La Chronique de Sophie
Publié le : dimanche 16 décembre 2007
Fespaco 2007




Dimanche 25 février

Lever de très bonne heure pour être au ciné Neerwaya pour la première projection du matin, et ma première projection de Fespaco. Dès ces heures matinales, la chaleur est déjà au rendez-vous, promettant de vous cueillir à la sortie de la salle obscure. Dans la salle immense et presque vide à cette heure indue pour la plupart des festivaliers qui profitent abondamment de la vie nocturne ouagalaise, la climatisation ma fait frissonner à mesure que le temps passe. Je n’avais pas prévu le froid ! Au générique de fin, je suis heureuse de renouer avec la chaleur et le soleil du dehors.

Plus tard, je m’oriente vers le CCF où je souhaite assister à l’ouverture des conférences du « Coté Doc », un festival parallèle organisé par l’association Ecrans en collaboration avec Arte, qui assure la sélection documentaire du Fespaco. Toute la semaine, des conférences en présence de réalisateurs, producteurs, diffuseurs ou critiques sont organisées autour du thème du documentaire. Les débats sont intéressants, et ouverts à tout public. Les participants sont invités à prendre la parole et peuvent poser directement leurs questions aux conférenciers. Le dispositif fonctionne bien, l’assistance est attentive et de nombreux participants prennent des notes en interviennent. Une formule qui fonctionne bien.

La journée suit son cours sans grande surprise, avec deux nouvelles projections en après-midi et fin de soirée. Cette fois le rythme de croisière est trouvé. Le soir chacun fait le bilan de ses visionnages de la journée, avec force critiques et commentaires sur l’organisation et les conditions de projections, pas toujours idéales. Nous voilà entrés de plain pied dans l’ambiance du Fespaco.

Lundi 26 Février

Le festival est entré pour de bon dans son rythme de croisière. Au fil des projections, les premiers échos filtrent sur les films en compétition. La jeunesse de la ville a embrassé la cadence imposée par les projections. Celles de 8h00 du matin n’attirent pas les foules ; le public augmente au fur et à mesure de la journée jusqu’à atteindre des record d’affluence aux séances de 20h30 et 22h30. Entre les séances et aux heures de repas, les terrasses des lieux de projection ne désemplissent plus. Conséquence logique, les vendeurs ambulants se succèdent, cherchant à écouler au mieux leurs cartes téléphoniques et leurs mouchoirs en papier.

Le corps du festival éparpille ses organes vitaux dans différents coins de la ville. Le siège continue d’accueillir les allées et venues des nouveaux arrivants ; il est aussi un lieu de rencontre privilégié pour les rendez-vous professionnels. Au ciné Burkina, au Neerwaya, au ciné Oubri le soir, au CCF Georges Méliès et au Cenasa, on assiste à l’ensemble des projections des films en compétition officielle. Le centre de presse abrite des conférences et un cyber espace, et les journalistes de toutes nationalités y viennent régulièrement en quête d’informations ou d’une connexion Internet acceptable. Enfin, l’hôtel Indépendance accueille les réalisateurs en compétition et les comédiens principaux de leurs films. De nombreux journalistes et autres personnalités du microcosme cinématographique africain s’y offrent aussi un séjour tout confort. Toute la journée, le lieu est agité de va-et-vient. La presse se bouscule pour glaner autant d’interviews que possible, les amis et relations des personnalités viennent leur rendre visite, enfin une masse de curieux vient se divertir au spectacle de cette agitation très « select ».

De mon côté, je vis ma première grosse journée de projections. Me voilà confrontée à l’épineuse question du choix. Nous ne disposons que de peu d’informations pour sélectionner les films que nous voulons voir. La plupart des réalisateurs me sont inconnus, sans parler des comédiens. Les synopsis des brochures officielles ne permettent pas vraiment de se faire une idée et rares sont les photos disponibles. On se fie donc aux titres et aux affiches, et selon la curiosité de chacun aux provenances des films. Par chance, les projections de presse organisées à Paris avant mon départ limitent un peu le nombre des films qu’il me reste à voir. Aujourd’hui mes choix n’ont pas été très heureux, et je commence à me demander comment éviter les déceptions. Pas facile à moins de se fier au bouche-à-oreille, et encore ; Evidemment cela suppose d’attendre que d’autres aient assisté aux projections et le temps risque de manquer. Il faut donc accepter le risque d’une intense frustration et les regrets en cas de choix malheureux.

Dans l’après-midi, je me rends à l’hôtel Indépendance où j’espère faire l’interview de Dany Glover. Star incontestée du cinéma à l’échelle mondiale, l’acteur en est à se cinquième visite au Fespaco. Il n’a raté aucune édition depuis 1999 et met un point d’honneur à soutenir par sa présence cet hommage rendu au septième art à l’africaine. Je suis excitée et sous l’emprise d’un trac incroyable. Dans le hall de l’hôtel se laisse aspirer de place en place, guettant son arrivée. Le temps passe en vain, et c’est un peu dépitée que je me résous à quitter l’hôtel bredouille. Direction le ciné Neerwaya où est projeté ce soir Teranga Blues, en compétition pour le Sénégal. L’immense salle (1100 places assises) est archi comble à cet horaire très prisé de 20h30. Les derniers arrivés se disputent les quelques sièges libres disséminés aux quatre coins de la salle et Moussa SENE ABSA est déjà en train de présenter son film lorsque fait son entrée le fameux M. Glover, venu assister en toute simplicité et sans la moindre escorte à un dernier film avant de s’en retourner aux Etats-Unis. Son arrivée ne semble provoquer aucun émoi particulier, au point que je me demande si moi seule ai remarqué sa présence ! De là où je suis, il m’est impossible de me déplacer, et les lumières s’éteignent au générique de début alors que je me demande encore comment obtenir l’interview tant convoitée.

Fin du film. L’audience se rue à l’extérieur et me voilà au milieu du bain de foule à quelques mètres de mon objectif suprême de la journée ! Je cherche l’aplomb de solliciter à nouveau un court instant, essayant de choisir la formule la plus adaptée, quand le regard de Dany Glover se pose accidentellement sur moi. Dans une humilité qui le caractérise tout à fait, le grand homme me reconnaît et s’excuse de n’être pas venu au rendez-vous qu’il m’avait fixé plus tôt. “Be at the hotel in 15-20 minutes, I’ll see you downstairs !”. Je n’en crois pas mes oreilles. Le temps de traverser la cohue automobile à la sortie de la salle, et me voilà de nouveau en route pour l’Indépendance, tout mon matériel d’interview sorti et déjà prêt à l’emploi.

Après une courte attente dans le hall d’entrée, je rencontre enfin cet homme d’une grande générosité qui m’accorde l’interview tant espérée alors même que l’heure de son départ pour l’aéroport a sonné. Décidément ce Fespaco me réserve bien des surprises !

Après une dernière projection et un rapide dîner, je rejoins tard et épuisée ma chambre d’hôtel. Cette semaine s’annonce riche autant qu’éprouvante… Quels autres souvenirs improbables va-t-elle m’offrir ?

Mardi 27 Février

Le réveil me tire d’un sommeil de plomb, car j’ai décidé d’assister à une projection à 8h00. Je mesure du fond de ma lourde fatigue l’avantage de loger en plein centre, près de tout et particulièrement du ciné Burkina où je me rends précisément. Les premiers gestes sont gauches. Je doute un instant d’avoir l’esprit assez alerte pour apprécier un film, si bon soit-il… Heureusement, l’engagement pris avec Laure, co-religionnaire de Clap Noir m’interdit de me poser trop longtemps la question. Je me ressaisis donc bien vite et suis prête lorsqu’elle frappe à ma porte. En route !

La salle est étonnamment remplie, compte-tenu de l’horaire matinal. C’est que les échos autour du film proposé ont été bons à l’issue de ses premières présentations. Je mesure à cette surprenante affluence l’impact généralisé du bouche-à-oreille. La journée est ainsi lancée et la fatigue d’autant plus vite oubliée que cette fois le film m’a procuré un bon moment de cinéma. Je me surprend même à rester à la projection suivante, me sentant finalement l’esprit tout à fait dispos.

A la sortie de la salle le soleil au zénith me surprend, anesthésiée que je suis par quatre heures d’obscurité et de climatisation forcenée. La chaleur de Ouagadougou en février me semble chaque jour nouvelle, malgré une semaine déjà passée ici. Je réalise en me faisant cette réflexion que mon voyage est déjà à mi-parcours. Plus que jamais, je ressens l’envie de profiter de chaque instant.

Nous nous réunissons pour déjeuner dans le patio ombragé d’une petite auberge légèrement excentrée – Le Samaritain. L’équipe de Clap presque complète vient chercher ici un peu de fraîcheur et de calme pour échanger toutes ses impressions, toutes ses anecdotes, tous ses commentaires. Il y palabre autour du plat de midi, et nous sommes tous pris d’un enthousiasme qui confine à la frénésie lorsque nous confrontons nos opinions sur les longs métrages en compétition. Quelques films semblent faire l’unanimité, autant dans la catégorie chef d’œuvre que navet ! Les écarts de qualité au sein de la sélection officielle nous laissent tous perplexes, au point que je me demande si certains films ont bénéficié de passe-droits ou si le comité s’était fixé un nombre d’œuvres à atteindre coûte que coûte. Au fil des débats, nous élaborons vite nos premières conjectures quant aux films que nous voyons en candidats sérieux à l’étalon. Je me sens entrer de plus en plus profondément dans l’aspect compétitif du festival et je me laisse volontiers aller à ce sentiment grisant. Déjà je me sens l’envie de défendre mes poulains, et de les voir appréciés et primés. On croit toujours avoir raison en pareille situation !

N’ayant pas prévu de projection avant les séances du soir, je m’accorde une promenade
Au marché où je souhaite acheter des coupons de tissus. C’est la première virée de ce type depuis mon arrivée et elle est de courte durée, mais il est fort plaisant de s’extraire un instant du cadre un peu fermé pour renouer avec la vie, la vraie, celle du dehors, à ciel ouvert sous un soleil maintenant déclinant. Visage pâle que je suis, j’attire à l’évidence toutes les convoitises commerçantes. J’avance de sollicitation en sollicitation, devenant à chaque pas un peu plus douée dans l’art d’évincer les rabatteurs sans me montrer désagréable ; mais il faut savoir être ferme sous peine de ne pas trouver de répit. A la sortie de la première boutique, me voilà prise en charge pas un jeune désireux de gagner sa commission sur mes achats à venir. Dans ses pas, je passe de boutique en boutique pendant une heure environ, avant de conclure un achat sans doute bien moindre que ce à quoi il s’était attendu. Je l’avais pourtant prévenu, mais que faire ? La couleur de ma peau crie ici bien plus fort que tous mes avertissements. Déjà fatiguée de cette expérience du commerce local, je décide de rentrer à l’hôtel m’isoler au calme pour travailler. L’envie d’arpenter les rues m’est bel et bien passée pour l’instant.

Le soir est arrivé. Nouveau départ pour le Neerwaya. On projette un film sur lequel on ne tarit pas d’éloge… mieux vaut arriver à l’heure ! A la sortie de l’hôtel, je siffle le premier taxi « Ciné Neerwaya, 300 ! OK ». Une fois entrée je réalise que le chauffeur ne sais pas bien où il va. Nous demandons notre chemin à un passant, il est déjà 20h10 et la projection débute à 20h30. Pas toujours facile d’être pressée à Ouagadougou. J’arrive en effet pour trouver deux longues files d’attente. Ce soir encore, le Neerwaya fera salle comble. EZRA, film nigérian de Newton Aduaka, attire les foules. C’est le petit phénomène du Fespaco. Un sérieux concurrent à l’étalon, sans doute le choix le plus unanime de la compétition, mais pas le plus inédit formellement. Dans la salle archi comble un silence se fait à l’extinction de la lumière. Le sempiternel spot Coca-Cola diffusé à chaque séance énerve encore. Cela s’est déjà manifesté sous la forme de huées et sifflets lors de séances passées. Nouveau silence, le film démarre. L’ennui, pour une habituée des salles obscures parisiennes comme moi, c’est que le silence au cinéma à Ouagadougou n’est jamais qu’un état passager ! Ici personne ne trouve qu’il soit contradictoire de répondre au téléphone et même d’entretenir toute une conversation téléphonique en pleine séance de cinéma. Je crains d’alimenter le cliché du blanc coincé si je fais un commentaire, je peste donc dans ma barbe et subis coups de fil après coup de fil… C’est le cinéma à la sauce locale.

Après la séance nous filons à « la Forêt », un restaurant chic et branché où étrangers et jeunesse ouagalaise privilégiée viennent déguster de délicieuses brochettes de bœuf au bord d’une piscine. Un moment charmant qui se paie, tout ici se paie bien au-delà du prix moyen. Quand nous quittons le restaurant, nous cherchons en vain un taxi en avançant pour ne pas perdre plus de temps que nécessaire et réduire si possible les tractations au moment de négocier la course. A cette heure tardive, les rues de Ouagadougou sont désertes, la circulation a cessé depuis belle lurette. Un taxi nous prend enfin en charge et nous dépose au Calypso, un repère d’oiseaux de nuit où on mange à 3h00 du matin dans une cour éclairée. L’intérieur est une petite discothèque surpeuplée. Les lieux sont agités d’allées et venues permanentes entre l’intérieur et l’extérieur, la fournaise et la fraîcheur. La température est encore échauffée par la présence en grand nombre de jeunes femmes en tenues plus que suggestives, cherchant la compagnie des hommes blancs de préférence ou du moins affichant des signes extérieurs de richesse. Elle composent une proportion importante de la « clientèle » du lieu, et je me sens assez mal à l’aise d’assister au spectacle de leurs travaux d’approche systématiques. Je réalise comme certaines pratiques ouvertement affichées ici sont scrupuleusement gardées dans le domaine de l’invisible à Paris, en tous cas dans la plupart des lieux de sortie conventionnels. Paradoxe d’une société pourtant censée aborder les questions liées à la sexualité avec plus de pudeur et de retenue que la nôtre…

Après avoir un peu profité de la fraîcheur de ce petit patio pour prendre ce dernier verre ensemble et sceller ainsi notre première sortie commune entre « clapistes », nous nous en retournons vers nos hébergements respectifs. De retour à l’hôtel vers 3h45, je me mets à écrire pour évacuer toutes ces nouvelles images du jour. A 4h30, je réalise en entendant pour la première fois le chant du muezzin qu’il est grand temps de « rendre l’antenne », selon l’expression consacrée des festivaliers du Fespaco.

Mercredi 28 février.

Aujourd’hui est consacré à l’écriture et à la pêche aux interviews. Le temps a déjà passé depuis le début du festival et l’agitation est en constante ascension. Chacun commence à se soucier à l’idée de ne pas avoir fait à la fin de la semaine ce qu’il s’était fixé. A l’Indépendance, les journalistes envahissent littéralement le hall qui ne désemplit plus. Les files d’attente sont de plus en plus longues aux séances de cinéma, et on y refuse de plus en plus de monde, faute de capacité d’accueil face à une affluence délirante. Les premiers pronostics se confirment déjà, au fil des projections. Le palmarès commence à se laisser deviner, même si rien n’est acquis d’avance.

Un peu partout sur le festival on entend parler d’une soirée qui excite les festivaliers. Il s’agit d’une réception chez Fanta Régina Nacro, coutumière du fait, qui organise à chaque édition une réception où se regroupe tout le gratin du Fespaco. Malheureusement à l’heure dite le rythme et la cadence du festival ont déjà eu raison de moi et je me suis endormie dans ma chambre d’hôtel. C’est un métier que le show business, et il demande de l’énergie ! Raté pour cette fois, je serai sans doute plus endurante à la prochaine édition. En me réveillant dans ma chambre d’hôtel à deux heures du matin passées, je fais le deuil de cette occasion de rencontrer en un seul lieu les acteurs majeurs du cinéma Africain…

Les grands rendez-vous du Fespaco ne figurent pas tous dans le programme officiel !

Jeudi 1° Mars

Le matin est réservé à une interview très attendue avec Abderrahmane Sissako. Réalisateur le plus convoité du festival, il a accepté de nous accorder un moment malgré son planning très chargé. Lui aussi commence à accuser le coup, rien d’étonnant compte tenu des maintes sollicitations dont il est l’objet. Tous les réalisateurs présents prennent d’ailleurs très à cœur leur mission de représentation, et les jours passant la fatigue commence à se lire sur tous les visages.

Malheureusement le taxi qui doit nous emmener à l’hôtel Indépendance est un peu égaré, et nous tournons un moment avant d’atteindre enfin la destination de notre course. En retard… Ben nous attend déjà sur place ; il a vu passer et repasser A. Sissako et nous craignons fort d’avoir raté notre chance. Déterminés, nous restons tout de même dans les parages en espérant obtenir même tardivement cette interview qui répondrait à tant de questions que nous nous sommes posées face à son film, et qu’on nous a également posées lors des projections organisées par Clap Noir. Quel bonheur que de pouvoir questionner le créateur d’un film en personne sur ses intentions, de mettre un terme aux conjectures et de leur substituer des réponses !

Enfin l’homme reparaît, nous nous lançons comme un seul homme dans sa direction, armés de micros et appareils photos. Mais il est effectivement trop tard, A. Sissako est attendu et il n’a plus assez de temps pour nous accorder une interview digne de ce nom. Alors que je me prépare déjà à devoir renoncer purement et simplement à cet échange qui me tenait tant à cœur, voilà qu’il nous fixe un dernier rendez-vous pour samedi. Alléluia ! Je suis au comble du bonheur, la prochaine fois, je ne laisserai aucun taxi ou autre incident de parcours m’empêcher de réaliser cette interview.

Nous nous sommes tous reposés hier, aucun d’entre nous n’ayant trouvé l’énergie de prendre part aux festivités chez Fanta Régina Nacro. Ce soir en revanche, nous décidons de nous prêter au jeu des mondanités (très bon enfant) du festival en étant présents au Bal de la Guilde – la Guilde des Réalisateurs Africains- qui se tient au Carrefour International du Théâtre de Ouagadougou, un petit lieu plein de bonnes vibrations où j’avais déjà assisté à une pièce de théâtre avant le début du festival. Nous arrivons à une heure un peu avancée, pensant trouver la fête à son apogée… c’est plutôt le contraire qui se produit. Le lieu a déjà commencé à se vider et la musique ne semble pas vraiment faire vibrer la foule. Rapidement, la soirée touche à sa fin, nous laissant un peu sur notre faim, à nous. Encore une courte nuit et nous entrerons dans les 48 heures les plus effrénées de la semaine.

Vendredi 2 Mars

Aujourd’hui est le jour des choix les plus cruciaux, car en dehors des films primés qui seront projetés demain, c’est la dernière chance pour les festivaliers d’assister aux projections qui les intéressent. Tous sont donc à pied d’œuvre dès le matin.

De mon côté, je choisis d’assister à une matinée de conférence du « Côté Doc », un festival dédié au documentaire organisé par l’association « Ecrans », en partenariat avec Arte. Tous les jours au CCF, le « Côté Doc » a organisé des rencontres avec des professionnels du documentaire, qu’ils soient auteurs, producteurs, critiques… Les débats s’accompagnent aussi de projections, certains des films ont d’ailleurs fait grand bruit sur le festival, malgré la primauté laissée à la fiction. Aujourd’hui le thème de la conférence est l’écriture documentaire. Dès 10 heures, et malgré les mines un peu endormies, les participants commencent à affluer. Le débat s’engage dans une salle encore clairsemée, mais rapidement les rangées de sièges se remplissent et les questions de l’auditoire commencent à fuser. L’échange est très intéressant, les intervenants écoutent et répondent avec une grande disponibilité et sans fausse pudeur aux nombreuses questions qui leur sont posées par un auditoire de tous âges et tous horizons.

De retour à l’hôtel dans l’après-midi, nous faisons un point sur les activités de chacun et les dernières projections. Les convictions sont de plus en plus fortes quant aux films qui devraient être primés. N’ayant pas assisté aux mêmes projections aux mêmes moments, chacun attend de pouvoir échanger avec les autres ses opinions sur les films qui l’ont touché, interpellé, déçu… Décidément le débat fait rage. Alors que certains ont adoré un film, d’autres se moquent de les entendre en faire l’éloge. Les arguments pour et contre fusent dans une discussion qui pourrait être sans fin. Nous partageons nos meilleurs moments dans ces débats de critiques, et y trouvons aussi toujours l’occasion de relativiser nos points de vue. L’échange est d’autant plus intéressant que nous avons au sein de la rédaction des profils très divers, laissant présager des différences d’appréciation des films par le public, également très hétéroclite. Le suspense est à son comble, d’autant que le palmarès est pour demain.

Dans l’après-midi seront déjà remis la cohorte de prix spéciaux, récompensant des films selon des critères variés et parfois obscurs. Il existe une trentaine de prix décernés par toutes sortes d’organisations, en marge du palmarès officiel.

Nous nous séparons en fin de journée pour vaquer encore à nos occupations et assister aux toutes dernières projections, puis nous retrouvons de nouveau dans la soirée. Rendez-vous au « Kunde », un maquis populaire de la jeunesse ouagalaise où on mange et boit en plein air au son des dernières nouveautés de la variété africaine à la mode. Le lieu est extrêmement fréquenté et la fête y bat son plein, jusqu’à ce qu’un accrochage entre jeunes alcoolisés ne mette un terme soudain à la soirée. Il ne nous reste donc plus qu’à rejoindre nos pénates avant le bouquet final de la cérémonie de clôture et du palmarès, demain. Je me couche et m’endors dans l’excitation des veilles de grand jour. Je me sens à la fois au comble de l’excitation, et un déjà un peu nostalgique à l’idée que cette grande fête du cinéma touche déjà à sa fin.

Samedi 3 Mars

Nous y voilà. Rien n’occupe les esprits en ce samedi plus que l’attente du palmarès. Côté rédaction, on s’agite à essayer de terminer le plus grand nombre de mises en ligne possible avant le début de la cérémonie. De nouveau celle-ci se tient au stade, en grand apparat. De nouveau les consignes sont claires, il faut arriver tôt et montrer patte blanche pour accéder à la tribune des officiels. Quelques couacs dans l’organisation viennent encore entraver le bon déroulement de la cérémonie. Certains invités ont été contraints de reprendre l’avion avant l’annonce des résultats. Parmi eux des artistes dont on s’attend à ce qu’ils reçoivent une récompense déplorent de ne pouvoir assister à la remise des prix, mais les réservations ont été faites et rien ne changera, en dépit de la logique !

La cérémonie débute au stade alors que je suis encore affairée à mes travaux d’écriture. A l’hôtel toute l’équipe du personnel est rivée devant la télévision, commentant abondamment le contenu du spectacle et chantant en cœur avec les artistes burkinabés. Alors que l’obscurité s’installe dans le patio où je tente de continuer à travailler malgré tout, des cris attirent mon attention et je cours rejoindre tout le monde devant le téléviseur suspendu. Le palmarès va commencer !!!

L’excitation est générale, un silence s’installe et une forme de nervosité mêlée d’enthousiasme envahit la salle. Le protocole démarre, avec présentation et intervention des notables conviés à l’événement. Encore une fois le spectacle traîne en longueur, mais enfin les premières récompenses tombent. La grande surprise vient d’un film algérien, « Barakat », qui rafle trois prix dont meilleure première œuvre et meilleur scénario. Ce film m’avait totalement échappé, et nous sommes nombreux à n’avoir pas du tout envisagé de le voir ainsi récompensé. La réalisatrice elle-même semble étonnée de l’accueil triomphal qui a été réservé à son film. Une vingtaine de prix sont décernés (le palmarès est entièrement consultable en ligne sur le site) dont trois étalons, le prix du meilleur montage, de la meilleure musique, des meilleurs interprètes, du meilleur décor, du meilleur son… L’étalon d’argent est celui qui surprend le plus. Récompensant un film à l’originalité incontestable, il entend valoriser la prise de risque d’un créateur camerounais décalé et engagé, Jean-Pierre Bekolo. Les réactions suscitées par ce film étaient loin de faire l’unanimité, on peut dire quant à ce choix que le jury n’a pas fait dans la démagogie. L’étalon de bronze va à Darrat, film qui faisait parler de lui depuis le début de la compétition, et l’étalon d’or à Ezra, premier long-métrage du Nigérian Newton Aduaka, plébiscité par l’ensemble de la presse et des spectateurs. Un prix mérité mais sans surprise, donc.

Voilà ! La cérémonie s’achève sur un petit goût amer : le départ et le retour en France sont maintenant tout proches, il nous faut songer à refaire nos valises. Dans la soirée nous faisons ensemble le bilan de nos impressions… et nous commençons à rêver à l’édition 2009.

Sophie Perrin

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