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Anciens combattants, et leurs enfants ?
Publié le : dimanche 6 mars 2011
Fespaco 2011



Autour de Indochine, sur les traces d’une mère
Idrissou Mora-Kpai




Anciens combattants ! comme chantait Zao. Anciens combattants cette année sur nos écrans documentaires à Ouagadougou. On ne peut penser aux anciens combattants, aux tirailleurs et à la Force Noire sans penser au film de Sembène Ousmane, Camp de Thiaroye, qui compte le massacre après la mutinerie, de retour à la garnison du camp de Thiaroye. On aurait aimé voir sur les écrans de la capitale du pays des hommes intègres ce film honni de la censure française. Fort heureusement, nous en redécouvrons quelques extraits dans Le docker noir, joli portrait du cinéaste Sembène Ousmane dressé par la documentariste algérienne Fatma-Zohra Zamoun. L’extrait ne montre pas la mutinerie et le terrible massacre perpétré au camp de Thiaroye à la fin de la guerre de 39-45 mais l’évoque tout de même avec justesse.

L’Indochine, en creux, est présente aussi au détour des fictions. Dans Hors la loi, le très puissant film de Rachid Bouchareb qui conte l’histoire du FLN à Paris à la fin des années cinquante, on trouve un personnage qui revient de l’Indochine. Dans quelques plans, l’on voit des soldats africains en garnison, image à laquelle se surimpose, au son, le haut parleur de la propagande Viet Minh pour l’émancipation et l’incitation à rompre les rangs. Dans ce plan, le cinéaste montre une certaine passivité, avant de passer à la lutte armée du peuple algérien. Mais dans Pégase également, belle fiction du marocain Mohamed Mouftakir, il est également question d’hommes qui partent pour une guerre "qu’on ne nomme pas mais dont on ne revient pas"... Bref, l’ombre des guerres coloniales plane. Mais la parole n’a pas été donnée à ceux qui les ont vécues.

Tirailleur Marc Gueye, Ma plume mon combat, la sénégalaise Mariama Sylla Faye a suivi l’un d’eux, vieillard au sourire gentil, pendant 52 minutes un peu languissantes. On peut saluer la volonté de faire oeuvre de mémoire, avant que, comme le dit l’un des personnages de son film, "la génération de 14-18, celle de 39-45 et enfin celle de l’Indochine" ne meure en emportant ses souvenirs. On a parlé ces dernières années de la différence de pension entre les Africains et les Français (comme le rappelle le documentaire, le rapport est de 1 à 7, quand la pension est versée). Le papi sympathique qui attendait sa pension dans Tasuma de Daniel Kollo Sanou en 2006 fait place à une blessure plus profonde. Il a fallu le talent d’Idrissou Mora-Kpai, le réalisateur béninois du déjà fort remarqué Arlit, en 2005, pour faire émerger cette page d’Histoire sans flonflons et sans langue de bois. Il renoue avec le Cabascabo inaugural du cinéma africain, ce film d’Oumarou Ganda qui racontait, en 1969, l’histoire d’un soldat de l’Indochine - qui revenait dans son village et se retrouvait perdu - et inscrit son film dans une grande tradition documentaire.

Embrassant à bras le corps sa thématique, tramant tout aussi bien sa charge émotionnelle que ses enjeux politiques, le réalisateur béninois a réussi, fait rare, à pénétrer dans l’intimité des hommes. Ces guerriers que tous disaient courageux, il les démasque en leur donnant la parole ; une parole qui, comme le rappelle le cinéaste, leur a toujours été confisquée par les discours officiels, - ceux de leurs supérieurs hiérarchiques ou plus tard ceux des historiens. Et voilà le récit bouleversant de la page d’Histoire manquante. Celle des soldats maliens, sénégalais, dahoméens comme on disait encore, nigériens, ghanéens qui sont allés se battre en Indochine contre le premier mouvement anti-colonial du XXème siècle : le Viet Minh.

L’eau du temps qui s’écoule est présente dans le film, qu’elle soit celle du fleuve Mékong que l’on suit paisiblement ou qu’il s’agisse de l’atlantique qui abreuve les côtes africaines, pourtant le passé fait toujours mal. A l’image, dans une nature luxuriante, la route qui sépara en deux le Vietnam nord et le Vietnam sud, les rebelle menés par Hô Chi Minh des troupes françaises, persuadées de "reprendre Hanoï en trois mois", selon les mots, cités dans le film, du Général Leclerc. L’analyse politique est implacable. Un membre de l’ancienne armée du Nord raconte que les plus "conscients" des prisonniers étaient formés avant d’être rendus à la France, qui ne souhaitait plus les enrôler, qui ne leur "faisait plus confiance". Ainsi, la propagation des luttes anti-coloniales a-t-elle trouvé à s’épanouir dans le paradoxe de l’armée "impériale" française. Enrôlés pour mater la révolte, les soldats noirs ont fraternisé et du moins pris conscience que la France pouvait tomber de son piédestal.


Christophe dans Indochine, sur les traces d’une mère

La force du récit est de savoir tisser la trame politique à celle de l’émotion intime, qui surgit d’ailleurs la première, audacieusement et brillamment. Nous rencontrons cet homme métis, de mère vietnamienne et de père africain, qui erre dans le Vietnam d’aujourd’hui en quête d’une mère dont il fut séparé enfant. Son accent est celui du Bénin. D’emblée est posée la question des enfants nés des nombreuses histoires d’amour qui accompagnèrent cette guerre. Et voici maintenant monsieur, Matricule..., assis au fond de son village en pisé, qui ouvre son coeur et raconte le ressenti de la guerre. Le recrutement, forcé, rapide. L’insouciance d’abord, les jeux de carte, les rires. Puis la peur, la mort qui rôde, la mort pour la première fois. Les copains qui tombent. Peur, violence, feu. Incompréhension et fraternisation. Et cet ennemi "qui était partout et qui n’était nulle part". Qui venait vous parler la jour et vous assassiner le soir. Qui attachait des mines aux pattes d’un poulet, des pièges mortels au fond de l’eau d’une rizière. Les africains à l’aise avec les villageois, mais pas les Blancs. Et les femmes, le bal, les danses, la manière dont on dit "arrête de courir après les autres femmes" dans la langue vietnamiennes. L’amour. Quelques photos de jeunes filles au sourire pâle. Et racontée en quelques mots, la terrible histoire des enfants nés de ces unions. La plupart arrachés à leurs mères et laissés à l’orphelinat de Saïgon Cholon, quelques uns embarqués sur le bateau vers l’Afrique. Les cris des mères, dite par l’un des hommes. L’armée coloniale sans pitié dans ces quelques récits croisés, finement choisis, attentivement écoutés. Et nous retrouvons la quête de l’homme du début, devenu militaire à son tour, endurci par la force des choses, mais silhouette blessée en quête d’une mère dans les rues du Saigon moderne. Son visage métis, bouleversé d’émotion, témoignant douloureusement des dégâts de la guerre jusqu’au coeur de l’Afrique.

Caroline Pochon

Indochine, sur les traces d’une mère
Documentaire, Bénin, 71’, 2010

  • On aimerait pouvoir voir ces films en France ! Même à Paris, ils passent très rarement...
    Comment inviter les médias à les promouvoir ?
    Comment être avisé de leur projection en ciné-club ?
    Tasuma au moins existe en DVD !

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