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La résistible ascension de Moïse Katumbi
Publié le : mercredi 30 janvier 2013
FIPA 2013 : Moïse Takumbi, foot, business & politique de Thierry Michel

Quelques mois après avoir été expulsé de la République Démocratique du Congo, par un gou­ver­ne­ment fâché par son der­nier docu­men­taire - l’Affaire Chebeya, un crime d’état ? - , Thierry Michel réci­dive. Il campe le por­trait d’un per­son­nage à l’avenir pro­met­teur, Moïse Katumbi, à ce jour, encore gou­ver­neur du Katanga. Success story d’un out­si­der, conju­guant tous les attri­buts du héros moderne et dont la tra­jec­toire nous est contée sous forme d’épopée en trois actes..

Prologue, l’arri­vée du Messie : année 2006, République Démocratique du Congo, pro­vince du Katanga, région la plus riche de l’Afrique, où le peuple vit très mal. Les mines de cuivre, cobalt, zinc, or et ura­nium qui cou­vrent la pres­que tota­lité du pay­sage sont aux mains de mul­ti­na­tio­na­les étrangères et de pro­prié­tai­res privés. Un homme fait cam­pa­gne, coiffé d’un stet­son. Il est sédui­sant, jeune, fier, géné­reux, sym­pa­thi­que et beau par­leur. Richissime pro­prié­taire de grou­pes miniers et célè­bre direc­teur du Tout Puissant Mazembé, le légen­daire club de foot de Lumumbashi qu’il a mené à la gloire, il brigue la place de gou­ver­neur de la pro­vince. Sa cam­pa­gne est une pro­me­nade de santé. Promesses, sou­ri­res, bonnes paro­les et dis­tri­bu­tion de billets.

Acte 1 : l’état de grâce
Élu à la majo­rité abso­lue, il prend les affai­res en mains tout en culti­vant sa légende de self made man, métis de père juif ita­lien exilé et de mère congo­laise. Devant son grand bateau blanc, il raconte son père pêcheur qui l’initie, ses pre­miers sous gagnés, grâce au pois­son, à treize ans et, très vite, l’argent qui fait magi­que­ment la culbute... Il n’est pas issu de la classe poli­ti­que, ni intel­lec­tuelle. Il est si riche qu’il n’aura pas à piller l’état.
Son credo ? Rien n’est impos­si­ble. Sa méthode ? Faire et faire savoir. On le voit par­tout au volant de son 4X4. Gros coup à Kusumbalesa, poste fron­tière stra­té­gi­que avec la Zambie. Des doua­niers reconnais­sent sans émotion l’énorme fraude per­pé­trée par les mafias : une perte quo­ti­dienne esti­mée à 20 mil­lions de dol­lars soit le double du budget de l’Etat. Katumbi fait arrê­ter 150 camions en un jour, ordonne des amen­des. Autre point sen­si­ble : les creu­seurs. Les pro­prié­tai­res miniers veu­lent les rem­pla­cer par des machi­nes ? Katumbi va y mettre bon ordre, ainsi que refaire les routes, four­nir l’eau et l’électricité à tous. La région res­pire, c’est homme est l’envoyé de Dieu !

Acte 2 : l’exer­cice du pou­voir
Dans cette course en avant, la visite du pré­si­dent Joseph Kabila sonne comme un rappel à l’ordre. Officiellement alliés, les deux hommes ne peu­vent mon­trer leurs dis­sen­sions, mais, à tra­vers les images lisses, suinte un avenir lourd de mena­ces. Des voix s’élèvent. Moïse se fait des enne­mis dans son propre parti. On l’accuse de res­tau­rer le sys­tème pater­na­liste. La cour des comp­tes se plaint d’opa­cité. Un jeune écrivain qui enquê­tait sur le fonc­tion­ne­ment de Katumbi est obligé de s’exiler. L’équipe de Mazembé s’est dotée d’un bel avion de 200 places ? D’où vient l’argent ?

Acte 3 : la croi­sée des che­mins
Voilà que son ancien allié et avocat Jean Claude Muyambo l’accuse de concus­sion, une milice vient dans la nuit détruire sa maison. Le club Mazemba est convaincu de fraude et dis­qua­li­fié de la ligue des Champions. Katumbi ne peut s’oppo­ser aux mul­ti­na­tio­na­les qui chas­sent défi­ni­ti­ve­ment les creu­seurs... Alors, habile manœu­vre ou réel décou­ra­ge­ment ? Il fait paraî­tre dans Jeune Afrique, son tes­ta­ment poli­ti­que : « Je ne me repré­sen­te­rai pas, ce sera mon seul mandat... » Une puis­sante Initiative Populaire contre le retrait de Moïse Katumbi de la vie poli­ti­que enflamme le pays, rani­mant sou­dain la fer­veur du peuple qui l’adoube à nou­veau. Aux der­niè­res nou­vel­les, il se repré­sen­tera bien en 2013.

La fin nous prend en plein vol... Katumbi n’est pas Mobutu, et le sus­pense reste entier : qu’advien­dra-t-il du super héros des temps moder­nes ? Ce demi-blanc tout puis­sant par­vien­dra-t-il à la tête de l’état ? Volera-t-il le pou­voir à Kabila ? Se désin­té­grera-t-il en vol ?
Six ans de com­pa­gnon­nage visuel avec un tel per­son­nage s’arrê­tent brus­que­ment. On par­ta­ge­rait pres­que le regret que l’on sent poin­dre devant la perte d’un sujet d’excep­tion : « Je me suis un peu cen­suré, reconnaît Thierry Michel, je refuse l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion de mon film par l’une ou l’autre des par­ties. »

Quoiqu’il en soit, et peut-être pour cette raison, le film, ni hagio­gra­phie, ni por­trait à charge, se situe à l’exacte dis­tance d’obser­va­tion du docu­men­taire ani­ma­lier. La caméra ne quitte pas son sujet, tourne autour, l’ama­doue dans une volonté de cap­ta­tion exhaus­tive qui touche à la fas­ci­na­tion. L’animal est impré­vi­si­ble et le public est aux aguets. Un rien ferait fuir le fauve, un souf­fle le ferait atta­quer. Et c’est en état de manque que nous lais­sons Moïse Katumbi à son destin et Thierry Michel à son exer­cice d’ento­mo­lo­gie poli­ti­que.

Michèle Solle

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