Être à la hauteur de ses exigences
Publié le : vendredi 11 mars 2011
Fespaco 2011


Alors que le rideau se ferme sur la 22e édition du Fespaco, il nous semble important de revenir sur la cérémonie de clôture qui s’est tenue samedi 5 mars 2011 au stade du 4 août de Ouagadougou. En effet, même après 42 ans d’existence, le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou doit encore faire des efforts pour rivaliser avec les grands festivals de cinéma de ce monde. Car les cinémas africains, trop souvent laissés en marge de la programmation et donc du marché commercial mondial, se doivent d’être représentés de façon professionnelle pour sortir de l’amateurisme auquel on les rattache souvent.


La cérémonie : enjeu de taille ou simple mise en scène ?

Que la cérémonie de clôture se déroule dans le stade du 4 août est un fait. Grand espace ouvert au public, il permet aux artistes de créer des spectacles grandioses et aux étalons de Yennenga de s’élancer sur la piste. C’est aussi un grand obstacle puisque toute la cérémonie se déroule en plein air.

Nous nous interrogerons d’abord sur l’utilité d’utiliser deux scènes séparées l’une de l’autre tout au long de la cérémonie. L’une est dédiée aux artistes et surmontée d’un écran qui rythme la présentation (rappel des prix énoncés ou des artistes invités), l’autre est la tribune officielle avec pupitre et tapis rouge. Concrètement, les micros de la scène "artiste" sont mieux réglés que la scène "officielle" et le présentateur choisi pour la 22e édition - à savoir l’animateur TV Robert Brazza - officiait depuis la scène "artiste" alors que son intervention avait un rôle "officiel". Arrivé en milieu de cérémonie alors qu’il aurait été préférable qu’il anime la soirée depuis le début, Robert Brazza a même volé la vedette à son homologue guinéen Cham M’Baye en annonçant le prix Oumarou Ganda avant même que le président du jury long-métrage n’ait pu se pencher sur son micro ! Un comble qui aurait pu être évité si l’animateur de la soirée n’avait pas accès aux noms des films primés et si les deux personnes s’étaient retrouvées sur la même scène.

Le problème des micros nous renvoie aussi à une autre faiblesse du Fespaco : la prise en compte de nos confrères anglophones. Bien que de gros efforts soient fournis en ce sens depuis plusieurs années (catalogue bilingue, présentation en arabe et anglais des séances de cinéma, traduction des cérémonies et colloques), la cérémonie reste un douloureux moment : le prix est attribué une première fois en français (réaction du public francophone) puis en anglais (réaction du public anglophone) ce qui crée un suspens à deux vitesses inutile. Pourquoi ne pas simplement installer deux pupitres sur l’estrade officielle, l’un pour les invités, l’autre pour les traducteurs et annoncer simultanément le prix ? L’idée serait de faire attendre l’annonce du gagnant pour rendre intelligible le discours des présidents de jury qui expliquent souvent ce qui a motivé leur choix. Par la même occasion, cela créerait davantage de suspens tout en mettant en commun les informations.

Autre problème récurrent, l’éparpillement des équipes de films à travers plusieurs tribunes. Dès leur entrée dans le stade, ces personnes devraient être notées et des places officielles devraient leur être attribuées. Ainsi l’animateur de séance saurait d’avance qui est absent, ce qui éviterait aux présidents de jury de récupérer les prix à la place des artistes finalement présents et aux journalistes de ne pas savoir si la personne sur scène est bel et bien la personne primée ou sa simple représentante. Par ailleurs, les membres du jury et les personnes sollicitées pour remettre les prix devraient siéger devant la scène pour y monter rapidement. Lors de la cérémonie de clôture du 5 mars 2011, combien de cinéastes ont dû attendre sur scène que la personne leur remettant le prix descende les marches ?

Autre point indéniable : donner la parole aux lauréats. Nombreux sont ceux qui ont simplement brandi leur trophée et, s’ils avaient la présence d’esprit de descendre de scène du côté de la presse - pourquoi ne pas délimiter une zone presse précise que tout lauréat devrait passer ? - ont répondu aux questions des journalistes. Seuls les lauréats des grands prix et ceux ayant quelque chose à ajouter (la réalisatrice n’est pas là, les noms des monteurs sont...) se sont emparé du micro. Cette situation est bien dommage car qui sait quand ces mêmes personnes primées auront l’occasion de s’adresser à un si large public pour parler de leur film ? La mise en place d’un déroulé de cérémonie à l’attention des personnes sélectionnées et de la presse permettrait peut-être d’arranger cela. Et la présence du maître de cérémonie sur la même scène que les officiels harmoniserait sans doute davantage la prise de parole des uns et des autres, ainsi que la traduction de leurs propos.

De la multiplication des prix à leur suppression

Au vu de la longue liste des prix remis par le Fespaco, quelques uns interrogent. Le prix de l’Union Européenne, annoncé comme un prix spécial au même titre que le prix de l’Organisation Internationale de la Francophonie, n’a pas été attribué le soir de la remise des Prix Spéciaux mais en ouverture de la remise des Prix Officiels. Valorisation d’un partenaire de poids du Festival ou mise en avant d’un prix dont le montant avoisine celui de l’Etalon d’or (8 millions de FCFA) ?

Le prix du public RFI, plébiscité par les réalisateurs du fait de la reconnaissance des spectateurs envers leur travail, n’a pas été remis cette année. Représentant l’édition de 10 à 15 000 DVD du film et sa valorisation par Radio France Internationale, ce prix n’a pu être financé par le ministère des Affaires étrangères et européennes français comme à son habitude.

Enfin, des prix dotés par le festival n’ont pas été attribués par les jurys. Cela a été le cas du Prix Spécial du Jury des films des écoles (1 million de FCFA) présidé par le réalisateur nigérian Newton Aduaka qui s’est finalement transformé en mention spéciale pour cause de désaccord entre les membres du jury. Ce fut aussi le cas du Prix Spécial du Jury TV-Vidéo (1 million de FCFA), non-attribué par François Wokouache, président du jury TV-Vidéo : "Les problématiques sont vraiment importantes, il y a tout pour faire un travail intéressant, mais il n’y a pas de travail de recherche, pas de mise en scène, on a vraiment eu du mal à soustraire une série. Il n’y en a qu’une sur treize qui sort du lot et ça, ce n’est pas possible. Donc au sein du jury on pensait qu’il fallait le dire pour envoyer un message clair et au festival, et aux cinéastes".

Absence ou disqualification de cinéastes

Chaque année, des films sélectionnés au Fespaco sont éliminés de la compétition en cours de festival, soit parce que la copie n’a pas été reçue (Foreign Demons du sud-africain Faith Isiakpere), soit parce qu’elle était de mauvaise qualité (Restless City du nigérian Dosunmu Andrew Waheed). Cette année fut celle d’une grande première : l’élimination d’un film projeté en vidéo (Raconte Sheherazade raconte... de Yousry Nasrallah) alors que la compétition n’était ouverte qu’aux films en 35mm.

Nous avons été très surpris d’apprendre la suppression du film égyptien lors de la cérémonie de clôture. En effet, les projections s’étaient déroulées sans encombre dans les salles de cinéma de Ouagadougou et Yousry Nasrallah était l’un des principaux coups de cœur des cinéphiles. De même pour le film Foreign Demons du sud-africain Faith Isiakpere. Annoncé dans la compétition long-métrage, le film a finalement été projeté hors compétition dans les salles CBC et CENASA grâce à la copie numérique que le réalisateur avait amené avec lui, la copie d’origine envoyée bien avant le festival n’ayant jamais été reçue. On se demande alors pourquoi le bulletin du Fespaco - Fespaco News - édité chaque jour n’a pas été en mesure de publier des informations de dernière minute au sujet de ces suppressions ni pourquoi le festival ne s’interroge pas sur l’utilité d’ouvrir la compétition aux films numériques, la majorité des réalisateurs procédant à des kinescopages onéreux.

Autre désillusion pourtant propre à de nombreuses éditions : l’absence de réalisateurs primés pourtant présents au Burkina. Il arrive souvent que les cinéastes préfèrent rester à l’hôtel pour suivre la cérémonie en direct à la télévision. Mais qu’en est-il du public qui souhaiterait acclamer le lauréat et que signifie cette non-participation ? Cette année, Mahamat-Saleh Haroun s’est fait représenter par son acteur Youssouf Djaoro pour les deux cérémonies de prix (spéciaux et officiel). Alors qu’il remportait l’Étalon d’argent, certains l’ont croisé dans son hôtel. Peut-être parce qu’il commence à être très déçu par le Fespaco ?

Interviewé par RFI, le cinéaste tchadien s’interrogeait sur les choix effectués par le Fespaco et par l’absence de sélection flagrante. Des propos repris par Souleymane Cissé, doyen du cinéma malien à qui le Fespaco a rendu honneur en intronisant sa statue près de la place des Cinéastes de Ouagadougou : "J’ai l’impression de retourner dans les années 1970. Il y a des films en compétition de si mauvaise qualité ! Quand on fait du cinéma, mieux vaut sélectionner 5 films de bonne qualité que 18 ! Moi, j’ai honte de ça".

Être à l’affût de nouveaux films, favoriser des sélections cohérentes, anticiper les modifications de dernière minute, organiser une remise des prix emblématique sont autant de défis que le Fespaco se doit de relever. Sans oublier le principal objectif : favoriser la diffusion commerciale des films en associant des distributeurs au festival, comme les festivals de Tarifa en Espagne, de Stockholm en Suède ou d’Angers en France. Car au-delà de la récompense suprême, permettre aux films primés d’être achetés contribuera, même à faible échelle, à leur mise en marché.

Claire Diao

  • Le 12 mars 2011 à 13:23, par Arnaud Zajtman

    Il n’y a pas que la cérémonie de clôture à améliorer. Il serait intéressant que les choses soient organisées pour que les cinéastes puissent échanger avec le public à l’issue des projections. Pour les cinéastes, il est aberrant de se rendre jusqu’à Ouagadougou et de ne pas pouvoir échanger avec la salle à l’issue des projections de leur film. De plus, il manque une bonne plafeforme internet à l’usage des professionnels qui permettrait de savoir qui est présent, d’échanger des courriers, de connaître les événements organisés et de mettre en relation les uns et les autres.
    Enfin, il serait nécessaire que le calendrier définitif des projections soit arrêté bien à l’avance. En ce qui me concerne, je suis venu jusqu’à Ouagadougou pour présenter mon film. J’ai fait mes réservations sur base du calendrier provisoire des projections. Le calendrier définitif n’est sorti qu’en dernière minute, et malheureusement, la projection de mon film a été déplacée au dernier jour du festival et du coup j’étais dans l’avion du retour lorsque mon film Kafka au Congo a été projeté. Absurde.

    Voir en ligne : http://www.espritlibreproduction.com

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