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Echos de Ouaga
Publié le : lundi 3 septembre 2007






Avril à Ouaga. Le prochain Fespaco est en février 2009. Encore vingt deux mois, le bout du monde ! La période la plus chaude, des pointes à 45°, pas beaucoup plus frais la nuit.

Le Ciné Burkina est à nouveau fermé mais c’est pour la bonne cause : on y termine les travaux interrompus pendant le Fespaco. Le Neerwaya, le C.C.F. et l’Oubri ont repris leur programmation habituelle. Loin du centre ville, dans le secteur 29, le cinéma Emergences de Wentenga projette des films d’Henri Duparc. Une grande salle de 1200 places à ciel ouvert, datant de la révolution. Sankara en avait fait construire plusieurs de la sorte dans les quartiers excentrés de la capitale.

Le documentariste Jean-Marie Téno, revient à Ouaga pour tourner dans le quartier de la cathédrale qu’il a découvert pendant le Fespaco. Dernier bastion échappé à la destruction des vieux quartiers du centre. Au milieu des terrains rasés par les pelleteuses, où commencent à pousser des hôtels 4 étoiles et d’orgueilleuses banques, persiste le marché Oscar Yaar autour duquel un petit monde se bat pour le quotidien. Au détour d’une rue de terre rouge, un vidéo club, baptisé ciné-club par son gérant. Le réalisateur veut en savoir plus.

Que représente le cinéma aujourd’hui en Afrique de l’ouest quand on a pas d’argent, pas de travail, et bientôt plus de maison ?

Téno s’est installé dans le quartier et, accompagné de Crystel Fournier, une chef opérateur rompue aux tournages africains, il explore la rue…mètre après mètre. Sol de terre rouge, baraques de tôle. La boutique de Jules César fabricant de djembés, le précaire bazar de Souleyman, le bistrot tenu par les filles, le stand de Fabio Capello, réparateur de mobylettes, le portail rouillé sur lequel Blaise, l’écrivain public sans boutique ni client trace chaque jour une maxime à la craie. Pour finir au ciné-club de Bouba. Pendant 10 jours, il suit la fabrication des djembés, écoute Jules César raconter inlassablement sa vision du monde, interroge les passants, les habitués, les clients. Filme Bouba priant avec ses amis dans le ciné, invitant ses voisins au thé, longue préparation favorable aux palabres, recevant son fournisseur de DVD, choisissant, essayant, programmant et affichant des films….tous piratés. Quatre séances par jour, prix d’entrée 50 FCFA.

Les spectateurs ? Les gens du quartier, des hommes en majorité. Ils aiment les films d’action, japonais, US, d’horreur, karaté, science fiction etc… Du bruit et de la fureur, que ça réveille, que ça bouge ! Et c’est la bonne saison, trop chaud pour dormir..

Un soir, on passe Yaaba et, surprise, le réalisateur, Idrissa Ouedraogo lui même, invité par Jean-Marie Téno vient saluer Bouba et le public. « J’ai déjà vu ce film vu 10 fois » (dit un jeune homme.).

En face des productions internationales ou même nationales programmées dans les salles officielles de la capitale, il y a-t-il une alternative et à quel prix ? Entre un billet d’entrée à 1000, 500, voire 300 et un autre à 50CFCA, quelle est la différence du produit ? A qui s’adressent les images ici ? Et quelles images ? Qui les distribue ? Et que représentent-elles pour les spectateurs ?

Il y a à Ouaga, 300 vidéoclubs, tous dans l’illégalité. Une fois réglés la location du ciné, l’électricité, les condiments pour la famille etc. pas les moyens de payer le moindre droit. Les textes règlementaires existent pourtant mais personne ne s’en sent de les faire appliquer.

Et s’il fallait en passer par là pour que le cinéma retrouve un public ?

En question, les réseaux internationaux de trafic, les productions sauvages made in Nigeria, qui inondent le marché, et toutes les initiatives parallèles générées par l’arrivée du numérique, les DVD moins chers, Internet à la portée de tous.

Jean-Marie Teno poursuit sa recherche, interroge Idrissa Ouedraogo : « Il y a, dit celui-ci, actuellement une énorme demande populaire, et pas passez de production africaine classique à proposer. Nous devons réagir, les italiens ont eu le néo-réalisme, les français la nouvelle vague c’est une question de survie, qu’importe le support, il faut adapter les ambitions aux moyens, arrêtons de penser que l’art est au dessus du quotidien ! Si les élites se coupent de tout, c’est la mort programmée du cinéma .Le problème de distribution est énorme, les réalisateurs mettent leurs œuvres sur Internet juste pour qu’ils soient vus »

En visite aux Films du Dromadaire, chez Boubacar Diallo. Son dernier film, Code Phoénix, qu’il a dû faire kinescoper à ses frais pour le présenter au Fespaco, l’a mis sur la paille. Et pourtant l’équipe s’apprête à tourner sa 7 ème fiction. Sans budget pour le moment. Une troupe à la Molière , chaque acteur assumant sa partie technique, qui cuisinier, qui régisseur, qui commercial…qui cherche des financements auprès de bailleurs de fonds locaux.

En utilisant le numérique, et réfléchissant aux attentes des spectateurs d’aujourd’hui, Diallo a rencontré son public.

« C’est un public de ville qu’il faut fidéliser. Changer les habitudes de programmation, en gardant les films africains tant qu’il y a du monde dans les salle, on est arrivés à renverser la tendance, les films africains font plus d’entrée que les films made in USA. »

Que pense-t-il des vidéoclubs ? « Nous les tolérons, ils ont une clientèle de proximité et une économie si précaire qu’on ne peut pas y toucher mais il faudrait que les gérants des vidéoclubs se groupent en association et se rapprochent des distributeurs, nous, les professionnels, nous pourrions les accompagner et tenter une gestion du secteur informel généré par la piraterie. »

« Et puis, ils touchent plutôt une clientèle de home cinéma qui ne peut pas se payer le home cinéma, pour subsister, ils doivent même retransmettre les matches de foot. On a le droit de choisir son public… »

Dernière visite chez Savane Communication. Le patron, réalisateur autodidacte Zidnaba ( Zida Boubacar) nous y reçoit. C’est dimanche, il travaille, comme tous les jours de 4heures du matin à 23 heures. « Oui, j’ai le temps de m’occuper de ma famille » !! Il écrit, à deux doigts, le scénario de son prochain film .Il s’est mis à la réalisation comme il avait décidé de faire de la radio. Ses feuilletons radio, en particulier « La Cité des Singes » rencontraient un beau succès, il s’est lancé. La série « La Cité Pourrie » réalisée sur ses fonds propres en 13 épisodes en 2003, a été suivie en 2005 d’un long métrage « Ouaga Zoodo », grand succès. « Math et la Tueuse » et « Wibdo, le Sacrilège » ont suivi. Le dernier fait un tabac. L’histoire d’une très jeune mère qui abandonne son fils et en tombe amoureuse 20 plus tard emballe le public. Œdipe pas mort ! Pour son prochain film il s’attaque à la polygamie.

Il déplore le fonctionnement sauvage des vidéoclubs qui projettent des copies sans lien avec les réalisateurs et constate qu’il ne faut plus imiter l’Occident, « car nous l’imitons mal. Moi, j’essaie de faire quelque chose qui va rester après moi. »

Pour se changer les idées, nous allons revoir « Bal Poussière » au Wentenga. A tout casser 30 personnes dans la salle de 1200 places. (prix d’entrée 300F ) ; « C’est que ce soir, nous avons de la concurrence, dit le gérant : Chelsea/Liverpool » et d’ailleurs, Bouba, pas fou, a remplacé son film par le match de foot dans son ciné-club, lui aussi, faut bien vivre !

Le lendemain, chez une copine. Passe un monsieur bien habillé. « Ah ! Mon ami ! dit Agathe, que me portes-tu aujourd’hui ? » « J’en ai une centaine… » De quoi ? « Mais de films, Tidian est le champion d’internet ! Donne nous quelques titres ! » Et il énumère, tous américains, et récents, bien sûr. « Et des films français ? » j’ose demander … « Oh non, aucun, ici les gens trouvent que ça parle trop » et, se ravisant, il rajoute, pour me faire plaisir « Ah, si, il y en a un qui marche bien ! » « Lequel ? » « Plus belle la vie ». Voilà, gros chantier !

Si d’aventure de passage à Ouaga vous cherchez le cinéma Emergences de Wentenga, indiquez au taxi le studio Abazon, c’est en face, et le Q.G. de Smokey, un rappeur plein de talents et bien connu. Il y produit ses disques et ceux des autres, à peu près 90/100 de la production du Burkina. Espace culturel, studio, salle de spectacles ouverte, expo, conférences, bar et restau. Un des meilleurs endroits du coin. Et un sacré bonhomme qui se bat avec ses mots et sa tête.

Allez à bientôt

Michèle Solle

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