante, lorsqu’on sait qu’elle a disparu tragiquement, peu de temps après la fin du tournage du film.

Je n’ose pas en parler. Cela, ce n’est pas de la mise en scène, c’est le destin. Le sujet du film, c’est le destin d’une femme et ce qui s’est produit, c’est qu’elle nous a quittés, alors qu’on ne s’y attendait pas du tout. Je ne sais pas quoi dire... C’est le destin.

Et les choix de réalisation ?

Chaque histoire impose son rythme, son cadre, sa lumière. Ce n’est pas le fait du hasard. C’est un film fait avec peu de moyens, il fallait aller au plus simple. Pour moi, c’est encore une fois l’acteur qui est au centre du dispositif. Qu’il soit de dos, de profil, comment on attend qu’il se produise quelque chose. C’est un film qui est tourné comme cela. Il faut attendre, il va peut-être se produire quelque chose, on ne sait pas quoi, même s’il ne se produit rien... - c’est peut-être cela, l’image. C’est juste être là, attendre que cela se produise.

Revenons sur le scénario... Comment se sont faits les choix d’écriture ? Comment s’est passée l’adaptation ?

Il y avait une première version du scénario. On est repartis sur d’autres bases. Le roman est un thriller, un roman policier. On s’est demandé quelle matière nous intéressait. Et pour moi, la seule matière, c’était elle. On s’est beaucoup affranchis du roman, c’est une adaptation libre. Et il y a encore d’autres adaptations possibles du Roman. Carmen a été adapté de nombreuses fois. J’espère que d’autres s’en empareront.
On a travaillé quatre ans. C’est le temps qu’il a fallu pour que l’histoire s’arrache d’elle-même pour se livrer aux autres. Cela peut prendre un an, dix ans. Dans le cas de Ramata, cela a été quatre ans. Il n’est pas dit que sept ans plus tard, cela aurait été possible.

L’adaptation s’est centrée sur la psychologie féminine, en laissant de côté la dimension policière et masculine qui est présente dans l’univers de Abass Ndione. Pour prendre une comparaison, on est plus chez Bergman que chez Scorsese ?

Vous me flattez ! Cette femme porte tout en elle. Elle est comme une terre craquelée qui attend la pluie. Je ne peux pas en dire plus. Le côté polar du roman, - c’est un roman fleuve - est très intéressant mais cela me perdait. Le plus important, était-ce de raconter tout ce qui se passe, avec les flics, les tueries ? J’ai pris le parti de dire que cette femme portait tout cela en elle. Elle n’a pas besoin de le dire, de le clamer. Juste en la regardant, on comprend qu’elle est intrigante, qu’elle intrigue. Pour moi, c’est l’histoire du fatum, du destin. Cette femme sort de la paysannerie, elle rencontre cet homme riche, ils finissent par se marier, c’est une histoire d’amour. Sauf qu’à un moment, il se produit quelque chose et cette chose va la poursuivre toute sa vie. Elle n’est pas préparée à cela, qui la rattrape à la faveur d’une histoire d’amour, avec un jeune homme qui sort de prison, qui va être le révalateur du destin tragique de cette femme.

Le film est construit comme une sorte de coup de foudre orgasmique... suivi d’une chute, avec une intensité forte au début et un deuil, une perte, une chute ensuite. On passe aussi de la nuit au jour.

C’est la vie, cela. La nuit, le jour.

J’ai trouvé cela, cette syncope, très sénégalaise ! C’est un film très sénégalais, pour un cinéaste congolais !

C’est une histoire sénégalaise, c’est un film qui se passe au Sénégal, avec des acteurs sénégalais, des décors sénégalais. La production est sénégalaise, le financement est sénégalais ! C’est quelque chose de bien ancré dans le Sénégal.

Le tournage au Sénégal s’est bien passé ?

Très bien, avec une équipe magnifique, très fraternelle. Pour moi qui suis un homme de théatre, il y avait du compagnonnage. C’est à peine si on ne bivouaquait pas tous ensemble. L’équipe était principalement sénégalaise, avec une comédienne guinéenne, une maquilleuse gabonaise, un chef opérateur français, et un réalisateur congolais. Cela a été pour moi un bel exemple de panafricanisme. Le film existe. Qu’il soit sénégalais ou congolais ! Pour moi, c’est un film sénégalais parce qu’il est produit au Sénégal et par le Sénégal. La question n’est pas là. La question est : savons nous, ensemble, raconter nos histoires ? Cela a été le cas avec Ramata. On a tous été d’accord sur l’histoire que l’on a voulu raconter.

Comment s’est passé la collaboration avec le musicien Wasis Diop ?

Il a accompagné le film. Il a regardé un premier montage. Ce que j’aime dans sa musique, c’est qu’elle n’est pas illustrative. Un regard peut être musical. Quelle musique pour accompagner un point de vue ? Du piano, du tam-tam ? Wasis a fait ce travail d’accompagner le film sans trop d’a prioris.

C’est audacieux de parler ainsi du désir et du plaisir féminin ici, où l’on a aborde peu ce thème avec une posture si moderne, en étant dans leur intériorité, par rapport au contexte d’un festival de cinéma africain en tout cas.

En Afrique, on est tiraillé entre tradition et modernité. Parfois, quand on veut entrer dans la modernité, la tradition nous rattrape. Ou alors, on se replie sur la tradition pour se cacher de la modernité. Je pense que pour toutes les femmes africaines, - toutes les femmes du monde -, ce qui compte, c’est le désir. Quand on est brûlée par le feu du désir, on ne peut pas faire autrement ! Comment raconter cela ? Cela passe parfois par le regard, puis une mélancolie, de joie... Pour cette femme, Ramata, une femme trophée, une femme qu’on exhibe, son mari est ministre et elle est très belle - mais elle a été oubliée...

C’est peut-être l’usure du couple. Pourquoi le démon de midi n’arriverait-il qu’aux hommes ? Mais le désir la place dans une situation tragique...

Son désir pour ce jeune homme aurait pu être très banal... mais cette femme dans sa jeunesse a fait une erreur. Un homme est mort. Elle tombe amoureuse d’un jeune homme qui ne vient pas régler ses comptes, c’est le destin qui s’en charge. Comme pour dire à cette femme : "tu as fait cela un jour, il faut que tu paies." Ce qu’elle paie, c’est son désir pour cet homme qu’elle attend.

On peut lire l’histoire comme une rencontre charnelle ou y voir un récit tragique, au sens grec du terme.

Oui, c’est une tragédie grecque. Dans le pays Serère au Sénégal, il y a des similitudes avec la tragédie grecque. Il y a des choses qui sont universelles. Elle vient de la classe pauvre et c’est une femme qui s’ennuie. Elle est arrogante. Ce n’est pas parce qu’elle est riche, c’est qu’elle est dans un carcan. C’est une femme seule, qui aimerait être avec les autres. Elle ne veut plus être seule. Et le destin la rattrape.

Propos recueillis par Caroline Pochon

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