Pégase, Étalon d’or de Yennenga
Publié le : lundi 7 mars 2011
Fespaco 2011

Pourquoi Pégase ?

Parce que dès les premières images, on est dans le cinéma. La qualité très travaillée de l’image, à la lumière toujours pénombrée ou alors brûlante de soleil (Xavier Castro), la force d’une bande son dont l’atmosphère crée un sentiment d’oppression (prix de la meilleure bande son pour Taoufik Mekraz), jusqu’au montage et au scénario travaillant beaucoup sur la symbolique et traquant sans relâche l’expression des visages, sans parler des comédiens bien choisis et bien dirigés, tout est maîtrisé dans le film de Mohamed Mouftakir.

Fable tragique

Mais ce n’est pas tout, le film conte une fable tragique de la différence en racontant, l’histoire d’une fille qu’un père fou éduque en garçon dans un village de campagne au Maroc. Elle est bouleversante, cette petite fille-garçon qui découvre peu à peu les émotions liées à sa féminité, sentiment amoureux, premières règles... Et le déni du père qui se radicalise jusqu’à lui imposer une course à cheval devant tous les hommes du village. "Sois un fils. En tant que femme, tu n’auras droit à rien" sont ses arguments. Ce thème n’est pas sans rappeler L’enfant de sable, le célèbre roman de Tahar Ben Jelloun. Et il est bien sûr une manière subtile et romanesque de dénoncer la place difficile des femmes, l’orgueil des hommes, la violence des pères, la difficile acceptation de la différence sexuelle, et enfin, la cruauté mortifère des traditions lorsqu’elles sont poussées jusqu’à l’absurde.

Méandres psychanalytiques

Déni, inceste, violence, le film nous plonge dans cette histoire terrible à travers le regard de la psychiatre suivant cette jeune fille terrifiée par les hommes. Par un jeu complexe de mise en abîme qui n’est pas sans évoquer l’enjeu de la relation psychanalytique et ses complexes mécanismes de transfert, c’est aussi bien sûr de la condition des femmes que ce film nous parle. A ce titre, il a une portée universelle. Même s’il ne propose pas d’identifier les raisons de la folie d’un père et ses ravages sur sa fille, le film nous convie à découvrir un cas psychiatrique de l’intérieur. Ce récit montre les origines vécues (et non "innées" !) de la maladie mentale, la frontière fragile entre inceste et abus d’autorité (on pourrait dire dans une source de réaction "contre-oedipienne" du père, avec à côté une mère très passive, dans une société traditionnelle qui sépare fortement les genres). Il montre aussi avec justesse la manière dont la croyance en un esprit, - ici, celui du cheval vengeur -, est étroitement reliée à des événements familiaux, suggérant assez finement une approche ethnopsychiatrique de la maladie, sans insister pour autant sur l’interprétation. Le film a le mérite de laisser le spectateur libre de ses choix.

Images fortes

Ainsi, de ce film, restent des images fortes, comme des flashs - cette course à cheval dans la colline sur un étalon, avec toute la symbolique de la virilité du cheval que décline le film ; ces échanges de regards amoureux entre Medhi et son ami d’enfance, avant que Medhi ne devienne Raïhana ; les souvenirs écrans mêlés aux souvenirs réels ; et enfin le vécu de la thérapeute entrant en résonance tragique avec celui de la patiente. Et même si on se perd un peu dans ce film labyrinthe, qui souligne - parfois peut-être un peu trop - le "pathos" de cette histoire, c’est une construction intéressante et un récit troublant et émouvant.

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Caroline Pochon - Ouaga 2011

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