Quelques mois après avoir été expulsé de la République Démocratique du Congo, par un gouvernement fâché par son dernier documentaire - l’Affaire Chebeya, un crime d’état ? - , Thierry Michel récidive. Il campe le portrait d’un personnage à l’avenir prometteur, Moïse Katumbi, à ce jour, encore gouverneur du Katanga. Success story d’un outsider, conjuguant tous les attributs du héros moderne et dont la trajectoire nous est contée sous forme d’épopée en trois actes..
Prologue, l’arrivée du Messie : année 2006, République Démocratique du Congo, province du Katanga, région la plus riche de l’Afrique, où le peuple vit très mal. Les mines de cuivre, cobalt, zinc, or et uranium qui couvrent la presque totalité du paysage sont aux mains de multinationales étrangères et de propriétaires privés. Un homme fait campagne, coiffé d’un stetson. Il est séduisant, jeune, fier, généreux, sympathique et beau parleur. Richissime propriétaire de groupes miniers et célèbre directeur du Tout Puissant Mazembé, le légendaire club de foot de Lumumbashi qu’il a mené à la gloire, il brigue la place de gouverneur de la province. Sa campagne est une promenade de santé. Promesses, sourires, bonnes paroles et distribution de billets.
Acte 1 : l’état de grâce
Élu à la majorité absolue, il prend les affaires en mains tout en cultivant sa légende de self made man, métis de père juif italien exilé et de mère congolaise. Devant son grand bateau blanc, il raconte son père pêcheur qui l’initie, ses premiers sous gagnés, grâce au poisson, à treize ans et, très vite, l’argent qui fait magiquement la culbute... Il n’est pas issu de la classe politique, ni intellectuelle. Il est si riche qu’il n’aura pas à piller l’état.
Son credo ? Rien n’est impossible. Sa méthode ? Faire et faire savoir. On le voit partout au volant de son 4X4. Gros coup à Kusumbalesa, poste frontière stratégique avec la Zambie. Des douaniers reconnaissent sans émotion l’énorme fraude perpétrée par les mafias : une perte quotidienne estimée à 20 millions de dollars soit le double du budget de l’Etat. Katumbi fait arrêter 150 camions en un jour, ordonne des amendes. Autre point sensible : les creuseurs. Les propriétaires miniers veulent les remplacer par des machines ? Katumbi va y mettre bon ordre, ainsi que refaire les routes, fournir l’eau et l’électricité à tous. La région respire, c’est homme est l’envoyé de Dieu !
Acte 2 : l’exercice du pouvoir
Dans cette course en avant, la visite du président Joseph Kabila sonne comme un rappel à l’ordre. Officiellement alliés, les deux hommes ne peuvent montrer leurs dissensions, mais, à travers les images lisses, suinte un avenir lourd de menaces. Des voix s’élèvent. Moïse se fait des ennemis dans son propre parti. On l’accuse de restaurer le système paternaliste. La cour des comptes se plaint d’opacité. Un jeune écrivain qui enquêtait sur le fonctionnement de Katumbi est obligé de s’exiler. L’équipe de Mazembé s’est dotée d’un bel avion de 200 places ? D’où vient l’argent ?
Acte 3 : la croisée des chemins
Voilà que son ancien allié et avocat Jean Claude Muyambo l’accuse de concussion, une milice vient dans la nuit détruire sa maison. Le club Mazemba est convaincu de fraude et disqualifié de la ligue des Champions. Katumbi ne peut s’opposer aux multinationales qui chassent définitivement les creuseurs... Alors, habile manœuvre ou réel découragement ? Il fait paraître dans Jeune Afrique, son testament politique : « Je ne me représenterai pas, ce sera mon seul mandat... » Une puissante Initiative Populaire contre le retrait de Moïse Katumbi de la vie politique enflamme le pays, ranimant soudain la ferveur du peuple qui l’adoube à nouveau. Aux dernières nouvelles, il se représentera bien en 2013.
La fin nous prend en plein vol... Katumbi n’est pas Mobutu, et le suspense reste entier : qu’adviendra-t-il du super héros des temps modernes ? Ce demi-blanc tout puissant parviendra-t-il à la tête de l’état ? Volera-t-il le pouvoir à Kabila ? Se désintégrera-t-il en vol ?
Six ans de compagnonnage visuel avec un tel personnage s’arrêtent brusquement. On partagerait presque le regret que l’on sent poindre devant la perte d’un sujet d’exception : « Je me suis un peu censuré, reconnaît Thierry Michel, je refuse l’instrumentalisation de mon film par l’une ou l’autre des parties. »
Quoiqu’il en soit, et peut-être pour cette raison, le film, ni hagiographie, ni portrait à charge, se situe à l’exacte distance d’observation du documentaire animalier. La caméra ne quitte pas son sujet, tourne autour, l’amadoue dans une volonté de captation exhaustive qui touche à la fascination. L’animal est imprévisible et le public est aux aguets. Un rien ferait fuir le fauve, un souffle le ferait attaquer. Et c’est en état de manque que nous laissons Moïse Katumbi à son destin et Thierry Michel à son exercice d’entomologie politique.
Michèle Solle
Clap Noir
Association Clap Noir
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