Zwelidumile de Ramadan Suleman
Publié le : dimanche 6 mars 2011
Fespaco 2011

Extraits d’une rencontre avec l’auteur d’un film mémoire

Dans ce long portrait kaléidoscopique d’un homme disparu, le réalisateur sud-africain de Zulu Love Letter (2004), un cinéaste aimé du public du Fespaco, traque les traces des blessures de l’apartheid à travers le portrait d’un homme inclassable. Dumilé, artiste génial, fou, amuseur, militant, clochard céleste, exilé moult fois et toujours insaisissable. De l’Afrique du Sud quittée en 1968, puis à Londres et à New York, le film traque la parole de ceux qui l’on connu. Et à chaque fois, une facette se révèle. Une femme abandonnée enceinte et une fille aujourd’hui blessée. Des amis, fêtards, sapeurs, artistes, membres de l’ANC - parfois les trois à la fois ! -, des musiciens, une amie peintre anglaise, en larmes, des peintres, des amis. En creux, on découvre les obsessions d’un homme sans père dont le cri ne fut pas enregistré, à qui l’hommage ne fut pas rendu, car l’homme meurt seul, pauvre, d’une crise cardiaque quelque jours avant un retour prévu au pays natal... "Les artistes sont souvent incompris. Je me retrouve en Dumilé." déclare Ramadan Suleman.

Pourquoi avoir choisi le documentaire plutôt que la fiction ?

Je croyais que le documentaire serait plus facile à produire qu’une fiction. 150.000 euros. J’avais un plan de financement. Mais j’ai eu tort. C’est de plus en plus difficile, en Afrique du Sud, de faire des films, et surtout des films sur la mémoire. 80% des artistes d’Afrique du Sud ont vécu en exil. L’ANC à New York a souvent aidée financièrement par Dumilé, en vendant un tableau etc. Tous ces gens ont connu Dumilé. Mais aucun n’a voulu aider ce film.

Votre film parle de l’exil.

L’exil est un sujet encore assez tabou en Afrique du Sud. En Afrique du Sud, ceux qui ne sont pas partis en exil sont appelés les "insile". Pourquoi faire cette différence ? En rentrant, les exilés sont supposés être riches. On est accueilli, mais... pas vraiment. Nous, artistes, avons tous vécu la douleur de vivre en exil. Un ami cinéaste exilé en Angleterre n’avait pas être présent à la mort de sa mère. Chez lui, il y avait une urne avec les cendres de sa mère. Ceux qui sont restés au pays ignorent cette douleur de l’exil. Et puis, il y a eu la rencontre avec sa fille, qui n’a jamais connu Dumilé et découvre à 35 ans le corps de ce monsieur qui s’appelle "Père" ! Ces éléments montrent bien comment l’apartheid nous a déchirés. S’il n’y avait pas eu l’apartheid, Dumilé n’aurait pas quitté l’Afrique du Sud. Il ne serait pas resté si longtemps. J’ai vécu en Europe douze ans. Quand l’occasion s’est présentée de rentrer, eh bien ! on est rentrés. C’est plus facile de rentrer avec des enfants petits, qui peuvent plus facilement se réadapter.

Dumilé est une personnalité complexe. Dans le film, il dit avoir trente noms. Sa femme et sa soeur se connaissaient à peine. Il appartenait à l’ANC plus qu’à sa famille ?

Deux ans avant sa mort, il a "disparu" et même les gens de l’ANC ne savaient pas où il était. Il était incompris partout. Aux Etats Unis, personne ne savait rien de lui non plus. Comment exister quelque part ? Il n’avait que ses tableaux. Et pas d’argent parfois, même pour payer le loyer. Ses oeuvres ont été éparpillées, détruites. Personne ne pouvait plus l’aider. Il a appris qu’il avait une fille en Afrique Sud très tardivement. Il y a beaucoup de contradictions dans l’histoire de Dumilé. Sa fille d’un côté, sa soeur de l’autre...

Vous avez quelques archives de Dumilé dans le film.

Aux Etats Unis, un organisme nommé South Africa Now a fait des films à une époque. Mais cet organisme a légué ses archives à l’université de Yale, proche de New York. Par ailleurs, une chaîne d’Afrique du Sud a réalisé des interviews avec Dumilé, mais impossible de retrouver ces archives. Voilà le triste phénomène africain. Il a fallu aller en Amérique pour retrouver quelques archives de notre patrimoine africain.

Les archives africaines devraient être dans nos propres pays. On sait tout sur Napoléon, De Gaulle ou Hitler, mais comment se fait-il que moi, qui suis éthiopienne, je n’aie pas entendu parler de ce frère artiste ? (dans la salle, Mme Guerima)

L’idée est d’aider nos enseignants à parler des oeuvres d’artistes africains aux élèves. En Afrique du Sud, on ne trouve pas de matériel. Nous éditons des DVD, des livres. Je pense aux enfants. Je prépare actuellement un autre film documentaire, à propos de Myriam Makeba. Le seul pays qui conserve le patrimoine africain est l’Algérie, où les archives sont proposées gratuitement aux réalisateurs africains. Ce qui permet d’aller plus loin. L’Afrique du Sud n’a pas cette vision. La chaîne publique n’a même pas aidé mon film et elle vend trop cher l’utilisation de ses archives. J’ai donc décidé de travailler sans notre télévision publique. Même si la chaîne publique est coproductrice, il faut payer les archives un prix trop élevé ! Ne voyez pas l’Afrique du Sud comme le pays le plus riche, le big brother ! Pour ce qui est du financement, il faut sortir du circuit classique, avec les chaînes de télévision ou même avec les Français, qui sont actuellement dans une crise économique. Il faut trouver des moyens créatifs (loto, encyclopédies etc), il y a toujours le moyen de faire des choses.

Vous semblez préoccupé par la transmission de la mémoire.

Bien sûr. L’histoire des artistes, des peintres, des écrivains est universelle. Nous produisons des oeuvres, et nos enfants ne seront pas intéressés par ce que nous avons fait. Souvent, c’est dans les brocantes que l’on trouve les meilleurs disques, les meilleurs tableaux ! J’ai trouvé un tableau d’un ami peintre sud-africain dans une brocante. Je ne pouvais pas lui dire que j’avais payé son tableau dix euros !

Quelques mots sur l’oeuvre de Dumilé.

Dumilé était fasciné par les animaux, les chats, les ânes, les chevaux. Dans le film, la sculpture qui s’appelle History montre une relation forte entre l’animal et l’humain. On y voit un homme-cheval tirant un couple sur une charrette.

Quelle est la reconnaissance qu’a obtenu Dumilé en Afrique du Sud ?

Il y a eu une grande exposition rétrospective de l’oeuvre de Dumilé en Afrique du Sud il y a environ cinq ans. Un catalogue a été produit.

Quelle est l’interaction entre documentaire et fiction, est-ce que ce portrait de Dumilé n’a pas donné un désir de fiction ?

Dumilé... Je n’ai pas pensé fiction avec ce personnage. Je ne suis pas allé au bout de prendre cette décision. Mais je vois la même chose avec Myriam Makeba. Avec elle, je vais faire un film documentaire, tout en écrivant un film sur elle. Donc, quelque part, je suis un maniaco-dépressif comme Dumilé ! j’écris le documentaire et des idées de fiction m’arrivent. Je suis dans cela avec Myriam Makeba.

Propos recueillis par Caroline Pochon

Zwelidumile de Ramadan Suleman
Documentaire - Afrique du Sud, 2010, 112’

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